"Les routes c'est comme les vêtements, il faut penser au recyclage" : les chantiers de routes peuvent-ils être plus verts?

Elles sont indispensables à nos déplacements quotidiens, mais on ignore souvent que les routes et leur construction contribuent au réchauffement de la planète. Le bitume est un dérivé direct du pétrole. Des solutions ont été développées pour les rendre plus "vertes". Est-ce vraiment possible ?

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C'est un chantier modèle qui pourrait inspirer les entreprises chargées de construire les routes. C'est ce qu'avance Pascal Gabet, directeur de la Direction interdépartementale des routes Nord-Ouest. Sur cette petite portion d'A84 - l'autoroute qui relie la Normandie et la Bretagne, l'enrobé a été recyclé à plus de 80%.  

"C'est une part très importante de recyclage, on aura du mal à faire mieux, voire à faire pareil pour les prochains chantiers. Là il y a eu des opportunités" se réjouit Pascal Gabet.

Comme pour les vêtements, recycler des routes c'est possible

Concrètement, les 35 km de voirie ont bénéficié d'un traitement spécial. Le responsable de la DIR Nord-Ouest résume les étapes : "il a fallu d'abord gratter l'ancien enrobé et le récupérer, puis laisser sécher les cailloux mélangés à l'ancien bitume. Et enfin les refaire fondre en les mélangeant dans une centrale adaptée."

Deux autres facteurs contribuent au verdissement de ce nouvel enrobé en partie recyclé. "Nous avons pu aussi récupérer sur place des cailloux qui se trouvaient déjà sous l'enrobé, ils étaient de bonne qualité et en quantité. Et l'entreprise chargée du chantier a amené sur place sa centrale mobile".

Cela a évité d'extraire en grande quantité des cailloux ou granulats d'une carrière. Carrières dont les ressources se trouvent limitées. Par ailleurs, la proximité immédiate de la centrale a évité des rotations de camions et donc des émissions de carbone dans l'air.

Avant nous étions les méchants, ceux qui émettent beaucoup de gaz à effet de serre. On pensait qu'on n'arriverait pas à décarboner notre activité. Et puis on s'est dit qu'il fallait avancer.

Pascal Gabet, Direction interdépartementale des routes Nord-Ouest

Décarboner ce secteur n'était pas une évidence. Mais c'est obligatoire. La loi énergie et climat fixe des objectifs de neutralité carbone d'ici 2050. Le bitume, ce liant qui colle les cailloux, est un produit dérivé du pétrole. S'il est difficilement remplaçable, des entreprises du secteur cherchent des solutions depuis des années. 

On s'est dit, comme pour les vêtements, qu'il fallait éviter de fabriquer de l'enrobé à usage unique. On est entré par la théorie du recyclage dans la décarbonation, et ça marche.

Pascal Gabet, DIR Nord-Ouest

C'est le cas de la SPIE Batignolles. L'entreprise s'intéresse à la question depuis 15 ans et a fait le choix d'intégrer des matériaux recyclés à ses enrobés. Alors il a fallu adapter les centrales de production et la recette. 

Les routes recyclées coûtent-elles plus cher ?

"La question du recyclage s'est posée il y a 15 ans : quand on renouvelait une chaussée, on se retrouvait avec des montagnes de matériaux stockés chez nous. C'était une vraie problématique économique " estime Michel Willem, directeur technique de la SPIE Batignolles Le Foll.

Yann Aubry, le directeur général poursuit : " aujourd'hui, on ne met pas de paillettes dans les yeux en recyclant les anciens enrobés. C'est une vraie réponse économique et environnementale, c'est du bon sens." 

On peut réduire sur un chantier les émissions de tonnes de CO2 de 20 à 30 % grâce aux mesures qui limitent les gaz à effet de serre

Yann Aubry, directeur général SPIE Batignolles Le Foll

La modification de leur outil industriel a représenté un surcoût selon le directeur d'environ 1 à 2 millions d'euros par centrale. L'entretien coûte aussi plus cher tous les ans. Ce qui devrait peser sur la facture totale. "On ne se pose plus la question, cela fait partie de notre modèle économique. On absorbe une partie du surcoût grâce aux économies d'achat de matière première comme les granulats" estime le directeur. 

De son côté, la DIR Nord-Ouest se dit prête à payer plus cher pour décarboner les chantiers: "On sera prêt à payer parce que c'est l'Etat qui a fixé l'objectif de diviser par deux les émissions de GES."

C'est une ligne de conduite . Aujourd'hui on demande 20 à 30% d'enrobé recyclé quand on passe commande d'un chantier, on tend vers 50 % pour les chantiers en 2026

Pascal Gabet, DIR Nord-Ouest

Pour voir baisser les coûts, Pascal Gabet compte sur la généralisation des procédés : "On parle en millions d'euros. Si le chantier commandé est unique, alors oui bien entendu les surcoûts existent. Mais si plusieurs maîtres d'œuvre ont la même exigence, l'amortissement sera possible sur la durée et sur l'ensemble des clients."

Peut-on vraiment verdir la fabrication des routes ?

La réponse est "oui" - sans surprise - du côté de l'entreprise de travaux publics SPIE Batignolles Le Foll. Un expert de l'université Gustave Eiffel s'accorde avec l'industriel. Pour Emmanuel Chailleux, qui mène des recherches sur le bitume "vert", le secteur prend une bonne direction. "La réduction de carbone dans ce secteur n'est pas aisée à réaliser, beaucoup d'éléments entrent en compte. Mais ça va dans le bon sens. Aller chercher des matières renouvelables est une bonne voie." Selon lui, il est urgent d'avancer.

Il faut lancer la machine et si on constate que les routes ne sont pas durables dans le temps, peut-être faudra-t-il revenir en arrière, mais il faut d'abord essayer

Emmanuel Chailleux, chercheur à l'université Eiffel

Un bitume végétal à l'étude

En plus du recyclage, lui s'est penché sur le bitume "végétal" issu des déchets de l'industrie du papier. "En utilisant ces résidus, cela évite qu'ils soient brûlés. On les garde captifs en les incorporant comme liant pour les enrobés. On fait le pari que ce liant est recyclable à l'infini mais il va falloir faire des essais". 

Côté durabilité, cette alternative au dérivé de la pétrochimie serait prometteuse. Emmanuel Chailleux a mené une étude scientifique avec Eiffage sur ce bitume et les tests s'avèrent encourageants. "Nous avons mené des essais de vieillissement accéléré en laboratoire, en simulant des charges lourdes. On pensait que le matériau serait plus fragile qu'un enrobé conventionnel et dans notre cas, ça a été l'inverse" constate Emmanuel Chailleux. 

Pour décarboner la construction de nos routes, d'autres pistes ont été testées comme limiter les températures de production des enrobés. Au lieu d'être chauffé à 160°C, l'enrobé est fabriqué à 120°C. Cela nécessite moins d'énergie. Ce n'est pas anecdotique quand les chaudières des centrales tournent au fuel. 

Quant aux camions qui circulent pour amener les matériaux, les convertir à l'électrique est une piste - encore lointaine.

 

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