Dans le bourg de Louvigny, près de Caen, des maisons mitoyennes en bois se fondent dans la verdure. Treize habitations qui respectent totalement l'environnement. Dans le cadre de #MaFrance2022 sur le thème de l'habitat et de l'environnement, nous sommes allées à la rencontre des ces propriétaires qui ne sont pas que des voisins et qui ont fait le choix de la culture de groupe.
Il est presque 21h... Dans la salle commune boisée, le poêle à granulés réchauffe la pièce. Pendant que certains bavardent et se racontent leur journée, d'autres trinquent et grignotent un morceau. Une vingtaine de personnes est présente et toutes sont des habitants d'un même quartier et bien plus que des voisins. Pendant plus de deux heures, ils vont s'amuser et passer un moment en musique. Pour eux, passer du temps les uns avec les autres est une habitude, c'est d'ailleurs même un mode de vie qu'ils ont choisi en vivant dans l'éco-quartier de Louvigny.
"Nos maisons sont écologiques mais c'est pour la culture de groupe qu'on vit ici"
Ici, les habitations sont mitoyennes, les façades sont faites de bois et les toits habillés de panneaux solaires. Marine, 37 ans, est propriétaire d'une des maisons, elle vient de l'acheter avec son compagnon. Lorsqu'on passe sa porte d'entrée, l'ambiance est douce et chaleureuse, le bois est particulièrement présent et des plantes poussent à chaque recoins de la pièce principale. Le long du mur, un poêle à granulés fait office de chauffage et elle nous explique que la maison est isolée grâce à de la paille entre les murs. Les matières premières qui respectent l'environnement sont au coeur de l'édifice. Mais en réalité, nous confit-elle ce n'est pas pour cela qu'elle a choisi de s'installer ici avec sa famille :"Je vivais déjà à Louvigny et j'ai toujours été intéressée par l'habitat participatif, on s'est même renseignés sur des projets près de Caen mais quand j'ai appris qu'une maison se libérait ici, on s'est lancé. Evidemment c'est génial d'avoir un logement écologique mais c'est surtout la culture de groupe que l'on recherchait. Ici on n'a pas de clôtures mais des espaces communs, c'est le centre même de ce lieu et on veut vivre avec une culture de groupe, des personnes qui peuvent nous apprendre des choses mais aussi à nos enfants".
Quand on ressort de chez elle, on arrive dans un jardin partagé et juste en face Sophie, 38 ans et Sylvain, 41 ans sont installés autour de leur grande table dans la salle à manger. Eux ont acheté leur maison en 2015, conquis également par l'idée d'un mode d'habitat moins conventionnel : "on avait envie de connaître le voisin et d'ailleurs ce ne sont pas que des voisins, ils représentent beaucoup plus" explique Sophie. Sa fille Soline, 8 ans et demi joue avec son petit frère Maceo, elle veut à tout prix prendre la parole et nous raconte avec un grand sourire "pendant le confinement on allait dans le jardin d'Annie qui vit à côté et elle nous racontait des histoires, c'était super". Des moments que vit cette famille avec les habitants de leur éco-quartier. Une fois par semaine, ils déjeunent avec leurs voisins. Ils peuvent compter sur certains d'entre eux pour s'occuper de leurs enfants lorsqu'ils doivent s'absenter. Pour Sylvain, il n'y a pas de doute : "on a un lien particulier, d'ailleurs on s'est mariés en février 2020 et on a fêté ça dans la salle commune, tous les voisins étaient invités".
Un boulanger bio dans l'éco-quartier
Un lien que les habitants qu'on appelle également les Z'écobâtisseurs partagent aussi avec le boulanger de l'éco-quartier. Tous les lundis, mercredis et vendredis, il ouvre son petit commerce entre 16h et 19h. Il travaille son pain et ses gâteaux que tous ici s'empressent d'acheter. D'ailleurs il est 16h30, un enfant prend une brioche aux chocolats et file jouer au ballon avec ses copains dans le jardin partagé. Puis deux autres habitants viennent prendre une baguette. Le boulanger discute avec eux. Ils se racontent leur journée. Le commerçant est installé ici depuis plus d'un an : "je ne vis pas sur place mais je me sens bien ici, j'ai l'impression de retrouver des copains lorsque les habitants viennent chercher leur pain". Un peu plus loin deux hommes refont le monde et rient aux éclats. Une habitante les rejoint et ils en profitent pour échanger sur les tâches qu'ils doivent effectuer dans les espaces communs durant les prochaines semaines. La boulangerie est un lieu de rendez-vous devant lequel tout le monde se retrouve régulièrement. Pour que le boulanger puisse travailler, les propriétaires lui font un prêt d'usage sans aucun loyer. C'est leur moyen de le soutenir et avoir ainsi un boulanger dans leur quartier.
En bons voisins, les Z'écobâtisseurs partagent donc un boulanger, une salle commune avec deux chambres d'amis, un garage, des espaces verts et même une unique tondeuse pour les treize maisons. Les familles croisées parlent tous de "partage" ou de "lien social". Ils nous racontent que parfois il y a bien entendu des "engueulades" mais c'est rare.
Pourtant à la base, lorsque ce projet avait été pensé il y a plus de dix ans, les initiateurs étaient des vrais militants avec un seul mot à la bouche "l'écologie". Des indépendants qui se sont battus pour imposer une façon de construire dans le respect de la nature. Pascal Gourdeau est un des co-fondateur de ce projet inédit dans la région à l'époque. Il a 65 ans et vit ici depuis le début. Tout en buvant son café, il bascule dans la nostalgie : "On mettait en avant l'éco-construction et on voulait montrer comment vivre avec l'écologie au centre de nos logements. Comment faire des économies d'énergies pour respecter notre Terre. On était des passionnés, rien ne pouvait nous arrêter" raconte-il avec le sourire en coin. Au fil des années, il a vu les choses évoluer : "Puis avec le temps c'est surtout une vie en commun qui a primé, le critère écologique est important mais il passe en second plan". Depuis que le projet a vu le jour, certains sont partis laissant place à des plus jeunes, des familles avec des enfants : "On se demandait au début comment ils allaient se comporter, si ça allait marcher...mais au final ils n'ont pas eu à s'adapter car ils recherchaient tous ce "vivre ensemble", c'était un principe chez chacun d'eux". Pour Pascal Gourdeau, ces onze ans d'expériences sont réellement positives.
Très peu d'habitats participatifs en Normandie
En Normandie, l'habitat participatif est très peu présent. À peine une vingtaine dans la région. Près de Caen, il y en a trois à ce jour et un quatrième est encore au stade de projet. La plupart des éco-quartiers en France aujourd'hui sont les propriétés de bailleurs sociaux. Tout le contraire de celui de Louvigny. Ici le projet est sorti de terre grâce à des habitants qui avaient le financement pour se lancer dans ce projet de vie. Des propriétaires tous plus ou moins issus du même milieu social, des "bobos" nous dit-on avec le sourire, certains sont artistes, enseignants ou membres d'associations. Pour Pascal Gourdeau :"Ce type de projet a un vrai coût, nous à l'époque on avait une partie des fonds. À Caen-la-Mer, c'est compliqué de dupliquer l'expérience car il n'y pas de politique publique, aucune promotion sur le foncier et donc si pas de foncier, pas de projets qui pourraient intéresser les citoyens, c'est vraiment dommage".
Aujourd'hui les habitats participatifs en Normandie tournent beaucoup autour de la solidarité et du vieillissement.
"Je ne veux pas vieillir seul"
À Louvigny la population est aussi vieillissante. 49% ont plus de 45 ans. Pascal Mézier est âgé de 64 ans, il est retraité. Quand une maison s'est libérée en 2019 à l'éco-quartier de Louvigny, il a tout de suite sauté sur l'occasion. Il nous invite chez lui dans sa maison où l'ambiance est zen. On s'installe sur des fauteuils devant sa grande baie vitrée qui baigne la maison de soleil : "Le vivre ensemble pour moi c'est un vrai choix de vie. Alors bien sûr il y a un prix à payer, j'ai appris à prendre ma place dans un groupe, à prioriser les envies du plus grand nombre et passer en second mes choix personnels, c'est une façon de vivre qui me va". Faire des compromis régulièrement mais toujours le coeur léger car Pascal ne veut pas vieillir seul : "Je suis divorcé et mes enfants sont grands, j'ai acheté cette maison en pensant à mes vieux jours et profiter de la vie au milieu de personnes qui ont mon âge mais aussi des plus jeunes".