Henri Proglio qui s'exprimait le 13 décembre devant des députés à l'Assemblée nationale juge qu'il est urgent de "revoir la conception de l'EPR". EDF vient d'annoncer un énième report de la mise en service du réacteur. Le chantier de Flamanville accuse désormais douze ans de retard...
La scène se passe dans une salle de réunion anonyme de l'Assemblée nationale le 13 décembre. Les députés de la commission d'enquête sur "la perte de souveraineté énergétique de la France" ont convoqué celui qui était PDG d'Edf entre 2009 et 2014, quand l'électricien a lancé la construction du réacteur Flamanville 3. Devant une commission d'enquête, il faut prêter serment. Les propos sont généralement mesurés, quand la langue de bois n'est pas de mise.
Henri Proglio avait manifestement quelques comptes à régler. C'est peu dire qu'il n'a pas mâché ses mots. Quand le rapporteur de la commission l'a lancé sur le sujet de l'EPR en lui demandant quelques explications, l'ancien patron de l'électricien s'est fait cinglant :
L'EPR est un engin trop compliqué, quasi inconstructible. On en voit le résultat aujourd'hui.
Henri Proglio, PDG d'Edf de 2009 à 2014Assemblée nationale
Dès sa prise de fonctions, Henri Proglio est confronté à un chantier à la dérive. Il raconte comment les entreprises du bâtiment ont pu négocier des rallonges. "Tous les trois mois, on avait un avenant, j'ai donc vu le patron de l'entreprise de construction (Martin Bouygues, NDLR) en lui disant : écoute, c'est pas possible ! Il m'a dit : viens avec moi sur le site. L'entreprise était dans une situation relativement confortable en me disant : tu sais, si j'ai pas l'avenant, j'arrête les travaux, parce que je peux pas m'en sortir. Et donc c'était sans fin".
"J'ai changé les équipes, je n'ai pas réussi à changer l'EPR"
L'ancien PDG confesse "avoir eu la faiblesse d'annoncer pour 2014 la connexion au réseau". Il pensait pourtant s'être donné une marge de sécurité. "Mes ingénieurs m'avaient dit : chef, vous pouvez annoncer 2012. Il n'est toujours pas connecté en 2022. Il y a un vrai problème de l'EPR".
La semaine dernière EDF a annoncé un nouveau report de la mise en service du réacteur. Le chantier accuse désormais douze années de retard. La production d'électricité n'est plus espérée avant le printemps ou l'été 2024. Or la compagnie s'est aussi engagée à remplacer le couvercle de la cuve du réacteur avant la fin de cette même année 2024. Sitôt en route, ce nouveau réacteur pourrait donc devoir être mis à l'arrêt.
La France n'avait plus construit de réacteur depuis vingt ans. Henri Proglio ne nie pas que la perte de compétences a pu nuire au chantier. Mais pour l'ancien patron, le mal est plus profond. Ce réacteur, conçu à l'époque avec Areva, est jugé inabouti. "La complexité du design de l'EPR est totalement à revoir." Henri Proglio a quitté son poste sans être parvenu à empêcher le fiasco industriel de Flamanville : "J'ai changé les équipes, je n'ai pas réussi à changer l'EPR".