Le gérant et fondateur de la chaîne Oncle Scott s'est offert une page dans un journal pour inviter le président de la République "à venir passer un moment" avec lui. Laurent Marie n'en est pas à son coup d'essai. En 2002, il avait mené une campagne d'affichage pour interpeller Jacques Chirac sur la TVA.
En regardant les vœux d'Emmanuel Macron le 31 décembre à la télé, le sang de l'entrepreneur n'a fait qu'un tour. "Je n'ai cessé d'agir avec la même détermination et la même logique", affirmait le président qui venait, au détour d'une phrase, d'évacuer la question de l'inflation "qui rend tout plus difficile, se loger, se déplacer, faire ses courses".
Laurent Marie est resté sans voix. "Il se rend compte de ce que ça signifie l'inflation ? On s'est regroupés à une dizaine de restaurants pour négocier le prix de l'électricité et on a juste 50 % d'augmentation. Il faudrait que je sois content ? Ce sont les vœux d'un président qui ne vit pas sur la même planète".
L'occasion était trop belle : son enseigne Oncle Scott fête son 25e anniversaire. Laurent Marie s'est offert trois pages de publicité dans La Presse de la Manche. Le patron a sorti sa plus belle plume pour écrire une lettre ouverte adressée au président Macron."Pour fêter les 25 ans de mon entreprise, j'aimerais vous inviter à venir passer un moment avec moi, sans formalisme et sans tabou."
Je pense très sincèrement que je vous ferai découvrir une France que vous ne connaissez pas. Une France simple, sympa, qui travaille et qui fatigue mais qui ne se plaint pas. Une France que je n'ai pas reconnue dans votre allocution du 31 décembre.
Laurent MarieLa Presse de la Manche, 6 janvier 2024
"Moi je suis ouvrier, mais il parle un peu pour tout le monde. Moi, je n'aurais pas su écrire un truc comme ça", sourit Serge, un habitué du restaurant situé à Tourlaville. "L'idée est bonne, c'est une bouteille à la mer, ajoute Eric, son voisin de table, admiratif du patron "qui a créé son truc en partant de rien".
"J'ai commencé avec zéro euro, je suis légitime"
Dans l'édition du 6 janvier 2024, La Presse de la Manche rappelle l'épopée de cet entrepreneur au RMI. Laurent Marie est parti aux Etats-Unis avec le petit héritage laissé par son père. L'idée d'un restaurant à l'esprit country lui est venue sur un parking, quelque part au Texas. "J'ai commencé avec zéro euro. Aujourd'hui, on est un groupe de 17 sociétés qui fait 19 M€ de chiffre d'affaires. J'ai galéré. J'ai ouvert des restos. J'en ai fermé. Je sais ce que c'est un dépôt de bilan. Je sais ce que c'est de demander un crédit. Je suis légitime".
Vingt ans après Chirac
Le patron fondateur d'Oncle Scott a réussi par son travail. C'est la raison pour laquelle il s'autorise à prendre la parole quand il le juge nécessaire. Il y a une vingtaine d'années, Laurent Marie avait mené une campagne d'affichage, invitant d'autres restaurateurs à la rejoindre. Il redoutait alors que Jacques Chirac ne tienne pas sa promesse de revoir le taux de TVA dans la restauration.
Aujourd'hui, il juge le mal autrement plus profond. L'inflation n'est qu'une mise en bouche. Laurent Marie a bien d'autre sujet à évoquer avec le président : "mes distributeurs n'ont plus de chauffeurs, on ne trouve plus de personnel pour travailler, l'essence et l'énergie coûtent une fortune, il faut un an pour avoir un rendez-vous chez l'ophtalmo, on n'a plus de médecins, plus de dentistes. Rien ne va en s'arrangeant".
En 2017, Laurent Marie a voté pour Emmanuel Macron. Il n'est pas tout à fait certain qu'il le referait aujourd'hui. "Moi, je veux le rencontrer, dit-il. Je n'ai pas à me plaindre, mais je le fais pour les autres. Je suis resté un Français simple. Je ne cours pas après l'argent. Ce qui m'intéresse, c'est le bonheur". Tout un programme.