Licenciés, ils doivent rembourser leurs indemnités quinze ans après

L'affaire est ubuesque : la justice a annulé le licenciement des douze salariés d'une entreprise d'électricité de Saint-Lô qui a pourtant fait faillite en 2008. Ils doivent aujourd'hui restituer les sommes qui leur avaient été versées. "On a perdu notre travail, aujourd'hui on doit rembourser. En fait, on paye deux fois ! "

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Comme souvent, le temps finit par emporter jusqu'aux plus mauvais souvenirs. Les anciens de la société Lebrun pensaient avoir laissé derrière eux ces jours sombres : le salaire qui soudainement n'est plus versé, le patron qui finit par s'éclipser et les heures passées à occuper un atelier où il n'y a plus de travail. "C'était quelque chose de lointain, explique Dominique Germain. Le licenciement a été une période éprouvante, mais on avait tourné la page. Là, ça revient brutalement".

Les premières lettres sont tombées en février. "J'ai reçu un recommandé qui me dit que la cour d'appel invalide le jugement des Prud'hommes de 2010 et que je dois rembourser mes indemnités. 11 000 euros à payer sous quinzaine !" Dominique Germain en est encore estomaqué. À 67 ans, il doit rembourser l'argent qui lui avait été versé en réparation du préjudice subi.

"On se demande bien pourquoi nous sommes punis comme ça !"

Daniel Germain (sans lien de parenté avec Dominique) doit redonner les 15 000 euros qu'il avait perçus. "Je ne comprends pas parce qu'on n'y est pour rien", s'étrangle cet ancien électricien aujourd'hui âgé de 71 ans. "Dix jours plus tard, un huissier a tapé à la porte un midi avec une mise en demeure de payer sous huit jours. Je suis alors allé voir les copains".

Les anciens de Lebrun remontent alors le fil de l'histoire. En octobre 2008, l'entreprise, spécialisée dans l'électricité et la plomberie, est rattrapée par ses difficultés financières. C'est la faillite. Les douze salariés découvrent que le statut de leur société rend le patron insaisissable. Il se retranche derrière le système de location-gérance pour ne pas avoir à financer les licenciements. Les salariés se retrouvent livrés à eux-mêmes. Ils font acte de présence dans un atelier où l'électricité a été coupée. Les salaires ne sont plus versés. L'affaire fait alors grand bruit.

Un no man's land juridique

"À l'époque, j'avais 20 ans. Du jour au lendemain, plus de paie, plus d'argent", raconte Valerian Bidel. Sa première expérience professionnelle tourne court. "Au bout de deux mois, le mandataire judiciaire qui s'occupait de la liquidation a fini par nous licencier". Il faudra attendre jusqu'en 2010 pour que le conseil des Prud'hommes leur accorde des indemnités. L'histoire aurait dû s'arrêter là.

Lorsqu'il a été question de faire appel, personne n'y a vraiment trouvé à redire. "On avait déjà perçu les indemnités avec deux ans de retard et c'était peu par rapport au préjudice subi, poursuit Valérian. Je me suis dit qu'on obtiendrait peut-être un peu plus. Je n'avais pas du tout conscience que cela pouvait tout remettre en cause. Si je l'avais su, je n'aurais pris aucun risque".

Le 3 mars 2022, la cour d'appel de Rouen estime que "le licenciement pour motif économique est privé d'effet". En conséquence de quoi, les salariés ne sont plus licenciés. L'AGS, l'organisme qui assure la garantie des salaires, exige alors de récupérer les indemnités jugées indues. "On savait qu'il y avait un appel en cours, mais l'affaire a été renvoyée plusieurs fois. Le délibéré, on n'en a jamais eu connaissance", précise Valérian. Ses camarades l'ont alerté quand les premières lettres sont arrivées. "Ils ont eu du mal à me retrouver parce que j'ai déménagé. C'est tombé il y a quelques jours. Avec les frais, je dois redonner dans les 5 000 euros…"

"En trente ans de métier, je n'ai jamais vu ça !", s'emporte Me Elise Brand, l'avocate des salariés. "La cour d'appel dit que le licenciement est privé d'effet, mais elle n'a jamais demandé d'argent. Rien n'a été demandé contre les salariés puisque rien ne pouvait l'être. La jurisprudence est très claire : les indemnités sont dues. Ce n'est pas aux salariés de rembourser mais à l'employeur initial. Je trouve tout cela très étonnant que le mandataire se réveille aujourd'hui à la demande des AGS.."

Aujourd'hui, je ne suis plus licencié, potentiellement réintégrable dans une entreprise qui n'existe plus !

Valérian Bidel

Ancien salarié de Lebrun

"Les indemnités sont dues, les salariés n'ont pas à rembourser !"

La justice estime que le mandataire judiciaire n'avait pas à décider des licenciements. "L'AGS devrait se retourner contre l'employeur, mais il s'est débiné, et il doit avoir de bons avocats", sourit amèrement Daniel Germain. Que faire aujourd'hui ? Faut-il payer ? "Notre avocate dit que nous n'avons rien à débourser, mais d'un autre côté, l'huissier nous menace de saisie", souligne Valérian. "Mais si je paie, je n'ai plus rien du tout". Dominique a déjà fait ses calculs. "J'ai 11 300 euros à payer avec les frais. Je vais casser un PEL". Daniel doit un peu plus de 15 000 euros. "A 71 ans, j'ai un peu d'économies. Je vais devoir faire un crédit à la banque pour compléter".

"Notre seul défaut, c'est d'avoir perdu notre travail il y a 15 ans", se désole Dominique, égaré, comme ses collègues, dans un no man's land juridique. "Quand j'ai reçu la visite de l'huissier, j'avais l'impression d'être un délinquant à qui on réclame de payer des dettes !". Daniel conclut, dépité : "On se demande pourquoi. On ressasse tout. Les nuits sont difficiles".

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