Dans la Manche, des taxis médicalisés "affolés" par le manque de masques

À l'aune d'une pénurie de matériel de protection, les ambulanciers privés et les taxis conventionnés de la Manche craignent de se retrouver face à un dilemme : débrayer, ou alors exposer leur patientèle, déjà très fragile, au coronavirus. Ce serait déjà le cas, selon l'une de leur répresentantes.

Sans blouse, sans masque, sans gel hydroalcoolique. "Nous sommes en première ligne et nous sommes affolés", décrit Françoise Cardet, la voix tremblante. Depuis quelques jours, dans le Cotentin, la majorité des chauffeurs de taxi conventionnés et médicalisés (véhicule sanitaire léger, dans le jargon) n'ont plus le choix. Alors leurs appels répétés finissent par tourner au cri d'alarme - là non plus, pas le choix.

En première ligne mais "oubliés" ?

"OÙ EST LA RECONNAISSANCE DE NOTRE MÉTIER ???" C'est en lettres capitales que la secrétaire du Groupement des ambulanciers et des artisans taxis de la Manche, le GIE Pivot Manche, interpelle les autorités. En l'occurrence, il s'agit d'un courrier adressé à l'agence régionale de santé et la préfecture de Normandie datée du 18 mars dernier, un appel au secours pour reconstituer les stocks de masques, de lunettes, de charlottes, de combinaisons de ces petites entreprises. 

Actuellement, sur les 3 000 professionnels de l'organisme, 1 500 poursuivent sont encore sur les routes du Cotentin. Il y a d'une part, les ambulances, pour le transport couché, pour les urgences. Pour ceux-là, les centres hospitaliers fournissent encore les protections nécessaires, dans la limite des stocks disponibles. Mais 70% à 90% de l'activité est effectuée par le transport de malades assis professionnalisés, comprenez : les taxis conventionnés, et les véhicules sanitaires légers, des taxis blancs flanqués du logo bleu indiquant le transport sanitaire. 

Leur patientèle du moment se réduit surtout aux patients dialysés, en chimiothérapie, en radiothérapie ou atteints d'une condition cardiaque, soit des profils à risques - selon la liste établie par le ministère de la Santé. C'est là l'un des facteurs déterminants qui pousse les professionnels à alerter les autorités aujourd'hui. "Notre métier, nous le faisons avec notre foi, nos tripes, dans l’unique but de prendre soin de nos patients tout en sachant qu’à chaque intervention nous risquons de contracter ce virus et de le ramener dans nos familles, insistent-ils dans leur lettre.  Bien conscients de ce danger, notre dévouement ne vacille pas et nous ne comptons pas notre temps. Le pire reste à venir, nous le savons et nous y préparons, mais sans votre aide rien ne sera possible." 

"Notre gouvernement semble avoir totalement oublié que nous sommes les premiers acteurs de cette guerre contre le COVID-19
", résume Françoise Cardet. "Nous sommes délaissés, nous ne sommes ni respectés, ni entendus."

Réponse de l'ARS de Normandie

Deux jours plus tard, l'agence régionale de santé de Normandie apporte un début de réponse dans un courriel que nous avons pu consulter : 11 masques chirurgicaux par structure. "On ne va pas tenir une journée avec ça", déplore la secrétaire.

Cette décision est justifiée par la stratégie de répartition des masques sur le territoire national, prévue pour "bénéficier prioritairement aux professionnels de santé amenés à prendre en charge des patients COVID-19 en ville, à l’hôpital et dans les structures médico-sociales accueillant des personnes fragiles, ainsi qu’aux services d’aide à domicile", précisent les autorités sanitaires normandes. Cette liste, Françoise Cardet et ses taxis n'en font pas partie. Voilà pourquoi lorsqu'elle tente sa chance dans une pharmacie, c'est non. Et quand elle commande 41 bidons de cinq litres de gel hydroalcoolique en milieu de semaine, le camion est réquisitionné - selon elle. 

Seulement, en l'absence de dépistage massif de la population, impossible d'affirmer que tel ou tel patient n'est pas infecté par le coronavirus sans le savoir. Or, en moyenne, et selon la sécretaire du GIE Pivot Manche, chaque taxi voit 4 à 5 personnes s'installer sur sa banquette arrière tous les jours. 

Masques de chantier et tenues d'ouvrier

Si elle est consciente que la situation est inédite, que l'épidémie a atteint un seuil où la gestion de la pénurie de protections prend le pas sur les standards sanitaires, Françoise Cardet refuse de débrayer. "On aime nos patients", raconte-t-elle. "Quand vous passez une heure avec quelqu'un toutes les semaines, vous devenez progressivement son confident, ça crée des liens."

La solution de repli, c'est celle qu'ont choisi nombre d'entreprises avant elle : le matériel du bâtiment. Des masques et des combinaisons conçus pour faire barrage à la poussière plutôt qu'à un microscopique virus, mais cela sera toujours "mieux que rien". "Les gens nous appellent en demandant si on va pouvoir leur apporter un masque lors de leur transport"Ces derniers jours, Françoise était donc pendue au téléphone, à interroger l'esprit de solidarité des garagistes, peintres et carossiers du coin. En quelques jours, on lui a promis 450 combinaisons (les ambulanciers doivent en changer à chaque trajet), et 200 masques. Malheureusement, les lycées professionnels n'ont rien donné, "les maisons de retraite sont passées avant nous". 

Concernant les ambulances, les protections continuent d'être fournies par les hôpitaux, mais que se passera-t-il si les stocks s'épuisent complètement là aussi ? Françoise Cardet ose à peine le dire mais en cas de situation extrême, "il faudra lever le pied'. "Zéro masque, zéro transport", ajoute-t-elle, émue. Autre solution : trier les patients. Pour l'instant, la normande s'y refuse mais elle sait qu'il faudra peut-être considérer cette option. "Nous allons être dans une misère noire si on ne fait rien", insiste-t-elle, la voix chevrotante. 

Elle n'est pas la seule à alerter les autorités, d'ailleurs certains centres hospitaliers constatent déjà des pénuries dans des services clés. Ce samedi après-midi,  lors d'un point presse, Olivier Véran a annoncé avoir commandé "250 millions de masques livrés progressivement". Les transports sanitaires recevront une boîte de 50 masques chirurgicaux par structure.
 
Nous avons contacté l'ARS de Normandie au sujet des questions soulevées dans cet article, cette dernière ne nous a pas encore apporté de réponse. 











 
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