Trente ans après le génocide au Rwanda, l'écrivaine et romancière Scholastique Mukasonga, continue de panser ses blessures. La survivante rwandaise qui a perdu toute sa famille pendant ce massacre vient de sortir un nouveau roman intitulé "Julienne" (Gallimard). Un livre consacré à sa sœur.
Écrire pour ne pas oublier et continuer son devoir de mémoire. Scholastique Mukasonga, écrivaine et romancière franco-rwandaise, vient de publier un nouveau livre intitulé Julienne aux éditions Gallimard.
L'histoire de Julienne se déroule à la fin des années 1950 du Rwanda. Une époque essentielle pour comprendre la vie des Tutsi. La jeune fille est née en exil dans son propre pays alors que l'apartheid est déjà imposé par le régime hutu. Ce roman raconte aussi la solitude glacée de Julienne dans une grande ville d’Europe, mais aussi un amour fou défiant le malheur et la mort : "Sa vie ne sera jamais un long fleuve tranquille", explique l'auteure.
Le deuil, sa source éternelle pour écrire
Sixième enfant, et qui plus est une fille ("Encore une fille", dira le père), Julienne n’est pas la bienvenue dans cette famille en proie à la famine. Petite fille chétive, malingre, elle est mise à l’écart par la communauté villageoise et ne trouve refuge qu’auprès de Lidia, sa grande sœur, et de Nzamurambaho, le bout de bois dont elle a fait sa poupée, sa seule amie, sa confidente :
C'est une victime collatérale. Julienne, c'est l'histoire de toutes celles qui ont eu une destinée d'éxilée.
Scholastique MukasongaEcrivaine et romancière
Scholastique Mukasonga sait parfaitement de quoi elle parle. La romancière de 68 ans qui vit à Hérouville-Saint-Clair, dans le Calvados, a perdu toute sa famille dans le génocide des Tutsi au Rwanda en 1994. Ce livre est d'ailleurs consacré à sa sœur. L'écrivaine avait fui au Burundi en 1973, alors que le climat s’assombrissait déjà. Elle a ensuite rencontré son mari, un coopérant français avec lequel elle est venue s’installer en France.
"Je suis une survivante", lance cette dernière. C'est par le deuil qu'elle se met à la littérature et à l'écriture. La romancière ne veut pas qu'on oublie ce massacre et se bat pour conserver la trace des disparus :
Je le répète souvent, c’est le génocide des Tutsi au Rwanda qui a fait de moi une écrivaine. Mes deux premiers livres, Inyenzi ou les cafards et La femme aux pieds nus, sont des tombeaux de papier que je devais ériger pour les miens mais aussi pour tout ceux qu'on ne connaît pas !
Scholastique MukasongaEcrivaine et romancière
La littérature pour le devoir de mémoire
"Leurs ossements sont enfouis dans des fosses communes ou encore dispersés dans la brousse, déchiquetés sous les dents des hyènes et des chacals. Je suis une survivante et mon devoir était de les exhumer de l’anonymat de ce massacre", ajoute-t-elle avec détermination.
À l'heure où les commémorations du 30ᵉ anniversaire du génocide au Rwanda ont lieu en France et dans le monde entier, Scholastique Mukasonga veut rappeler à quel point la littérature est une arme importante. Celle qui a été couronnée du prix Renaudot pour son roman Notre-Dame du Nil (Gallimard) en 2012 veut que la communauté internationale comprenne que ses écrits sont un moyen de faire passer des messages et de conserver la mémoire : "Mes livres sont traduits dans plusieurs langues, c'est une façon de se souvenir. Les témoignages, la mémoire restent inscrits, figés dans ces livres".
Et puis la littérature est aussi une façon de guérir ses blessures : "La douleur reste. Les rescapés et les survivants, nous devons nous nourrir de cette douleur. Le génocide, c'est la mort sans corps. Il faut que la mémoire perdure."
Quand vous êtes survivant vous culpabilisez. J'ai toujours ce sentiment d'injsutice en moi. Pourquoi moi j'ai survécu ? Alors j'écris et ça m'aide...
Scholastique MukasongaEcrivaine et romancière
Pour Scholastique Mukasonga, chaque livre écrit et publié est du poison en moins en elle pour pouvoir un jour, qui sait, atteindre la résilience.