En 2009, Patrice Lefèvre est décédé des suites d'un lymphome. Dans un courrier daté du 20 octobre dernier, la Mutualité Sociale Agricole a admis le caractère professionnel de sa maladie. Aujourd'hui, sa veuve souhaite témoigner : "je ne veux pas garder ça pour moi".
Sa maladie fut foudroyante. "Elle ne lui a laissé aucune chance" raconte aujourd'hui Sylvie Lefèvre. Si elle décide de rompre le silence gêné qui entoure ce décès, c'est pour rester fidèle au souhait de son mari. "A l'hôpital, il a commencé à écrire un article sur son ordinateur. Il voulait alerter le monde agricole", persuadé que le lymphome foudroyant qui allait l'emporter était dû à l'exposition aux pesticides.
Dangerosité des pesticides : tabou, omerta
Patrice Lefèvre était exploitant agricole, près de Tessy-sur-Vire dans la Manche. Il a bien sûr utilisé des produits phyto-sanitaires, sans doute ni plus ni moins que ses voisins. Mais en 2008, il est tombé malade. Les médecins ont conclu qu'il souffrait d'une lymphome malin non hodgkinien, Et très vite, il a fait le lien. D'ailleurs, depuis le mois de juin, cette maladie entre dans le tableau des maladies professionnelles agricoles. Et dans un courrier daté du 20 octobre, le lymphome a été reconnu comme ayant une origine professionnelle. Pourtant, dans le monde paysan, le sujet est encore largement tabou.
La dangerosité des produits phyto-sanitaires est "sous-évaluée" affirment les sénateurs qui ont mené une mission commune d'information sur les pesticides et leur impact sur la santé. Ils parlent même d'une "omerta" dans le monde agricole. "Les pratiques industrielles, agricoles et commerciales actuelles n'intègrent pas suffisamment la préoccupation de l'innocuité pour la santé du recours aux pesticides". Le rapport dressait une liste de cent recommandations, afin d'améliorer la protection contre les pesticides.
Etudes après études, l'étau se resserre : en 2014, une enquête Agrican (contraction des mots agriculture et cancer) menée par des chercheurs de l'Inserm, du centre François Baclesse et de l'université de Caen a montré que certains cancers touchent davantage les agriculteurs que le reste de la population. Les éleveurs de bovins, les cultivateurs de tournesol, de pommes de terre et de tabac sont plus sujets au cancer de la prostate. Le risque de cancer du poumon est deux fois plus élevé chez les agriculteurs spécialisés dans la culture des pois fourragers, ainsi que dans la taille des arbres fruitiers ou la culture des légumes.
Aucun lien n'est formellement établi, mais l'utilisation des produits chimiques est dans le viseur. L'étude Agrican porte depuis 2005 sur 180 000 personnes réparties dans onze départements. Elle se poursuit aujourd'hui avec l'objectif d'étudier les effets de certains pesticides, afin d'établir un lien plus direct entre l'utilisation de produits chimiques et la maladie.
Le témoignage de Sylvie Lefèvre recueilli par Rémi Mauger et Guillaume Le Gouic :
(intervenants : Sylvie Lefèvre, et Philippe Pouzet, médecin, chef de service Santé Sécurité, MSA Normandie)