Mathias Moncorgé, le fils de Jean Gabin, publie avec Patrick Glâtre, un beau livre aux éditions de la Martinière sur ce grand acteur français qui a incarné le XXème siècle. Ses rôles s'inspiraient parfois de sa vie en Normandie, entre son exploitation agricole à Bonnefoi, dans l'Orne et sa passion pour les chevaux. Portrait sensible d'un acteur mais surtout d'un père protecteur
Lui a choisi une vie loin des projecteurs. Il n'aime pas vraiment Paris. Son terrain de jeu, c'est la Normandie où il retrouve ses chevaux et ses poulains qui viennent tout juste de naître.
Une passion qui lui vient ... "A votre avis, dit-il en rigolant, ça vient de mon père, forcément ! La voix, la silhouette, la casquette, Mathias Moncorgé peut difficilement cacher qui lui a mis le pied à l'étrier, tant ils se ressemblent.
Dans son livre*, sobrement intitulé Jean Gabin, Mathias raconte des anecdotes qui en disent long sur le personnage que l'on croyait connaître.
Papa était très sensible et très timide aussi. C'était un éternel angoissé. Il avait peur de tout
Mathias Moncorgé
Un amoureux de la terre, devenu fermier dans l'Orne
Le lecteur apprendra par exemple que Gabin avait peur des chevaux qu'il admirait tant. "Il ne s'approchait pas trop. En fait, il craignait qu'on se blesse, explique Mathias Moncorgé, mais il adorait ça.
Jean Gabin disait d'ailleurs :"Tu comprends, avoir une maîtresse, t'es obligé de mentir. C'est compliqué, c'est chiant, ça m'emmerde. Mes maîtresses à moi, ce sont mes chevaux, au moins ils ne parlent pas."
Mathias Moncorgé a passé des années auprès de lui à étudier les chevaux. "Ce qu'il aimait, c'était l'élevage, les croisements. Vous savez, nous sommes de grands rêveurs. Chaque année, on espère donner naissance à un crack qui remportera un grand prix." L'acteur achète même un hippodrome à Moulins-la-Marche dans l'Orne, qui porte son nom.
Dès les années 50, après la guerre, ce fusilier marin, qui avait d'ailleurs rejoint à Cherbourg, son unité en 1939, décide d'investir dans la terre. Cette valeur refuge le rassure.
"Après la guerre, je me suis rendu compte que ma côte d'acteur avait baissé et que ce métier pouvait me lâcher à tout moment", explique Jean Gabin au micro de Léon Zitrone.
Il réalise aussi, à 48 ans, un rêve d'enfant. Jean Moncorgé, de son vrai nom, achète une maison en ruine et crée le domaine de La Pichonnière, qu'il surnommera : La Moncorgerie. Son exploitation agricole compte des juments, forcément, mais aussi deux cent trente vaches. C'est sur ces terres que le héros de La Grande Illusion se révèle.
C'est une génération qui a connu deux guerres, vous savez. Il avait peur qu'une troisième surgisse, alors avoir ses poules, ses vaches et ses lapins, il se disait qu'on ne pourrait pas mourir de faim. a cette époque là, c'était important de bouffer.
Mathias Moncorgé
A Fernandel, qui lui conseille d'investir dans la pierre, il répond "la pierre s'écroule, la terre reste". Quand il vient lui rendre visite, son ami, le scénariste Michel Audiard, soulignera même, non sans malice " Et dire qu' un homme avec une telle mauvaise foi, a réussi à s'installer dans un village, qui s'appelle .... Bonnefoi. Un comble".Un papa poule qui ne ratait jamais les vacances en Normandie
Mathias Moncorgé, le fils cadet, se souvient avec tendresse d'un papa archi-protecteur. Le plus beau rôle qu'il convoite ? Avoir des enfants. "Il avait 45 ans quand ma première soeur est née et il m'a eu, à 51 ans".
A partir de ce moment, sa vie d'acteur change. Il met un point d'honneur à ne jamais tourner pendant les vacances qu'il passe entre la Bretagne, l'Orne et Deauville, pour aller à l'hippodrome. "Dans le métier, il était le seul à pouvoir se le permettre. Tourner, comme bon nous semble, ça ne se faisait pas", explique Mathias Moncorgé. Le récit du voyage en dit long sur le bonhomme.
On partait toujours fin juin, avant les gens, et on revenait après, pour éviter le monde sur les routes et surtout pour ne pas qu'il y ait de danger. Maman nous emmenait dans le break. Lui roulait à trois kilomètres derrière. Au cas où maman serait tombée en panne. Et quand elle lui disait "Et si c'est toi, qui tombe en panne ?" Il répondait, "c'est pas possible"
Mathias Moncorgé
Reportage Pauline Latrouitte, Laurine Velay, Régis Saint-Estève, Fabrice Lefeuvre
Se sentir rejeté par le monde paysan, une blessure jamais refermée
Dans ce portrait sensible et pudique, écrit à quatre mains, les auteurs évoquent à demi-mot "cette blessure qui ne s'est jamais cicatrisée."
Jean Gabin, qui avait tant d'admiration pour les paysans, va se sentir rejeté l'été 1962, lorsque sept cents agriculteurs en colère envahissent sa maison, lui reprochant de cumuler des terres. Un coup médiatique pour faire comprendre, à la France entière, les problèmes du monde agricole.
L'acteur, qui n'a pas encore joué La Horse, porte plainte. Il la retire, deux ans plus tard, en pleine audience à Alençon, pour apaiser les esprits. De même, il finira par louer des terres à des jeunes.
"Je me suis désisté parce que je pense que tout ça a été fait sous le signe de la maladresse. Et dans le fond, la maladresse n'est pas tellement répréhensible, dit-il à la sortie du palais de justice.
Le coup de grâce se produit l'été 1976. Jean Gabin apprend à la télé, que la FNSEA, va indemniser tous les agriculteurs de la sécheresse. Sauf lui. Il dit alors à son fils, qu'il surnomme Gros Père.
"Tu vois Gros-Père, toi tu es pour eux un Moncorgé, moi je serai toujours un Gabin."
Le lendemain, il décide de vendre sa propriété. Jean Gabin s'éteindra un mois plus tard d'une leucémie.
J'ai reçu la médaille agricole par François Mitterrand, en 1992 ou 1993. C'est un peu comme si, par mon biais, il l'avait eue. Sur sa pièce d'identité, c'était écrit agriculteur et pas acteur.
Mathias Moncorgé
Puisque sa voix n'a pas fini de nous inspirer, vous pouvez réécouter "Maintenant je sais" cette chanson écrite pour lui par Jean-Loup Dabadie. Où apparaît toute la philosophie de Gabin.
* Livre Jean Gabin, écrit par Patrick Glâtre et Mathias Moncorgé - Editions de La Martinière
* Exposition Jean Gabin, à voir jusqu'au 10 juillet à l'espace Landowski, à Boulogne-Billancourt. Commissaire d'exposition : Patrick Glâtre, spécialiste de Jean Gabin.