Après des travaux de réaménagement, la commune de Donville-les-Bains a supprimé les passages piétons de sa rue principale. Cette disparition suscite la colère des habitants qui rivalisent de créativité et d'humour pour faire plier la municipalité.
C'est d'une idée simple, inspirée du quotidien, que se bâtissent parfois les grandes fortunes. Emmanuel Revah n'est pas encore assis sur un tas d'or, mais pense avoir trouvé un marché porteur. "Ma start-up s'appelle Traverserue. On aide les gens à traverser la rue. Vous nous appelez et on a un SUV qui vient vous chercher. On fait le tour du rond-point le plus proche et on vous dépose au même endroit, mais de l'autre côté de la rue", explique cet habitant de Donville-les-Bains, près de Granville.
"Entre temps, vous êtes dans une voiture avec sièges en cuir, tablette, wifi et même des bouteilles d'eau à disposition." La toute jeune entreprise envisage de commercialiser des forfaits "pour des gens qui travaillent ou les enfants qui vont à l'école de l'autre côté de la rue" mais aussi des tickets pour les touristes de passage. Ne reste plus qu'à établir les tarifs. "On travaille là-dessus". Et de partir dans un grand éclat de rire.
Absurde comme une ville sans passage-piéton
Emmanuel Revah en convient, son concept est complètement absurde. Mais "c'est aussi absurde que d'avoir une ville sans passage piéton", se défend le Donvillais, "Il y a peut-être un besoin réel d'avoir ce genre d'entreprise." Vous l'aurez compris, Traverserue n'existe que dans l'esprit d'Emmanuel Revah et n'a pas vocation à voir le jour. La start-up fictive et loufoque révèle l'incompréhension et l'exaspération de la population de Donville-les-Bains. Le centre-ville a récemment été rafraichi et la route, la traversant de part en part, réaménagée. La vitesse est désormais limitée à 30 km/h. Et les passages piétons ont disparu. "Dans une zone 30, on peut traverser la rue partout. Le piéton est libre de traverser où il veut", plaide madame le maire, Gaëlle Fagnen.
Margarita et déambulateur
Mais à entendre les habitants, le piéton donvillais traverserait la route, non quand il veut, mais quand il PEUT. "C'est très compliqué", nous confient trois amies retraitées. "Avant, on passait facilement. Aujourd'hui, on est obligé de regarder les voitures à droite et à gauche et ça circule beaucoup. C'est hyper dangereux. Il faut forcer, se montrer. On prend le risque de se faire écraser. Ce n'est pas normal." Pierre Dumortier, le patron de la pizzeria, a dû se résoudre à se lancer dans la livraison. "J'ai un grand-père qui habite dans une rue en face et qui se déplace en déambulateur. Il n'arrive pas à traverser. Donc, à chaque fois, je suis obligé de traverser la route, pendant le service, pour lui apporter sa margarita."
Dans le bar situé face à la mairie, le sujet occupe bon nombre de conversations. "Tout le monde en parle", confirme Baptiste Leglinel, le gérant, "les habitués, les vacanciers, les Granvillais, pas que les Donvillais. Les gens cherchent un passage piéton pour les enfants, pour pouvoir traverser. Et sans passage piéton, les automobilistes ne les laissent pas passer. Quelqu'un qui n'est pas valide ou un enfant ne va pas oser traverser." Et la dangerosité augmente une fois la nuit tombée. "Dès qu'il y a moins de circulation, les gens roulent plus vite." Parfois jusqu'à 70 km/h selon certains témoins, soit plus de deux fois la vitesse autorisée.
Un passage piéton "effet-maire"
Alors une pétition a récemment été lancée pour réclamer le retour des passages piétons. Le 1er avril, un autre habitant facétieux de la commune a lui-même peint un passage piéton sur la route, un passage piéton "effet-maire". Laquelle n'est visiblement pas insensible au battage suscité par cette affaire. "Ça ne fonctionne pas très bien", reconnait Gaëlle Fagnen, "On a un changement de pratique qui est un peu difficile à expliquer aux habitants et qu'ils ont du mal à s'approprier." Et madame le maire d'annoncer devant la caméra de notre équipe : "Nous avons entendu cette demande et aujourd'hui, jour de l'inauguration officielle de cet aménagement, nous allons pouvoir annoncer à la population que nous allons résinstaller deux passages piétons."
Contrainte de rétropédaler, la première magistrate de la commune ne cache pas sa déception. Mais n'en veut pas aux piétons. "Je trouve qu'on cède un peu trop vite à ces conducteurs qui ont du mal à respecter le 30 à l'heure, qui ont du mal à partager l'espace. Ils considèrent qu'ils sont un peu les rois de la route", regrette Gaëlle Fagnen. Qui, pour autant, ne s'avoue pas vaincue. "Je pense qu'on peut réussir en mettant des radars pédagogiques, et c'est prévu. Il faut aussi redonner confiance aux piétons sur leur capacité à s'emparer de l'ensemble de l'espace. Peut-être que dans l'avenir, on pourra un jour effacer de nouveau ces passages piétons."