Au premier abord, ça pourrait paraître comme une "guerre" des territoires entre mer et ruralité mais c'est en fait une réelle question de légitimité sur des aides à l'installation attribuées aux médecins libéraux par l'Assurance Maladie. En toute légalité ce couple médecin de la Sarthe en a profité. "Il faut maintenant une enquête parlementaire" affirme le maire de la commune quittée qui voit là de l'argent public dilapidé.
Elle ne mâche pas ses mots mais le sentiment de trahison est tel, qu'il faudra du temps pour digérer. Fabienne Labrette-Ménager, ancienne député de la Sarthe, maire de Fresnay-sur-Sarthe (72) à 45 kilomètres du Mans et à une heure de "tout" en voiture n'en revient pas de s'être "fait souffler" deux médecins. Et cerise sur le gâteau, avec l'aide de fonds publics.
Sa zone rurale est un désert médical, "je me retrouve avec 2500 patients sans médecin. Ils ont dit à toute leur patientèle qu'ils prenaient leur retraite, là-dessus pas de problème. Mais on apprend trois mois plus tard qu'ils se sont en fait installés sur le littoral normand à Saint-Vaast la Hougue où ils ont préalablement acheté une résidence secondaire et qu'ils ont touché près de 100.000 euros d'aide à l'installation." Dans leur ancienne commune, la nouvelle s'est répandue comme une traînée de poudre.
Ici les gens touchent des petites retraites et les salaires sont bas. 100.000 euros c'est une somme énorme qui ne passe pas. C'est de l'argent public, nos impôts.
Fabienne Labrette-Ménager, maire de Fresnay-sur-Sarthe
"Comment L’état peut il accepter de verser 100.000 euros à des médecins qui ont déserté un territoire sous doté pour s’installer deux mois après à une centaine de kilomètres. Les patients abandonnés apprécieront ! C’est ça le quoi qu’il en coûte?", s'interroge Madame le maire sur les réseaux sociaux. "Nous aussi on paye des impôts et on aimerait avoir des médecins pour être soignés correctement."
93.750 euros versés par la CPAM en toute légalité
En fait monsieur et madame B., en s'installant à Saint-Vaast-la-Hougue (50) en février dernier ont touché la coquette somme de 93.750 euros. "C'est une aide de l'Assurance maladie de 50.000 euros pour monsieur qui travaillera 5 jours par semaine et 43.750 pour madame qui est sur 3,5 jours. Ma commune n'y est pour rien", précise l'élu manchois bien gêné de voir l'affaire prendre une telle ampleur. Ce n'est pas une somme versée par sa municipalité. Il y tient et il le rappelle. "Je reçois des coups de téléphone et des insultes de la Sarthe de gens désemparés qui n'ont plus de docteur." Ses nouveaux administrés sont venus se présenter à lui en août dernier comme nouveaux habitants avec un projet d'installation. J'étais ravi d'accueillir leur projet. Rien de plus.
En décembre, ils m'ont confirmé leur déménagement à condition que je leur trouve un cabinet. Il n'a pas été question du dispositif d'aide de la CPAM. Pour nous c'était une opportunité. Rien de plus.
Gilbert Doucet, maire de Saint-Vaast-la-Hougue
Gilbert Doucet leur déniche à Saint-Vaast-la-Hougue des locaux qu'il aménage. Les médecins paieront 3000 euros par an de loyers. Leur activité dans la Manche a démarré en Février 2022.
Cette aide financière de l'Assurance maladie, si contestée aujourd'hui, est née en 2016 de la nouvelle convention médicale. "Elle prévoit la mise en place de 4 nouveaux contrats pour lutter contre la désertification médicale. Ces dispositifs proposent des aides à l'installation aux médecins qui souhaitent exercer dans les zones sous-dotées", explique le site internet Améli.fr. Il n'est pas demandé la provenance du médecin. En clair, il peut quitter un désert médical pour un autre et toucher cette aide. Une logique que dénonce aujourd'hui le maire de Fresnay-Sur-Sarthe.
"Il faut une commission d'enquête parlementaire pour évaluer cette aide"
Est-ce un abus ? Et qui peut changer la Loi ? "C'est à l'Assemblée Nationale et au Sénat de s'emparer de ce dossier. Est-ce une bonne utilisation de l'argent public, ce dispositif ? J'attends avec intérêt le rapport, j'espère que ça va réagir. Il faut une commission d'enquête parlementaire."
Selon l'ancienne député sarthoise, Fabienne Labrette-Ménager, "aider des kinés qui ont de gros investissements de matériel ou des dentistes, ça me choque moins. Mais des généralistes qui exercent depuis 25 ans, ils ont tout ce qu'il faut depuis longtemps, non ?".
Dans les textes cette compensation financière vise effectivement à aider, "à faire face aux frais d’investissement liés au début de votre activité (locaux, équipements, charges diverses)."
La convention les oblige, en revanche, à exercer pendant cinq ans sur la commune de Saint-Vaast-la-Hougue, sinon il y aura un abattement sur ce forfait.
Sur ce secteur du littoral manchois il y a deux autres médecins en dehors de ce couple, l'un d'entre eux a déjà 65 ans. "Les derniers arrivés ne vont pas manquer de patients. Cherbourg manque tellement de médecin qu'il y a des Cherbourgeois qui viennent consulter jusqu'ici", observe Gilbert Doucet. "Voilà pourquoi je me demande si cette aide financière est vraiment utile", conclue son homologue de la Sarthe*.
*Les médecins et la CPAM ont été contactés mais n'ont pas donné suite à nos demandes.