Les musiciens de l'Orchestre régional de Normandie, hébergés à Mondeville, et ceux de l'opéra de Rouen pourraient-ils fusionner ? Son principal financeur, La Région, l'a fait savoir par la voix de son président, Hervé Morin. Sauf qu'en ex-Basse-Normandie, certains ne l'entendent pas de cette oreille
Ce dimanche, l'Orchestre régional de Normandie joue. Nielsen et Mozart au théâtre de Caen à 15H30. Et à 16H30, à la médiathèque de Fontaine-Etoupefour, Intérieurs, une création qui met en lumière le peintre danois Vilhelm Hammershoi. Ainsi va la vie à l'ORN*.
Cet après-midi résume bien le ryhtme de ces musiciens, qui accomplissent à la fois leurs missions de création ET de médiation sur tout le territoire et pas seulement dans les grandes salles, aux lustres dorées. Toute l'année, ils suivent un sacré tempo, en proposant rien que pour cette saison 364 concerts. Pratiquement un par jour.
*Orchestre régional de Normandie
"Nous sommes très attachés à notre orchestre et je ne dis pas ça parce qu'il est hébergé sur notre commune à Mondeville. Mais parce qu'il a un rayonnement sur tout le territoire, dans la Manche, l'Orne et le Calvados. Ces musiciens sont très précieux, souples et s'adaptent partout aussi bien dans des écoles, salles des fêtes, là où personne ne va, que sur de grandes scènes nationales, partout en France. D'ailleurs depuis quelques jours, je reçois des appels d'élus inquiets, qui se demandent si leurs actions culturelles au plus près du public vont perdurer", explique Hélène Burgat, maire de Mondeville.
Des élus craignent les fausses notes
Cette dissonnance est-elle dû à un malentendu ? Ou à un désaccord plus profond ? Récapitulons ... L'histoire de cette fusion a déjà été mise sur la table, après la réforme territoriale en 2015. Puis, remise au tiroir.
Depuis 2018, les deux orchestres se sont rapprochés. Ils jouent même ensemble de temps en temps, au sein du pôle « Normandie Lyrique et Symphonique ». Mardi 16 novembre, tous répétaient sur le plateau de Rouen, lorsque le président Hervé Morin, accompagné du directeur de l'Opéra leur a annoncé qu'il souhaitait créer une seule et même entité.
"Cela a jeté un froid", racontent des musiciens. D'autant plus glacial, que cette éventualité n'a même pas été évoquée, lors du dernier conseil d'administration, en octobre, où figuraient des élus de la Région. Cerise sur le gâteau, le directeur de l'Orchestre régional de Normandie, Pierre-François Roussillon, n'a pas été convié à assister à cette officialisation.
Il y a eu un silence de mort. Certains n'en ont pas dormi de la nuit
Dans l'équilibre Caen/Rouen, qui avait été promis en 2015 par le président Morin, c'est quelque chose de grave. On a l'impression qu'ils veulent renforcer Rouen. Et nous, qu'est ce qui va nous rester ? Les miettes ?
Des parlementaires et des élus de tous bords se mobilisent
La maire de Mondeville a mobilisé une cinquantaine de maires, toutes étiquettes confondue, de l'ex Basse-Normandie, pour protester contre ce projet de fusion. Les parlementaires du Calvados ont également co-signés une lettre de la députée PS de Caen Laurence Dumont, adressée à Hervé Morin, le Président de la Région Normandie, pour lui demander de sursoir à la fusion. Un courrier signé par les députés LREM du Calvados , Fabrice Le Vigoureux et Alain Tourret, ainsi que par la députée européenne et conseillère régionale d'opposition Stéphanie Yon-Courtin et la sénatrice socialiste Corinne Féret.
Objectif ? Le label "Orchestre national en Région"
De son côté, la Région se montre rassurante. "On ne veut pas bouleverser le fonctionnement actuel. L'idée, c'est de garder les deux sites, celui de Mondeville et celui de Rouen, mais aussi de continuer à irriguer tout le territoire normand. Moi-même, je suis élu dans une petite ville sur un territoire où l'ORN se produit régulièrement et je vois l'engouement que ça représente. J'y suis très attaché, comme l'est le président Morin. Donc il n'y a pas d'inquiétude à avoir. De même, l'idée n'est pas de baisser le budget de fonctionnement et de faire des économies, soyons clairs. On vise l'excellence." explique Patrick Gomont, maire de Bayeux et vice-président de la Région en charge de la culture et du patrimoine.
La finalité du projet serait en effet l'obtention du label « Orchestre national en région ». C'est, certes, une belle reconnaissance, mais surtout le moyen de recevoir davantage de subventions publiques. D'après la Région, le regroupement des orchestres serait un atout supplémentaire pour convaincre le Ministère.
Il ne faut pas que les élus de l'ex Basse-Normandie aient toujours peur de l'ogre Rouennais. En plus, je ne suis pas là pour être le fossoyeur des entités culturelles du Calvados.
En théorie, la Région voudrait qu'en 2022, l'année où l'orchestre régional de Normandie soufflera ses 40 bougies, soit une période de transition, où tout va être remis à plat, comme les statuts, afin de préparer la "fusion pour la saison 2023-2024", précise Patrick Gomont.
Et quid de la partition ?
Sauf que pour les musiciens de L'ORN et son directeur, cette partition reste floue. "Tant qu'on n'a pas un document écrit, avec les modalités techniques, c'est difficile de donner un avis, nous explique Pierre-François Roussillon, le directeur de l'Orchestre régional de Normandie.
Il précise néanmoins que le critère des effectifs n'a pas lieu d'être pour obtenir le label "Orchestre national en région". "Prenez l'exemple de l'orchestre d’Auvergne, vingt et un musiciens, puis celui de Picardie avec trente-sept instrumentistes, tous deux l'ont obtenu. Rien n'empêche l'Opéra de Rouen (40 musiciens) de le demander en son nom, ni nous d'ailleurs. "
Aujourd'hui, l'Orchestre régional de Normandie décide de sa programmation. Il est libre de se produire ici ou là, de nouer des partenariats avec telle ou telle structure. Il maîtrise son projet artistique. Mais demain ?
D'un point de vue technique et juridique, Pierre-François Roussillon s'interroge à voix haute : "Nous proposons 364 concerts cette année. Techniquement, il va falloir qu'on m'explique comment peut-on poursuivre les activités de nos deux structures avec une seule et même entité ? Il faut savoir, par exemple, que le temps de déplacement d'un musicien est compté comme temps de travail, comment fait-on, en termes d'amplitudes horaires ? Et sur le plan juridique, de quoi parle-t-on ? d'une fusion ? d'une absorption ?
J'ai bien peur qu'à terme, tout cela nous conduise à la disparition d'une entité.
Tant que les élus et musiciens n'auront pas déchiffré une partition claire et détaillée, les doutes subsisteront. Un conseil d'administration extraordinaire doit avoir lieu le 21 décembre prochain, l'occasion peut-être de mettre tout ce petit monde à l'unisson ?