Elisabeth Borne a été nommée Première ministre lundi soir par Emmanuel Macron. L'ex ministre du travail était déjà candidate aux législatives dans la sixième circonscription du Calvados. Sa candidature est maintenue. Outre son projet politique, la candidate doit également convaincre sur son attachement au territoire.
Lundi soir dans le centre-ville de Vire, l'épisode orageux semble terminé et les clients profitent de l'embellie pour prendre un verre sur les terrasses des cafés. La rumeur qui bruissait tout au long de la journée vient d'être confirmée. Trois semaines après sa réélection, le président de la République vient enfin de nommer son nouveau premier ministre. Une première ministre, la deuxième de l'Histoire de France.
Et c'est d'ailleurs l'information que retiennent ceux qui ont suivi l'actualité ces dernières heures. "Je n'ai pas du tout suivi", s'excuse d'abord un jeune homme, "J'ai appris que c'est une femme, c'est bien, c'est intéressant, ça va peut-être apporter d'autres choses". Son voisin de table, d'un âge plus avancé, approuve : "Tant mieux pour l'égalité homme-femme !" Quelques mètres plus loin, l'analyse se fait plus politique. "Première ministre ou premier sinistre ?", lâche pince-sans-rire un autre client, "Il faut faire attention à ne pas dépasser les bornes, il faut être très attentif, il faut être sérieux sur la question sociale. Ça sent le souffre en France tout de suite."
Une femme chef du gouvernement, c'est ce que retiennent de prime abord les quelques électeurs virois rencontrés ce lundi soir par notre équipe. La candidature d'Elisabeth Borne dans cette circonscription, la sixième du Calvados, suscite, elle, peu de réaction, entre ignorance et indifférence. Elle est pourtant officielle depuis le 6 mai dernier. Et c'est à Vire que la ministre du travail de l'époque avait donné le coup d'envoi de sa campagne. Une campagne qui reste aujourd'hui d'actualité, comme l'a rappelé dans la soirée le délégué général de La République En Marche, Stanislas Guérini.
Municipales, régionales, le nom d'Elisabeth Borne a été plusieurs fois évoqué ces dernières années dans l'hypothèse d'une candidature à une élection en Normandie. Mais la ministre n'a finalement franchi le pas que récemment. "Elisabeth Borne répond aux critères de la technocrate, ce qu'elle est et ce qu'elle ne saurait nier. C'est une X-Ponts (ndlr : diplômée de Polytechnique et de l'école des ponts et chaussées) qui a fait toute sa carrière dans les cabinets ministériels avant d'être ministre. Son enracinement fut un temps d'être préfet (Poitou-Charentes et Vienne) et c'est tout", rappelle le politologue Christophe Boutin. "La légitimité électorale reste la grande légitimité dans une démocratie. Dans une démocratie, le peuple est souverain et quelle meilleure légitimité a-t-on que celle d'avoir été choisie par le peuple souverain ?" Et de rappeler l'exemple de Raymond Barre qui, une fois nommé premier ministre, brigua le suffrage des électeurs lyonnais. "Cette volonté d'aller trouver une autre source de légitimité complémentaire que celle qui vient de la compétence n'est pas quelque chose de nouveau."
Une circonscription favorable à Elisabeth Borne ?
A première vue, cette sixième circonscription du Calvados apparaît favorable pour la nouvelle cheffe du gouvernement. Le député sortant LREM Alain Tourret avait terminé en tête au premier tour de 2017 avec 37% des voix et remporté l'élection avec plus de 68% des suffrages. "J'ai pu la côtoyer ces derniers mois et apprendre à la connaître, on a beaucoup travaillé sur cette candidature sur la circonscription. Elle mérite tout à fait cette nomination", se félicite Marc-Andreu Sabater, le maire de Vire. "Je suis aussi heureux pour notre territoire. Elle a créé un lien assez fort ces derniers mois avec les habitants et avec nous-mêmes, les élus. C'est quelque chose qui facilitera les choses avec le plus haut sommet de l'Etat", veut croire l'élu local.
Attention toutefois au syndrome du parachuté. "Il faut distinguer deux types de racines pour les politiques : d'une part l'enracinement électoral (...) d'autre part l'enracinement familial : on est depuis longtemps sur cette terre", souligne le politologue Christophe Boutin, "Ces deux enracinements viennent contrebalancer le côté hors-sol qu'ont parfois trop souvent les politiques, notamment lorsqu'ils sont de purs technocrates. Cela vient adoucir leur image." Elisabeth Borne semble en avoir conscience et clamait dès l'officialisation de sa candidature "le Calvados, c'est le berceau de ma famille", rappelant notamment que son grand-père maternel avait été maire de Livarot durant plusieurs années (1939-1953).
Des premiers soins pour Rommel
Une rue de la commune porte d'ailleurs le nom du grand-père de la Première ministre, Marcel Lescene. "Il était pharmacien à Livarot et avait repris la pharmacie de son père, l'arrière grand-père d'Elisabeth Borne qui s'appelait Louis-Désiré Lescene", raconte Frédéric Legouverneur, maire de Livarot, qui ne résiste pas au plaisir de livrer une page d'histoire de la ville. "Le 17 juillet 44, il a été appelé en urgence, par défaut de médecin disponible, pour soigner le maréchal Rommel qui venait d'être blessé, assez grièvement, dans un petit village à côté, mitraillé par un avion anglais. Le chauffeur était mort sur le coup et Rommel était assez mal en point avec un double trauma crânien. Marcel Lescene, qui était à l'époque maire et pharmacien, lui a prodigué les premiers soins." Si les habitants les plus âgés connaissent cette anecdote, peu d'entre eux font le rapprochement avec la nouvelle première ministre.
"Ce n'est pas le même nom, c'est Lescene, je ne pense pas que tout le monde soit au courant de cette parenté." Et ce d'autant plus que les Livarotais ont peu d'occasion de croiser la descendante de l'illustre maire. "Je pense qu'elle n'a pas trop de temps de venir vu sa charge de travail. Si elle était venue depuis qu'elle est ministre et donc beaucoup plus connue, on aurait pu la remarquer", indique Frédéric Legouverneur.
Un candidat cache l'autre ?
"Madame Borne est née à Paris, elle vit à Paris, elle travaille à Paris, elle vient ici pour chercher un mandat", balaye d'un revers de la main François Ormain, l'un de ses adversaires sur cette sixième circonscription du Calvados. Le candidat revendiquant une affiliation au groupe parlementaire "Liberté et territoires" estime même que cette nomination à Matignon la rend "moins légitime". Le véritable adversaire selon lui, "c'est son suppléant", Freddy Sertin, virois de souche très implanté la vie économique et politique du territoire. Elisabeth Borne ne peut lui donner tort, elle qui déclarait au début du mois : "si le président me fait de nouveau confiance, c'est mon suppléant qui sera à l'Assemblée nationale".
A gauche, le candidat LFI-NUPES Noé Gauchard ne s'attarde pas sur l'ancrage territorial réel ou supposé de la candidate et se réjouit d'affronter sur le terrain la Première ministre. "C'est l'occasion d'avoir le représentante de tout le bilan Macron des cinq dernières années avec ses trois postes de ministre et puis des cinq prochaines années et programme qu'elle veut mettre en place, notamment la retraite à 65 ans. Ça va être l'occasion de mener campagne contre ce symbole de la politique macroniste dont les gens ne veulent plus", espère le représentant de la nouvelle union populaire dont le leader appelle les électeurs à faire de lui le prochain chef du gouvernement. Jean-Luc Mélenchon ne se privera peut-être pas du plaisir et de l'opportunité de venir sur place apporter son soutien à Noé Gauchard.
Si la constitution n'impose pas au chef du gouvernement d'être député, une défaite locale pourrait avoir pour Elisabeth Borne des conséquences fâcheuses en termes de "légitimité" ou tout du moins d'image. Dans la sixième circonscription du Calvados, ils sont huit candidats à briguer la succession du député sortant Alain Tourret.
Les huit candidats déclarés au 17 mai dans la 6e circonscription du Calvados
- Bruno Battail, parti animaliste
- Elisabeth Borne, La République En Marche
- Valérie Dupont, Reconquête
- Noé Gauchard, La France Insoumise
- Mickael Guettier, Debout La France
- Lynda Lahalle, Les Républicains
- François Ormain, Libertés et Territoires
- Jean-Philippe Roy, Rassemblement National