En Normandie, à Vernon, le groupe français MaiaSpace entre dans la phase décisive du développement de la première fusée européenne réutilisable dont le premier tir est prévu en 2026, en essayant de rattraper une décennie de retard face à Elon Musk.
"Normandie-Californie, même combat" chantait Michael Youn, alias Alphonse Brown dans sa chanson parodique intitulée Le Frunkp en 2003. Satirique, moqueur, oui, mais finalement visionnaire car Vernon est à l'instar de Hawthorne, Los Angeles, une ville pionnière dans l'industrie aérospatiale.
MaiaSpace, une société normande dans le sillon de SpaceX
Implantée dans la commune euroise en décembre 2021, la société MaiaSpace vise un premier lancer spatial en 2026. Ambitieuse, la filiale d'ArianeGroup entend bien concurrencer SpaceX, le géant d'Elon Musk, dans les prochaines décennies.
L'Europe a pris du retard parce que les technologies de la réutilisation qui sont maîtrisées outre-Atlantique ne le sont pas encore ici. Cependant, la bataille n'est pas perdue.
Yohann Leroy, président exécutif de MaiaSpaceAFP
Le dirigeant établit ce constat devant une installation où sont effectués des tests mécaniques de séparation des étages de la fusée Maia. Il s'agit du premier étage de cette fusée destinée à placer des satellites institutionnels et commerciaux en orbite, qui est le principal élément réutilisable. Il est conçu pour revenir sur une barge en mer après le lancement, grâce à une technologie similaire à celle utilisée par SpaceX d'Elon Musk depuis 2015.
Avec Falcon 9, la société du nouveau bras droit de Trump effectue actuellement plusieurs tirs par semaine. De son côté, MaiaSpace mise sur une vingtaine de tirs de Maia par an vers 2031-2032, une différence d'échelle qui ne décourage pas Yohann Leroy qui doit également rivaliser avec d'autres acteurs majeurs comme Rocket Lab ou Relativity Space.
La France et les Etats-Unis ne sont pas les seuls dans la danse, la Chine possède également des lanceurs réutilisables. Toutefois, Le patron de MaiaSpace note que "les lanceurs que développe SpaceX ne répondent pas à tous les besoins", notamment lorsqu'il s'agit d'envoyer un satellite lourd à une orbite spécifique. Contrairement à SpaceX - dont les satellites de la constellation Starlink représentent la majorité du carnet de commandes, ce qui justifie la fréquence des lancements - "MaiaSpace n'a pas pour ambition de développer son propre projet de constellation", explique-t-il aussi.
Il n'empêche qu'en banalisant l'accès à l'espace et en en abaissant le coût, le milliardaire américain a bouleversé le marché des satellites et a poussé l'Europe à s'interroger sur son modèle de développement spatial basé sur les financements publics.
Quand l'Europe rétropédale
En 2014, lors du lancement du développement d'Ariane 6, le lanceur d'ArianeGroup capable de transporter des charges plus lourdes que Maia et qui a effectué avec succès son vol inaugural en juillet, l'Europe avait considéré comme non viable le modèle économique de la réutilisation.
Or, propulsé par le moteur Prometheus d'ArianeGroup qui fonctionne avec un mélange d'oxygène liquide et de biométhane plus écologique que le kérosène, le premier étage de Maia pourrait être réutilisé jusqu'à cinq fois contre au moins dix pour SpaceX.
Initialement prévu fin 2025, le premier vol de Maia a été reporté après l'attribution au groupe français en septembre du pas de tir des Soyouz russes à Kourou, en Guyane française, dont les lancements ont été interrompus après l'invasion de l'Ukraine par la Russie en 2022.
De 20 à 230 salariés en deux ans seulement
MaiaSpace s'apprête à aménager ce pas de tir pour ses besoins tout en conduisant des essais à Vernon. Dans un atelier datant des années 1970, on assemble des tronçons du premier étage. A deux kilomètres de là, sur un site confidentiel en pleine forêt, on simule les remplissages, vidange et gestion de pression dans les réservoirs du prototype du deuxième étage ou la séparation entre les étages.
La société française a commencé il y a deux ans avec 20 salariés. Elle en compte désormais 230, de 14 nationalités différentes, dont plus de la moitié vient du secteur non spatial. Elle emploie par ailleurs environ "30%" de femmes, un taux supérieur à celui des femmes diplômées des écoles d'ingénieurs, et des salariés de tous âges.
Avec cette diversité, MaiaSpace espère "éviter les erreurs de débutant" tout en adoptant des logiques de développement "différentes", souligne Yohann. Leroy. Aller vite est "une condition nécessaire de survie" face à la concurrence", quitte à raccourcir les cycles et tester la première fusée imparfaite en "vol suborbital", relève le responsable.
Bien que filiale d'ArianeGroup, MaiaSpace se dit "autonome" car financée par des prêts d'Airbus et Safran, actionnaires de sa maison mère. Cela lui permet notamment d'être "libéré de la contrainte du retour géographique" instauré par l'Agence spatiale européenne pour assurer une distribution équitable des contrats industriels et des retombées économiques entre les différents États membres qui participent au financement des projets spatiaux.