Elles sont naturelles, gratuites et leur croissance est rapide. Voici l'autre visage des sargasses, ces algues brunes qui s'échouent l'été sur certaines plages normandes. Loin d'être une plaie, elles peuvent même soigner quand on les transforme en pansement, ou servir d'engrais en agriculture. La filière des algues normandes a de l'avenir...à condition de lever les freins à leur exploitation

Au printemps, on les aperçoit sur l'estran uniquement quand la mer s'est retirée au loin, lors des grandes marées. Il faut alors dépasser le sable. Atteindre des zones rocheuses, un milieu que les sargasses affectionnent pour s'implanter. 

Une algue implantée sur les fonds marins normands depuis 50 ans

Ces algues brunes ne sont qu'une espèce parmi les centaines qui colonisent le littoral normand. Mais les sargasses ont mauvaise réputation : dans les Antilles, elles s'échouent par dizaines de tonnes sur des plages devenues inaccessibles aux locaux et aux touristes. Et elles se sont révélées invasives. Celles installées en Normandie depuis les années 70 proviennent d'Asie - du Japon plus exactement. 

Sébastien Pien, chargé de mission au SMEL (Synergie mer et littoral) revient sur l'image négative qui colle à la Sargasse : "Son aire de répartition est plutôt stable en Europe, et ici cette algue brune n'est pas dangereuse parce qu'on n'est pas sur les mêmes quantités qu'aux Antilles lors des échouages sur les plages."

La période de croissance de la Sargasse a déjà commencé. On la trouve parfois l'été échouée par tonnes sur le sable de Courseulles-sur-mer ou de Bernières, arrachée de son platier rocheux lors d'épisodes venteux. Attention tout de même, tous les échouages massifs ne sont pas systématiquement des sargasses, il s'agit parfois d'algues vertes. 

Récolter directement en mer les sargasses 

Sébastien Pien ne peut que constater : "pour le moment, on les laisse s’échouer, ce qui pose des problèmes aux communes du littoral, mais on pourrait les utiliser : 20 000 tonnes sont exploitables entre les côtes du Calvados et celles de la Manche. Le sujet, c'est de savoir si on peut les récolter en mer. Jusqu'à présent, on a plutôt tenté de les transformer une fois ramassées à terre, à titre expérimental. Mais il faudrait les récolter sur l'estran à marée haute, depuis un bateau." 

Mais ça, on n'y est pas encore. La récolte de sargasses en mer n'est pas autorisée en Normandie. La filière se construit petit à petit, une association "Normandie filière Algues" vient tout juste de naître le 13 mai pour fédérer chercheurs et industriels, comme Algaïa. L'entreprise basée à Saint-Lô exploite déjà depuis des années différentes espèces d'algues, et s'est penchée sur la saragasse. Algaïa est d'ailleurs le premier transformateur français d'algues. 

Gobelets, pansement, film alimentaire et cosmétique à base de sargasse

Franck Hennequart directeur de l'entreprise Saint-Loise, insiste sur la diversité des produits qui ont déjà pu être fabriqués à partir de la poudre extraite de cette algue invasive. La liste est longue. "On sait faire des gobelets biodégradables, de la fibre pour pansement cicatrisant. On fabrique des films alimentaires entièrement comestibles qui remplacent le plastique. Nous faisons aussi de l’encapsulation comme du vinaigre en billes pour déposer sur des huîtres ou des bactéries probiotiques. Enfin, on adapte des crèmes cosmétiques."

Il faut du volume pour que ces produits soient viables économiquement, et on en aura avec les sargasses

Franck Hennequart, Algaïa

 La sargasse promet aussi des applications agricoles : soit comme engrais, soit comme fixateur : dans ce dernier cas, les semis trop légers et emportés par le vent peuvent être alourdis et fixés au sol grâce aux propriétés de l'algue brune. 

Les freins à l'exploitation de l'algue brune

Face à tant d'utilisations, l'exploitation de cette ressource naturelle pourrait s'imposer, mais des freins subsistent. " À l’heure actuelle en Normandie, on n’a pas les autorisations pour aller récolter ces sargasses et nous travaillons à l’échelle régionale et nationale pour obtenir ces autorisations de manière constructive" expose Franck Hennequart. 

Alors pourquoi la Bretagne occupe-t-elle déjà le terrain ? " Chez nos voisins, des licences qui autorisent l’exploitation des algues sont utilisées depuis des dizaines d’années, mais ce système de licences n’existe plus en Normandie, elles ont été abandonnées au fur et à mesure." 

Il est aujourd’hui plus complexe de remettre à flots le système de licences qui autorisent la récolte des algues

Franck Hennequart, directeur d'Algaïa

La France est pourtant leader européen dans la production d'algues, avec un volume qui varie entre 50 000 et 70 000 tonnes par an et ce sont à 99% des macroalgues (comme les sargasses normandes). Le développement et la structuration de la filière sont un enjeu évident. D'autant que les sargasses ne sont pas valorisées par les principaux producteurs d'algues que sont les Bretons. 

 

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