Personne ne peut ignorer les alertes pollution qui se répètent sur les plages autour de Granville (50) dès qu'il pleut beaucoup et depuis des années. Baignades proscrites et plages fermées se succèdent. Les producteurs de coquillages assignent en justice les responsables pour ce laissé-aller.
"La mer c'est pas leur poubelle. Il y 'en a marre que rien ne soit fait ! Depuis des années on laisse faire, sans obliger la réalisation de travaux sur le système d'assainissement. Mais les abonnés, eux, payent leur facture et nous on produit des moules juste à côté. On ne peut plus continuer avec ce laissé-aller", gronde Franck Le Monnier, membre du comité régional de conchyliculture (CRC).Ce lundi 4 novembre, le CRC devait être entendu comme victime au tribunla de Coutances, dans un dossier où le syndicat mixte d'assainissement de l'agglomération granvillaise (SMAAG) doit comparaître pour "non déclaration" d'un événement "nuisible au milieu aquatique", "commis" du 1er décembre 2017 au 8 décembre 2018. L'audience a été reportée à l'année prochaine, au 2 mars 2020.
Le Comité régional de conchyliculture s'étonne encore : "Comment on a pu oublier de nous prévenir d'une pollution pendant 4 mois ! c'est inacceptable pour nos consommateurs. Il s'agit de matières fécales."
Un procès qui intervient alors que la justice a débouté 6 producteurs d'Hauteville-sur-mer, qui jouxte Montmartin-sur-mer, quelques temps plus tôt. Ils demandaient au tribunal administratif de Caen d'obliger le préfet de la Manche à "remédier définitivement aux pollutions subies par la zone de production conchylicole".
Mais les juges ont estimé que le préfet avait déjà agi, en imposant le retrait anticipé des ovins des pâturages avant les grandes marées du Mont-saint-Michel et en rappelant à vingt élus locaux leurs obligations en matière de surveillance des systèmes d'assainissement.
Effectivement, chaque année depuis près de 5 ans, dans son rapport annuel sur la qualité des eaux de baignade et profils de vulnérabilité (points sensibles) publié avec l'ARS, les autorités soulignent des zones rouges. "Et c'est toujours les mêmes qui sont pointées du doigt sans que rien ne soit fait. C'est le cas sur la pompe de réhaussage du Herbert à Hauteville", explique Franck Le Monnier. "En 2015 on nous disait déjà qu'elle posait problème. Et rien n'a été changé.
Comment peut-on laisser le problème perdurer alors que moi, si j'empoisonne quelqu'un avec mes moules je suis pénalement responsable ? ( Franck Le Monnier, conchyliculteur)
Dans son exploitation de conchyliculture, il a déjà investi 90 000 euros pour "laver la production dans de grands bassin". Mais la pollution ne doit -elle pas s'arrêter à la source ?
Trois plages interdites pendant l'été 2019 : ça continue
Au cours de l'été 2019,l'interdiction de se baigner a une nouvelle fois été donnée pour trois plages à l'est de la baie du Mont Saint-Michel. L'une à Montmartin-sur-mer, une autre à Granville et une dernière à Saint-Jean-le-Thomas. La décision avait déjà été prise l'an passé car l'eau "a été de qualité insuffisante pendant cinq années consécutives" explique l'Agence Régionale de Santé. Ce sont les déjections de moutons de prés-salés ou des systèmes d'assainisement insuffisants qui seraient en cause.
La côte, c'est le tourisme, la conchyliculture. C'est aussi les agneaux de prés-salés (...) Il faut protéger la qualité des eaux (...), faire en sorte que l'activité économique et l'activité écologique puissent se concilier, a affirmé début juillet la secrétaire d'Etat à la Transition écologique Emmanuelle Wargon à Montmartin-sur-mer (Manche) avant de signer un plan pour une "reconquête de la qualité des eaux" littorales à Coutances.
Objectif affiché: "éviter les fermetures de baignades et de commercialisation des produits conchylicoles".
Le problème des eaux pollués est récurrent. Selon une expertise judiciaire obtenue par les conchyliculteurs et remise en juin 2013, le "lessivage des zones herbeuses où paissent de nombreux ovins par les marées de coefficient supérieur à 90" est en effet "une source de pollution largement majorant" dans ce secteur. De Portbail (Manche) à Cherrueix (Ille-et-Vilaine), l'AOP "Prés-Salés du Mont-Saint-Michel" affiche une dizaine d'élevages.
Mais l'expertise cite également "le lessivage par les précipitations", "l'absence de curage" d'un cours d'eau, "la non conformité des systèmes d'assainissement individuels" et "les dysfonctionnement ponctuels de stations d'épuration".
"Une mairie, même d'une ville très très touristique de Normandie, ne peut pas dimensionner pour l'année entière une station d'épuration d'une capacité 15 à 20 fois supérieure à sa population hivernale. Ce sont des investissements colossaux", explique à l'AFP Guillaume Fortier, directeur du laboratoire normand Labéo, qui mesure la qualité de l'eau.
Une menace pour le tourisme et pour les conchyliculteurs
La pollution menace évidemment le tourisme, même si Granville et Saint-Jean-le-Thomas disposent d'autres plages, avec une eau de bonne qualité. Mais du côté des conchyliculteurs, dans cet important bassin de production de moules et d'huîtres, la colère gronde.
De son côté, l'université de Caen prépare une étude baptisée Sanitaqua 2 lancée en janvier sur le littoral proche de Coutances, parce que "tout le monde était affolé par les analyses" selon Alain Rincé, professeur à l'université de Caen. Les résultats sont attendus d'ici un an. En attendant, "la problématique" des pollutions fécales, humaine ou animale, "se retrouve sur toutes les côtes françaises", souligne M. Fortier.