Saint-Lô est désignée "Capitale des ruines" au lendemain de la bataille de Normandie. Entre 70 et 90% de la ville ont été détruits, d'après les historiens, lors des bombardements alliés du 6 et 7 juin 1944. Un traumatisme que n'ont jamais oublié les enfants de l'époque.
Dans la nuit du 5 au 6 juin 1944, les habitants de Saint-Lô s'endorment, confiants. Dans les rues de la ville, il se murmure en effet que la Libération approche. Personne n'imagine alors que cette nuit sera la dernière, à l'abri, dans leur maison.
Arlette a sept ans. Elle habite avec sa famille près du théâtre, en plein centre-ville. À son réveil, la nouvelle se répand, ça y est, les alliés ont débarqué sur la côte.
Dans le quartier, beaucoup s'interrogent. "Quand vont-ils arriver ? Ce soir ? Dans quelques jours ?" Un voisin prévient le père d'Arlette, qu'il laissera ce soir sa cave ouverte " Au cas où".
Le 6 juin, peu après 20 H, à Saint-Lô tout s'écroule
Le soir, la famille se trouve autour de la table, en train de manger, lorsque la première bombe tombe. Ils se précipitent dehors. "Je revois les avions dans le ciel.", se souvient Arlette.
"Mon père me dit d'aller chercher les Dubois, nos autres voisins, pour les conduire à l'abri. Mais ils refusent. Seul le fils aîné, Bernard, descend dans la rue avec nous. Une autre bombe s'abat tout près. Avec le souffle, je me retrouve propulsée dans la cave. La jambe blessée."
Quand nous sommes ressortis, tout avait été détruit. Ma maison et celles de tous les voisins. Les parents de Bernard ont été ensevelis sous les décombres. Dans le restaurant d'à côté aussi. Au total, dans la rue, une quarantaine de personnes sont mortes. Je ne dois la vie qu'à la cave de mon voisin.
Arlette Lecot, 87 ans, habitante de Saint-Lô
Dans un amas de poussières et de ruines, les secours s'organisent. L'historien, Michel Boivin, rapporte dans son livre consacré aux victimes civiles, le témoignage d'un policier, Louis Duprey :
"Nous sommes restés jusqu'à 23 heures pour sauver des victimes dont certaines nous étaient connues. On a déblayé et sauvé des enfants, pris sous l'enchevêtrement des poutres. Il faut être prudent pour ne pas provoquer d'éboulement. C'est très dur. Les scènes sont déchirantes. La mère qui cherche son enfant. L'épouse qui réclame son mari."
Pour les Saint-lois, c'est l'incompréhension
Vers minuit, cinquante bombardiers reviennent et pulvérisent Saint-Lô. Les historiens ont beaucoup étudié les archives et estiment aujourd'hui qu'entre 70 et 90 % de la ville ont été détruits. 352 habitants ont péri.
Certains corps reposent aujourd'hui au cimetière. Leurs tombes mentionnent parfois des noms. D'autres restent anonymes indiquant une adresse ou tout simplement "ossements", "Algérien, inconnu". Faisant référence à ces travailleurs, emprisonnés par l'armée nazie.
Les Saint-lois vivent le martyr , avec tous ces morts et blessés, et se demandent à quoi bon être libérés, quand on est mort. Cela va se traduire par des mouvements de protestation lorsque les américains vont arriver le 18 juillet pour libérer la ville. Ceux-ci s'attendaient à un "Welcome" et les rares habitants restés à Saint-Lô, leur crient, poings levés, "Go home".
Michel Boivin, historien et auteur de l'ouvrage "Les victimes civiles de la Manche"
Pourquoi les alliés ont-ils bombardé Saint-Lô ?
Des villes entières, comme Coutances, Saint-Lô, Vire, Lisieux, Condé-sur-Noireau se retrouvent réduites à des monceaux de gravats. "C'était stratégique", prévient Jérémie Halais, historien et auteur de l'ouvrage "Saint-Lô, 1939-1945".
"La nuit du 6 juin, les américains ont bombardé tous les noeuds routiers et ferroviaires. L'idée, c'est d'éviter une contre-attaque allemande et d'empêcher les renforts, stationnés en Bretagne, de remonter vers la ligne de front. Il leur fallait donc créer des points de blocage dans des zones bien précises pour les empêcher d'avancer."
Ses deux jours et deux longues nuits, sous le château
Dès les premières heures, les habitants fuient et trouvent refuge sous le château, dans l'abri souterrain. Près de 700 personnes vont y vivre entassés à entendre les murs vibrer. Yves Fauvel, alors âgé de 6 ans, se souvient de tout.
Je n'ai aucun souvenir avant mes six ans. Mais cette nuit là reste gravée dans ma mémoire. On n'oublie pas les odeurs, les cris des blessés et les pleurs. Une femme a accouché près de nous. On n'a rien mangé ni bu pendant ces deux jours.
Yves Fauvel, habitant de Saint-Lô
Sa grand-mère a tout immortalisé dans un carnet. L'écriture fine et appliquée contraste avec l'horreur des descriptions, lors de leur périple sur le chemin de l'exode…
Sur les marches de l'église Notre-Dame, Yves se souvient de cet homme à la jambe arrachée, les implorant, car les combats continuent.
"Quand on entendait des coups de feu, mon père avait l'habitude de baisser ma tête avec son coude. Nous passions près d'une ferme, lorsqu'une bombe a explosé. Mon père s'est pris un éclat d'obus, qui lui a entaillé le bras. Mon visage saignait. Il s'en est fallu de peu. Sans le geste de mon père, je ne serais peut-être pas là aujourd'hui".
Pendant des décennies, Yves n'a pas pu raconter son histoire. Tant cette période l'a marqué. Mais chaque année, le 6 juin, il dépose discrètement une gerbe sur les marches de l'église, en souvenir de cet homme à la jambe arrachée et de toutes les victimes qui ont vécu la Libération et l'ont payé de leur vie.