"La Covid a révélé une manière de maltraiter la prise en charge de nos aînés" : un directeur d'EHPAD jette l'éponge

Directeur général adjoint de la Mutualité française en Normandie, Sylvain Meissonnier supervisait six EHPAD. Après 30 ans de carrière au contact des personnes âgées, il jette l'éponge. Il dénonce un système sociétal qui a privé son travail de sens.

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Ils sont tous un peu sonnés. Et perdus. Depuis un an, ils traversent tous ensemble la tempête du Covid. "C'est peut-être la pire année de ma carrière", confie Patricia Becq-Poinsonnet, directrice de l'EHPAD "les jardins d'Elsa" à Ifs, "On a vécu des choses vraiment terribles. Il y a des jours où on se demandait comment on allait pouvoir continuer notre prise en charge. C'était vraiment au jour le jour." Dans cette tempête, les équipes des EHPAD du groupe ont pu compter sur Sylvain Meissonnier, le directeur général adjoint. "C'était le chef d'orchestre", raconte Maxime Montagne, médecin coordonnateur. "Il avait un rôle de soutien, d'encouragement. Il nous amenait ce dont on avait besoin quand c'était possible", explique Patricia, "Il nous a aidé à tenir." Mais aujourd'hui, le capitaine a décidé de quitter le navire. 

Et l'éclaircie tant attendue depuis des mois de s'éloigner encore plus dans l'esprit des personnels. "La réalité, c'est que c'est vous les forces vives", lance Sylvain Meissonnier à ses collaborateurs abattus, comme pour les consoler, "C'est vous, des directeurs aux aides-soignantes, des personnes qui font le ménage à celles qui sont en cusine, c'est vous qui faites le quotidien de nos aînés. En réalité, des gens comme moi on est là que pour vous dire : vous avez des projets, on va vous soutenir. Mais ce ne sont que des mots. L'action, c'est vous qui la menez. C'est vous qui faites vivre cette qualité d'accompagnement et de respect qu'on doit à nos aînés."

"Je ne veux plus faire semblant de croire à un système"

Si le directeur général adjoint a foi en ses équipes, la crise de la covid a balayé ses dernières illusions. "On continue à ne pas se poser les bonnes questions sur la prise en charge, l'accompagnement, le respect qu'on doit aux personnes du grand âge", estime Sylvain Meissonnier, "Le choix que je fais c'est de ne plus être à la manette pour abîmer la relation avec les résidents, les familles et le personnel (...) Je ne veux plus faire semblant de croire à un système auquel je ne crois plus." Un système au sens large, à l'échelle de toute la société.

L'objectif, c'est le bien-être des gens à qui on doit le respect, des gens qui nous ont nourris, des gens qui nous élevés"

Sylvain Meissonnier

Pour le capitaine, la boussole est cassée. "Quand on s'occupe d'un public malade, fragilisé par l'âge, on ne peut pas rentrer dans la question de l'accompagnement et de la prise en charge par la donnée économique", pense celui qui se présente pourtant comme un gestionnaire, "La donnée économique, c'est un résultat. Ça ne peut pas être l'objectif de départ. L'objectif, c'est le bien-être des gens à qui on doit le respect, des gens qui nous ont changés, qui nous ont nourris, qui nous ont élevés, qui ont payé nos études." Et de citer l'exemple des repas. "Est-ce que c'est respectueux d'imaginer de continuer à faire manger des résidents pour 5€10 par jour ? Nous, à 5€10, on est plutôt cher. La moyenne nationale c'est plutôt 3€50. Est-ce que vous imaginez manger quatre repas par jour pour 3€50 ?"

Des sacs poubelle pour habiller le personnel

Les aînés ne sont pas les seules victimes du système que dénonce Sylvain Meissonnier. "Ça fait 25 ans qu'on dit que les personnels des EHPAD sont les oubliés d'un système social". Le Ségur de la santé apparait selon lui comme un premier pas en avant mais "il a fallu attendre six mois avant qu'il soit décliné dans les établissements privés non lucratifs". Et le compte n'y est pas. "Les aides-soignantes de nos établissements vont bénéficier d'une revalorisation mais pas celles qui interviennent à domicile. Or, depuis 25 ans, on nous dit qu'il faut développer la prise en charge à domicile. Au bout d'un moment, quand on se lève le matin, on a besoin d'avoir du sens."

La considération financière ne passe pas que par les salaires. Le début de l'épidémie en France a été marqué par le manque d'équipements de protection. "Dans les EHPAD, on habillait les personnels avec des sacs poubelle", rappelle Sylvain Meissonnier, "C'est juste ça la vraie vie. Combien de temps, en tant que dirigeant, je vais continuer d'accepter qu'on habille des soignants avec des sacs poubelles ?"

Quelqu'un, qui n'a sans doute jamais mis les pieds dans un EHPAD, décide de quelque chose et l'annonce dans un bureau"

Sylvain Meissonnier

Un manque de respect des pouvoirs publics qui, selon lui, va bien au-delà des moyens attribués. "Je n'ai pas envie de continuer à cautionner un système où on apprend le dimanche soir à 2O heures à la télévision que les visites vont reprendre le lendemain. Après vous avez l'ARS qui vous dit : ne vous inquiétez pas, on va vous envoyer une note pour vous expliquer comment organiser ces visites mais vous l'aurez jeudi ou vendredi. Nous sommes en plein milieu d'un désastre de communication où quelqu'un, qui n'a sans doute jamais mis les pieds dans un ehpad, décide de quelque chose et l'annonce dans un bureau."

Hôpital ou prison

Cette envie de jeter l'éponge, Patricia Becq-Poinsonnet, directrice de l'EHPAD "les jardins d'Elsa" à Ifs, reconnait, après un instant d'hésitation, qu'elle lui a traversé l'esprit. Le 17 octobre dernier, un premier cas positif est signalé dans son établissement. Très vite, la spirale infernale s'enclenche. 90 résidents sur 100 sont touchés par le virus. "Notre établissement ressemblait plus à un hôpital qu'à un EHPAD." Le personnel n'est pas épargné. Le coronavirus frappe aussi les salariés. Et les familles frappent aux portes, angoissées par le sort de leurs parents. "J'avais plus l'impression de tenir une prison qu'un EHPAD. Pour moi, ce n'était pas entendable."

Mais "l'équipe a vraiment tenu le choc", raconte Patricia Becq-Poinsonnet. Durant cette période où le personnel est sur le pont du lundi au dimanche, le contact avec Sylvain Meissonnier est permanent. "On avait des réunions tous les jours. On pouvait appeler n'importe quand. Il y avait toujours quelqu'un qui nous répondait." Le directeur fera même venir un glacier devant l'établissement pour réconforter personnels et résidents.

Depuis le début de la crise, Sylvain Meissonnier tente, selon ses équipes, de répondre à leurs besoins mais aussi de "créer des liens entre les EHPAD, faire de l'échange d'expérience, créer une entraide et la chapeauter", indique le médecin coordonateur, alors que les consignes des autorités sanitaires "pouvaient être en contradiction d'une semaine ou d'un jour à l'autre". Et d'adapter les ordres venus d'en haut à la réalité du terrain. "Il réfléchissait toujours dans l'intérêt des résidents et des familes."

Si la période la plus sombre de cette crise semble être passée dans ces EHPAD, les effets du coronavirus continuent de se faire sentir. "On se rend compte que toutes les nouvelles entrées sont des entrées trop tardives. Ces personnes auraient dû rentrer plus tôt. Mais à cause de la pandémie, pour X raisons, elles n'ont pas pu rentrer dans l'EHPAD et finalement elles arrivent très fatiguées, avec un état très altéré", raconte Maxime Montagne, "On a énormément de décès dans les jours qui suivent les entrées, une à deux semaines après l'arrivée de ces personnes. Elles ont tenu tout ce qu'elles ont pu au domicile, dans des conditions assez précaires d'isolement.Toutes les conséquences de cette pandémie, tout cet isolement, cette non accessibilité aux soins, on le ressent maintenant."

"Bousculer un peu tous ces vieux modèles"

Après trente ans de carrière, Sylvain Meissonnier quittera ses fonctions le 30 juin prochain. "Si on continue malheureusement à donner envie aux passionnés de ne plus être passionné, demain, dans des établissements comme les EHPAD, on ne fera plus que des gestes techniques. Et ça, clairement, ça ne m'intéresse pas du tout", prévient le futur ex directeur, qui envisage son départ plus comme une parenthèse que comme point final. "Je veux faire le point sur cet engagement de près de 30 ans, chercher à quel endroit je peux être utile pour faire évoluer les choses. Le prochain point de chute devra avoir du sens et permettre de bousculer un peu tous ces vieux modèles."

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