Juan Pujol Garcia, un agent double espagnol, mystifia l'Allemagne nazie en lui fournissant de faux renseignements sur le débarquement en Normandie. Des documents déclassifiés publiés ce mercredi au Royaume-Uni permettent de le découvrir sous un nouveau jour.
Juan Pujol Garcia, nom de code "Garbo", était une des pépites du MI5, le service de renseignement intérieur britannique. "Le plus grand agent double de la Deuxième Guerre mondiale, et peut-être de tout le XXe siècle", estime même l'historien britannique Christopher Andrew. L'espion était à ce point efficace que le régime hitlérien lui a remis la Croix de fer.
Garbo s'est notamment illustré au cours de la vaste campagne de désinformation organisée pour tromper les Allemands quant au lieu et à la date choisis pour le débarquement du 6 juin 1944. Il leur avait transmis des informations indiquant que la Normandie "était une opération de diversion à grande échelle" et que le jour J se déroulerait en fait dans le Pas-de-Calais (nord de la France), écrit Tomas Harris, l'agent britannique chargé de son suivi, dans une note du 13 juin 1944 figurant parmi des documents rendus publics par les archives nationales britanniques.
Le Catalan, apparemment motivé par une haine du communisme et du fascisme plongeant ses racines dans la Guerre civile espagnole (1936-39), a commencé sa carrière dans le renseignement en fournissant aux Allemands, de Lisbonne où il vivait, de fausses informations sur le Royaume-Uni.
Pour rendre ses mensonges plus crédibles, Juan Pujol Garcia pioche dans diverses sources d'informations à sa disposition, un "Guide bleu (un guide touristique), une carte de l'Angleterre, des horaires périmés de train", explique une note du MI5 datée du 12 juillet 1943. "Il avait un style simple et vivant, une grande ingéniosité et un zèle fait de passion et d'idéalisme dans son travail", ajoute le document.
Il manipule même sa femme
Recruté par les Britanniques, l'agent double débarque clandestinement à Londres en 1942. Mais cette nouvelle vie ne plaît guère à son épouse, Araceli, qui, le 21 juin 1943, menace de le quitter et de se rendre à l'ambassade d'Espagne pour révéler ses activités au régime franquiste. Plus tard, un agent du MI5 la découvre "assise dans sa cuisine, les robinets de gaz grand ouverts".
Tomas Harris raconte comment Garbo monte un plan digne de sa réputation pour faire croire à sa femme, que le Britannique qualifie d'"extrêmement émotive et névrotique", qu'il a été arrêté en raison de son comportement, afin de la calmer et de l'empêcher de recommencer.
Elle est même conduite dans un camp réservé aux interrogatoires pour rendre visite à Garbo et présentera ses excuses deux jours plus tard, jurant de ne "jamais faire quoi que ce soit qui puisse compromettre" son travail. "L'ingéniosité extraordinaire avec laquelle il a conçu et mené à bien ce plan a peut-être sauvé une situation qui aurait pu autrement se révéler ingérable", souligne Tomas Harris.
Après la guerre, l'espion se rend en Angola, simule sa mort, et part recommencer une nouvelle vie au Venezuela, où il meurt en 1988.