Portrait : Yelsha s'impose sur la scène rap française

A 25 ans, Yelsha commence à s'imposer sur la scène du rap, à Caen. La jeune femme a dû se battre pour se faire un nom dans ce milieu historiquement masculin.

Quand on croise Yelsha, on ne peut pas la rater. Veste colorée, des bijoux et des lunettes qui en imposent. Il faut dire que la caennaise de 28 ans a son propre style ! Elle aime casser les codes. Et lorsqu'on lui demande ce que le rap représente pour elle, voici sa réponse : "je crois que les âmes sœurs peuvent être des humains, bien entendu, mais aussi au-delà, un pays par exemple, un art et pour moi c’est de loin la musique. C’est une manière de m’exprimer, de raconter, de partager des émotions , des états d’esprit , d’aider et de voir le monde. C’est ce qui me fait me sentir en vie, c'est un besoin vital". Dans ses textes, il n'y a que de l'amour et quand elle écrit, c'est toujours avec le sourire aux lèvres.

Yelsha, Ashley Caïtano de son vrai nom, a commencé le rap à l'âge de 11 ans : "c’est la chanson Hey oh de Tragédie qui m’a d’abord donné envie de faire de la musique. J’ai écrit mon premier texte vers 11 ans, j'ai vraiment adoré !". Elle continue d'écrire pratiquement tous les jours. L'adolescente grandit avec des garçons et, dès que son frère s'amuse à "kicker" (rapper) avec ses potes, elle s'incruste. Elle puise son inspiration chez Youssoupha ou Kery James. Et celle qui, jusque là, n'écrivait des textes que pour elle-même et ses proches, comprend qu'elle veut faire du rap son métier. 

J'ai écrit mon premier texte à 11 ans, j'ai vraiment adoré !

Yelsha

Une reine de la débrouille

Yelsha est fière d'être "rappeuse". C'est en 2020 que l'artiste sort "Cheffe", son premier titre. Puis elle se lance dans des featurings avec des rappeurs caennais comme Barlem B ou encore HVJ, du collectif Coeff.  Mais son parcours n'a pas été un long fleuve tranquille. Au contraire, elle se bat encore tous les jours pour faire sa place. Si un mot pouvait résumer cette femme, ce serait "débrouille" :"tout ce que je produisais jusque-là je le finançais moi-même. J'enchaînais les petits boulots pour mettre de l'argent de côté et pour enregistrer dans un studio. Pour deux heures, c'était 50 euros" explique la jeune rappeuse béninoise.

Mais petit à petit, elle commence à se faire connaître et veux se consacrer entièrement à sa passion. D'ailleurs, aujourd'hui, elle compte plus de 10 000 followers sur Instagram. Artiste engagée, Yelsha fini par taper dans l'œil du collectif Safé Safé et, plus récemment, du Cargö à Caen : "en juin dernier, elle a participé au dispositif du Labö, une semaine de formation théorique et pratique, avec une dizaine d’intervenants professionnels. Ils l'ont adoré et ont décidé de soutenir son projet" explique Stéphane Brusco, responsable de l’accompagnement et du développement des pratiques au Cargö. La nouvelle enchante la jeune femme : "c'est génial, je peux enregistrer des maquettes gratuitement, avec des professionnels qui m'accompagnent, j'ai accès à des résidences scéniques, à des premières parties d’artistes, dont la notoriété n’est plus à prouver (notamment Yseult)".

Un accompagnement qui lui donne une autre visibilité. Elle décroche un premier contrat de licence sur une compilation 100 % féminine "Rap2Filles Souterraine". "L'album va être distribué chez Sony music ! C’est mon tout premier projet réalisé dans des conditions professionnelles, avec une vraie direction artistique autour. J’ai vraiment hâte qu’il sorte!" dit-elle, avec le sourire et surtout beaucoup de fierté ! Suspens... pour la date de sortie.


S'imposer en tant que femme dans le rap : un parcours du combattant

Le rap féminin reste marginal en Normandie, comme partout ailleurs en France. Pour Yelsha, s'imposer dans ce milieu en tant que femme reste très difficile : 

le rap reste un monde avec une forte présence d’hommes cis-hétéros, un milieu misogyne où les femmes doivent faire plus d’efforts que les hommes pour des résultats insatisfaisants. Et quand une femme réussit à «sortir du lot », elle est tout de suite sexualisée et/ou instrumentalisée.

Yelsha, rappeuse

Elle estime que les femmes ne sont pas automatiquement reconnues pour leur talent ou leur travail, mais pour le fait qu’elle soit des femmes. Un cercle fermé, pendant un temps mais maintenant les artistes féminins et masculins veulent que les choses changent : "par le passé, on ne leur a pas laissé assez la place" explique Barlem B, un rappeur caennais. "C'est à l'image de la société dans laquelle on vit, les femmes ont encore du mal à se faire leur place dans plusieurs autres domaines" ajoute-t-il. La scène rap française manque de modèles et cela n'aide pas les jeunes femmes à se lancer. En effet, quand on pense rap féminin, le premier nom qui vient en tête est celui de DIAM'S et c'est pour beaucoup le seul. L'histoire du rap à connotation masculine a sa part de responsabilité : "dans le rap, c'est 99 % d'hommes. Une femme va devoir prouver deux fois plus pour faire son trou" constate Barlem B. "Il faut sortir des clichés et en réalité le rap ça ne devrait pas être une question d'homme ou de femme, on doit simplement parler d'artiste sans mettre en avant le sexe, ni le genre".

Promouvoir le rap féminin

Les jeunes femmes ont encore du mal à se tourner vers le rap féminin. Pour Yelsha, il faudrait déjà agir au niveau local : "je pense qu’il faudrait organiser des ateliers d’écriture dans les
collèges, lycées, universités, centres de formation ou même dans les salles de concert ; des open-mic ; plus de diffusion (que ce soit en radio, dans la presse écrite, à la télévision, sur les réseaux sociaux , dans les bars, en concerts, etc.) ; des collaborations entre artistes et des contrats honnêtes avec les maisons de production pour arriver à déconstruire les stéréotypes du milieu et peu à peu pouvoir enfin juste dire rap et non plus rap féminin". Selon elle, le but est de s’habituer à la présence des femmes et des minorités de genre-dans dans ce milieu, que ça fasse partie des mœurs. De son côté, le Cargö commence à mettre des choses en place :
"nous développons des ateliers, des rencontres à destination des filles, afin qu’elles puissent avoir des exemples de femmes qui s’épanouissent dans l’univers du Rap mais oui il faudrait multiplier ces actions" explique de son côté Stéphane Brusco, responsable de l’accompagnement et du développement des pratiques au Cargö. 

Yelsha, elle, compte bien s'épanouir dans ce qui est son métier dorénavant. Une place qu'elle s'est faite toute seule et qu'elle veut garder: "je ne trahirai ni ma passion, ni mon talent et encore moins ma voix. On est là et on attend l’approbation de personne" lance la jeune femme avec beaucoup de détermination.

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