INTERVIEW : La "Française" du dernier roman d'Alexandre Jardin est ... normande!

Le dernier roman d’Alexandre Jardin, « Française » se déroule en Normandie. Son héroïne y incarne le quotidien des gens simples. L’auteur d’histoires d’amour passionnées change de style et veut mettre en valeur les territoires « invisibles et maltraités »
 

AP : Dès le préambule de votre roman,  vous situez l’action en pays virois, dans cette Normandie invisible que vous dites aimer. Vous évoquez ensuite des racines normandes : Quelles sont-elles ?

Alexandre Jardin : Mes racines normandes se situent du côté de mon père, les Jardin viennent de Bernay (27). Ma grand-mère est née et a grandi à Evreux (27). Et puis ensuite à force de naviguer, j’ai connu le pays virois.  

AP : Vous êtes parisien. Séjournez-vous régulièrement en Normandie ?

Alexandre Jardin : Je fais partie de ces Parisiens qui savent que la Normandie est un territoire qui a une identité énorme. J’ai beaucoup d’amis qui y habitent, je séjourne régulièrement plutôt du côté de l’ex Haute-Normandie.

AP : Kelly Francoeur, l’héroïne de « Française », vit quant à elle du côté de l’ex Basse-Normandie. Elle est née à Cherbourg un 29 février, elle vit dans le bocage virois. Elle n’est pas banale cette héroïne : pourquoi avoir choisi une Normande pour l’incarner ?

Alexandre Jardin : Parce que la Normandie fait partie de ces territoires complètement incompris par Paris. J’ai grandi à Paris et j’ai fait partie très longtemps de ces abrutis qui pensaient que l’intelligence était à Paris. Cette sinistre connerie est encore dominante ! Personne ne voit l’intelligence populaire, l’agilité économique, l’ampleur du mouvement associatif dans les territoires. Les maires des communes rurales sont souvent des réservoirs à idées ! Pendant la crise du Covid-19 et le confinement, les territoires ruraux ont fourni de nombreuses initiatives locales. 

(ndlr : « Française » était déjà imprimé avant le confinement et devait sortir fin mars)

 

AP : La première scène se situe sur le parking d’une boite de nuit rouennaise et n’est vraiment pas glamour : l’ambiance de ce roman tranche avec ce que vous avez écrit jusqu’ici. Vous changez de style ?

Alexandre Jardin : Pendant toute la première partie de ma vie j’ai écrit des histoires d’amour complètement hors-sol : le « Zèbre » par exemple n’avait aucun problème avec l’URSSAF et sur «l‘île des gauchers » les maires n’ont aucun problèmes avec l’Etat ! C’était une forme de fuite, pendant toutes ces années là je pensais que le réel était un problème.

A force d’engagements civiques, sociaux, à force de créer des programmes comme « lire et faire lire », j’ai fini par découvrir que les gens que l’on disait ordinaires étaient totalement extraordinaires ! Il y a un gisement de romanesque et de héros qui est beaucoup plus grand dans le territoire normand par exemple que dans le centre de Paris. C’est une société très créative. Et comme la majorité des médias dits « nationaux » sont en réalité des médias parisiens, on a un pays complètement invisible qui ne sait pas se raconter son propre talent.

 Le roman français est devenu dépressif parce que Paris est en dépression - Alexandre Jardin

 

AP : « Française » est donc un roman optimiste ?

Alexandre Jardin : Je viens de terminer la construction du tome 2 de «Française » qui sera une saga. Et plus on avancera dans la saga, plus on verra à quel point les emmerdes vont la rendre intelligente ! Et à quel point les femmes sont en train de rebattre les cartes.

Rentrer dans le point de vue d’une femme extrêmement turbulente qui n’est coincée par aucun des rôles qui limitent tout le monde, inaccessible à la culpabilité, permet de raconter la France comme on le faisait dans les grands romans populaires du 19e siècle, ou dans les romans américains comme « Autant en emporte le vent ». Kelly porte toutes les problématiques du pays, mais avec une liberté incroyable. J’adore qu’elle gifle les hommes !

AP : Avec « Française », vous allez encore une fois toucher un lectorat féminin…

Alexandre Jardin : C’est ce que j’aime. Pour moi écrire, c’est quand même regarder les femmes. Dans mes engagements j’ai constaté que le gros de l’effort était porté par des femmes : 90% des bénévoles de « lire et faire lire » sont par exemple des femmes.

Toutes les emmerdes auxquelles Kelly va être confrontée sont des choses réelles, que j’ai vues. Tout ce qui rend la vie impossible aux classes populaires, aux communes, décrit le système dingue dans lequel nous vivons.

AP : Votre engagement citoyen et politique s’invite donc désormais dans vos romans ?

Alexandre Jardin  Oui mais sous l’angle romanesque. Quand Zola, Eugène Sue écrivent, quand Victor Hugo écrit "les Misérables", ils écrivent des romans qui ont une portée politique, qui va aider le pays à se raconter sa propre histoire, à travers des héros et des héroïnes. Pour moi au fond il s’agit de raconter ce qui se passe. C’est un acte essentiel dans la vie d’une communauté, et pour moi c’est une des grandes fonctions de la littérature.

« Française » sera une vraie saga, j’aimerais en faire une série télé. On voit très peu les territoires à la télévision, en dehors de votre chaîne. C’est le cas aussi au cinéma ! Le cinéma français des années 50 à 70 se passait dans les territoires. Dans « un singe en hiver » on voit filmée une partie de la Normandie.

 La littérature doit faire partie de ce réveil de nos territoires - Alexandre Jardin -

Ce village ( Maisoncelles-la-Petite, invention de l’auteur ndlr) symbolise tous les bourgs, villages, toute cette ruralité française qui compte peu. Un personnage décrit une vérité que les gens ignorent en France : l’Etat verse deux fois moins par habitant aux communes qu’à Paris ! Un rural normand ça vaut la moitié d’un Parisien ?! C’est dingue ! Il est grand temps de décoloniser les territoires ! Cela trahit une vision du monde qui doit s’arrêter.

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