Avec les grandes vacances, les centres de loisirs et les colonies de vacances recrutent des animateurs titulaires d'un BAFA. Mais avec la pandémie, les formations ont été à l'arrêt, des formations qui, déjà, attirent moins de candidats depuis plusieurs années.
C'est l'heure de l'atelier tatouage. Après avoir dirigé une session de danse hawaïenne, Lou, 18 ans, a sorti la trousse de maquillage et les pinceaux pour dessiner un papillon sur l'avant-bras de sa camarade de promo. Il faut avoir plein de ressources et d'idées pour occuper des enfants. Et justement, avec les enfants, la jeune femme a le contact facile. "Quand j'étais plus jeune, je faisais du baby-sitting. J'adore parler avec des enfants, pouvoir peut-être participer à leur épanouissement."
Alors pour elle, passer le BAFA, le Brevet d'aptitude aux fonctions d'animateur, relevait de l'évidence. "J'y pense depuis longtemps. C'est un domaine qui m'intéresse beaucoup, pour plus tard, pour mes études." Lou souhaite intégrer un IUT en carrière sociale, pour être animatrice sociale et socio-culturelle. "Cette formation (au BAFA), ça va aussi m'aider à pouvoir m'exprimer, à prendre un peu confiance et participer à des ateliers."
Six mois sans formation
Au centre de formation de la Ligue d'enseignement de Normandie à Tailleville, ils sont quarante jeunes de 17 à 30 ans à participer à cette session, la jauge maximale autorisée en cette période de crise sanitaire. Une forte affluence donc qui s'explique notamment par le fait que cette session est l'une des toutes premières organisées par la structure depuis de nombreux mois. "Il y a eu beaucoup de formations qui ont été annulées, ça fait six mois qu'on en n'avait pas organisées", indique Nell Divaret, directrice des sessions de formation générale BAFA.
L'épidémie de covid 19 a chamboulé les plannings. "C'est une formation qui ne peut pas être assurée en distanciel", explique Guillaume Masson-Blin, responsable au service formation de la Ligue d'enseignement de Normandie, "Une grande partie du temps de travail est liée à la vie en collectivité, au vivre ensemble, au faire ensemble, ce sont des formations qui privilégient l'expérimentation."
Former en visio : "C'est complètement délirant"
En théorie, un décret publié le 2 avril dernier autorisait les formations au BAFA à distance. "C'est parfois la première expérience collective pour des animateurs qui vont encadrer des enfants dans les semaines à venir, je n'imagine même pas un seul instant qu'on puisse former ces animateurs en visio, je trouve ça complètement délirant", ajoute Jean-Jacques Fabre, secrétaire général de la Ligue de l'enseignement mais aussi président de l'UNAT (Union nationale des associations de tourisme et de plein air) de Normandie.
Alors les centres de formation mettent actuellement les bouchées doubles. "On est en train de remobiliser les formations pour avoir des animateurs diplômés cet été", souligne Nell Divaret, directrice des sessions de formation générale BAFA, "Car pour autant, les quotas d'encadrement ne changent pas. Il va bien falloir diplômer des animateurs."
En cours de formation, certains jeunes peuvent toutefois être employés dans le cadre du stage pratique indispensable pour valider le diplôme. Mais ce ne sera pas suffisant. Selon Guillaume Masson-Blin, "si on a réussi à absorber un maximum de personnes qui voulaient commencer leur formation, on se retrouve quand même aujourd'hui face à une pénurie d'animateurs et animatrices en accueil collectif de mineurs."
"C'est beaucoup plus dramatique"
Du côté de l'UNAT, qui fédère des associations gérant notamment des centres de vacances, la saison estivale s'annonce compliquée. Non pas en terme de fréquentation. "La situation n'est pas trop mauvaise auprès du public familial, les gens ne partent pas à l'étranger donc ils viennent chez nous. Sur l'accueil des enfants, le taux de remplissage est assez satisfaisant", affirme Jean-Jacques Fabre.
En revanche, le personnel manque à l'appel. "A cette période là, à quelques jours de l'ouverture, on a tous les ans quelques désistements, quelques manques mais ce sont des unités. Alors que là, actuellement, on peut avoir sur certains centres d'accueil jusqu'à trois voire quatre personnes qui manquent. C'est beaucoup plus criant que d'habitude, c'est beaucoup plus dramatique."
Cette pénurie peut même aller jusqu'à mettre en danger certaines structures ou tout du moins remettre en cause certains de leurs projets. "On a un adhérent, les éclaireurs et éclaireuses de France, qui est spécialisé dans l'accueil d'enfants porteurs de handicap. Il a dû annuler trois séjours, faute d'équipe. Ceux qui sont vraiment pénalisés, ce sont les enfants qui ne seront pas en centre de vacances cet été."
30% des stagiaires abandonnent en cours de formation
L'épidémie de covid semble donc bien expliquer cette année la pénurie d'animateurs jeunesse. Selon les acteurs du secteur, il serait sans doute plus juste de parler d'effet accélérateur. "Depuis une bonne quinzaine d'années ça baisse tout le temps. Ça nous posait pas tant de problèmes que ça parce que la fréquentation des colos baissait. On avait moins d'animateurs mais on avait besoin de moins", raconte Jean-Jacques Fabre, "La crise covid a quand même accéléré le processus. Et c'est pas lié qu'à nos métiers. Dans la restauration, ils sont en flux tendus énormes. Il y a peut-être des jeunes aussi, quand ils peuvent se le permettre, qui vont partir en vacances."
Cette baisse du nombre d'animateurs est observée dès la formation au BAFA. "La formation est composée de trois étapes . Entre la première et la deuxième, il y a environs 30% des stagiaires qui s'arrêtent", explique Nell Divaret, "Soit parce que c'était seulement un job d'été soit pour des raisons financières : c'est un coût et malheureusement tout le monde n'a pas les moyens de se faire financer ou aider pour la formation." Pour l'ensemble de la formation, il faut compter entre 800 et 1000 euros.
Crise des vocations
Une somme non négligeable pour un job d'été et qui passe peut-être mieux quand on a la vocation. "Les liens se sont un peu distandus avec l'Education nationale", constate Jean-Jacques Fabre, "Avant, les animateurs, c'était de futurs enseignants, des futurs éducateurs. Là, on voit que dans les stages BAFA on a des jeunes qui ne se destinent pas forcément à ces métiers-là."
Tout comme Lou, Valentin, lui aussi en formation à Tailleville, a la vocation. Le jeune homme veut être éducateur. Le métier d'animateur constitue une première étape. Et pas forcément la plus facile. "Il y a de grosses responsabilités, surtout avec les plus jeunes, il faut les gérer, il ne s'agit pas seulement de s'amuser avec eux", prévient Valentin, "Et les rémunérations ne sont pas forcément à la hauteur du temps qu'on consacre aux enfants. Il faut savoir que les animateurs travaillent le matin, l'après-midi, ils font des prépas le soir aussi, ils font des veillées la nuit, et ça toute la semaine."
Des structures d'accueil fragilisées par la pandémie
Le président de l'UNAT de Normandie le reconnaît. "En termes de responsabilités, d'horaires de travail, on sait qu'il y a un sujet autour des salaires, pas très élevés, ça c'est sûr. Il y a aussi la disponibilité qu'on demande à ces gens là. Quand on part en colo, on est 24/24 sur place." Problème : augmenter les salaires ce serait augmenter le prix des séjours. "C'est là qu'on se retrouve en grande difficulté. On n'est pas aidé. Le droit aux vacances, on en parle beaucoup mais finalement, il n'y a pas beaucoup de dispositifs d'aide."
La question financière est d'autant plus délicate, selon Jean-Jacques Fabre, que certaines de ces structures ont été fragilisées ces derniers mois avec la disparition des classes découvertes en raison de la pandémie. "S'il n'y a pas un redémarrage de la saison avec un appui fort de l'Education nationale, on va avoir du mal à maintenir nos structures d'accueil. On ne peut pas fonctionner seulement huit semaines dans l'année."
Des formations "qui n'ont pas beaucoup changé depuis 40 ans"
Cet appel du pied à l'Education nationale, le président de l'UNAT de Normandie et secrétaire général de la Ligue de l'enseignement le lance aussi au sujet de la formation. "Il y a peut-être une réflexion à mener sur une certaine complémentarité avec l'Education nationale, par rapport à l'approche des métiers, de la formation, pour faire évoluer ces formations qui n'ont pas beaucoup bougé depuis 40 ans", estime Jean-Jacques Fabre, "La société bouge, les jeunes bougent, les envies, les attentes bougent. Ça vaudrait le coup de se mettre autour de la tables avec les professionnels de la formation et que l'éducation populaire soit bien en complémentarité de l'Education nationale."
En 2015, 3103 jeunes avaient obtenu leur diplôme du BAFA en Normandie. Ils n'étaient plus que 1811 en 2019, avant la pandémie, et 1376 l'an dernier.