L'implantation d'un parc éolien suscite l'incompréhension et la colère des habitants de Gouffern-en-Auge, au nord d'Argentan. Le site prévu pour accueillir 6 éoliennes se situe au cœur de la Poche de Falaise-Chambois, haut-lieu mémoriel de la Seconde guerre mondiale. Il est aussi entouré par une dizaine de monuments classés, dont le Haras du Pin.
"Ces terres sont sacralisées, y implanter des éoliennes est impensable !". Véronique Chabrol est ulcérée à l'évocation du projet de parc éolien à Gouffern-en-Auge. Ancienne maire de Chambois, elle ne peut se résoudre à voir apparaître "des éoliennes de 200 m de haut dans le couloir de la mort, classé grand site Normandie 1944".
Il y a un an, lorsque la rumeur d'implantation bruissait, elle a créé avec d'autres habitants du secteur un collectif d'opposition au projet : le GAPPP (Gouffern-en-Auge Protection Paysages et Patrimoine). Le 15 avril dernier, celui-ci a tenu une réunion publique à laquelle 140 personnes ont assisté. "Pour beaucoup d'entre eux, c'était une surprise, ils n'avaient pas eu connaissance du projet. C'est logique, il a été fait en catimini et n'est sorti officiellement qu'en début d'année, lorsque le promoteur a organisé trois réunions d'informations dans les communes concernées", relate celle qui occupe la fonction de secrétaire de l'association.
D'ailleurs, pour le moment, le projet porté par l'entreprise bretonne P&T Technologie, filiale du groupe allemand Energiequelle, n'est pas encore officiellement déposé. Dans les faits, il est pourtant bien avancé. Les accords conclus avec les propriétaires terriens remontent à 2018. Concrètement, il s'agirait de deux rangées de trois éoliennes érigées à Aubry-en-Exmes, Fel et Le Bourg-Saint-Léonard, trois communes déléguées au sein de Gouffern-en-Auge.
"Ils vont tomber sur des os"
Cette commune nouvelle se situe en plein coeur de la Poche de Falaise-Chambois, haut-lieu de la Bataille de Normandie en août 1944. "Ils vont creuser et tomber sur beaucoup d'os" ironise Cécile de Vulpian, présidente du GAPPP. En effet, l'affrontement ultime de la reconquête de la région a causé la mort de plus de 85 000 soldats. "C'est un lieu de mémoire, un endroit essentiel de la Deuxième guerre mondiale, le point de bascule du conflit. On ne peut pas défigurer un tel endroit avec un site industriel. On a un devoir de mémoire". La résonnance du champs de bataille est encore plus forte pour cette franco-américaine, qui, parallèlement, n'est pas une farouche défenseure du développement de l'énergie éolienne.
"C'est un non-sens économique, écologique couplé d'une aberration, celle des 500 m de distance par rapport aux habitations. En Allemagne, les éoliennes doivent être distantes des maisons à raison de dix fois la hauteur du mât. En France, c'est 500 m, peu importe la hauteur des éoliennes". D'autant plus que les structures prévues sur le site de Gouffern-en-Auge doivent mesurer 200 m de haut.
Une dizaine de monuments classés dans le secteur
"On les verra de partout, fustige Véronique Chabrol, rendez-vous compte, ce sera huit fois la hauteur du Donjon de Chambois". Inscrit aux monuments historiques, ce château du XIIe siècle n'est pas le seul édifice classé du secteur. Dans un rayon de 10 kilomètres, on en trouve une dizaine, notamment les châteaux d'Aubry, d'Exmes, du Bourg-Saint-Léonard et de de Villebadin, le Manoir d'Argentelle, et surtout le Haras du Pin.
"Sur le papier, ça parait impensable de mettre un parc éolien là. Après, il y a des pressions de l'État sur les préfectures pour répondre à l'objectif européen de développement des énergies renouvelables", s'inquiète Cécile de Vulpian. Ces dernières représentent 19,3% de la consommation finale brute de notre pays, en-dessous de l'objectif de 23% fixé en 2020. En février dernier, le Parlement a adopté le projet de loi d'accélération des énergies renouvelables.
L'exemple de Trémont
Désormais, seul le préfet peut trancher en faveur des opposants à l'installation du parc éolien de Gouffern-en-Auge. Toutefois, il n'a pas encore eu le dossier sur son bureau puisque le promoteur est encore dans la phase d'analyse. En septembre dernier, il a lancé un comité départemental pour les énergies renouvelables. S'il venait à donner le feu vert à P&T Technologie, d'autres recours subsisteraient pour les opposants qui s'en réfèrent à l'exemple du parc de Trémont 2.
Alors que le préfet de l'Orne avait délivré une autorisation en 2020, la Cour adminisatrive d'appel de Nantes l'a annulée fin mars au prétexte d'une "atteinte excessive portée au patrimoine et aux paysages". En substance, l'implantation de trois éoliennes aurait "aggravé le phénomène de concurrence visuelle avec la cathédrale de Sées", distante de 6 km.
Le GAPPP espère ne pas en avoir à recourir à la justice, et que les services de l'Etat sauront prendre la mesure de l'impact d'une implantation d'éoliennes dans leurs communes. Ironie du calendrier, le cinquième parc éolien du département, celui des Monts sera mis en service ce jeudi 4 mai à Moulins-sur-Orne, à moins de 15 km du site envisagé à Gouffern-en-Auge.
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Une polémique similaire a éclaté également dans le département voisin du Calvados. A Bazenville, près d'Arromanches, l'éventualité de l'implantation de cinq éoliennes à proximité d'un cimetière militaire britannique fait enrager certains habitants, et laisse les touristes songeurs.