Ce mercredi 19 mai, les bars et restaurants sont autorisés à accueillir de nouveau des clients mais uniquement en terrasse. Pourtant, plusieurs établissements n'ont pas rouvert leurs portes, faute de terrasse mais aussi par choix.
Le mot-dièse #tousenterrasse était en tête des tendances sur twitter ce mercredi en France. Un mot-dièse doublé d'un mot d'ordre relayé par plusieurs membres du gouvernement, prenant la pose une tasse à la main. Même le président de la République s'est fendu d'une petite vidéo de lui et du Premier ministre en train de prendre, comme si de rien n'était, le petit café du matin sur la terrasse d'un bistrot parisien. "Retrouvons ce qui fait notre art de vivre", lançait le chef de l'Etat aux internautes. Une grande opération de communication qui masque une réalité plus nuancée.
"C'est compliqué d'avoir des chiffres", affirme Yann France, président de l'Umih (Union des métiers et des Industries de l'Hôtellerie) dans le Calvados, "Mais il faut savoir que selon les statistiques nationales, il y a un établissement sur quatre qui dispose d'une terrasse. Je pense que sur ces établissements, seulement un sur deux a dû ouvrir." A Caen, Emmanuel Maintenant, le patron du "Bouchon du Vaugueux" a choisi d'attendre, pour le moment, la prochaine étape du déconfinement : le 9 juin. Et pourtant, "le téléphone n'arrête pas de sonner, les gens sont prêts à revenir, c'est certain".
Manger avec un gros manteau ou une veste, c'est pas agréable."
Mais le restaurateur caennais estime avoir fait le choix de la raison. Son épouse, qui l'aide en salle, se remet tout juste de la Covid. Et sa terrasse, d'une capacité de 14 places (contre 37 pour la salle), ne permet pas, à elle seule, d'assurer la rentabilité de l'établissement. "Les conditions ne sont pas idéales", estime Emmanuel Maintenant, "Nous on travaille que des produits frais. On ne va pas acheter de la marchandise et risquer de la perdre. On ne peut pas se le permettre actuellement. En terrasse, quand vous prenez juste un café, vous restez cinq-dix minutes. Mais manger avec un gros manteau ou une veste, c'est pas agréable."
La météo, c'est ce qui inquiète grandement ceux qui ont décidé de reporter la réouverture de leur établissement, souvent à contre-coeur comme Walid Aïssa, le gérant de la pizzeria "Napoli". Le jeune chef d'entreprise, 30 ans, a pourtant repris cette affaire en juillet dernier et n'a pu travailler que quatre mois (fermeture le 28 octobre). "Notre envie était d'ouvrir à 100% mais aujourd'hui, du fait des restrictions imposées par le gouvernement, c'est juste impossible pour nous, ça va nous laisser une terrasse avec dix couverts et il y a beaucoup d'éléments aujourd'hui qu'on ne peut pas maîtriser, comme la météo. C'est un risque qu'il ne faut pas prendre", juge le patron. Cette fermeture prolongée, "c'est dramatique par rapport aux pertes financières qui sont énormes mais ça aurait été encore plus catastrophique dans la configuration actuelle."
Le cul entre deux chaises
Et le ciel normand n'a, en ce jour de réouverture, pas fait mentir sa réputation. "J'ai aménagé un petit espace dans la cour avec des parasols mais là, il pleut en ce moment, on ne peut pas prendre des réservations pour des clients ce midi", regrette Stéphane Pugnat, le chef du Dauphin et vice-président de l'Umih dans le Calvados. Le chef d'entreprise sait qu'il n'est pas le plus à plaindre dans son secteur d'activité. "Moi, j'ai la chance d'avoir un hotel : à partir d'aujourd'hui, je peux assurer la restauration de mes résidents, matin, midi et soir. Par contre, on ne peut pas accueillir les clients de passage à l'intérieur." Il aurait pourtant préféré une ouverture plus tardive mais à 100%, "ne pas avoir le cul entre deux chaises, si vous me pardonnez l'expression".
Cette position est partagée par le président de l'Umih dans le Calvados, pour qui, les restrictions imposées, outre le manque de visibilité (la météo) et de rentabilité, créent des inégalités entre les acteurs d'une même profession. "Les restaurants d'hôtel ont le droit de servir leurs clients dans leur restaurants. C'est un peu frustrant pour le restaurant "pur" qui ne peut pas servir. La différence, elle est où ? Il n'y en a pas", explique Yann France, "Et même pour les hoteliers, les gens vont favoriser un établissement avec un restaurant par rapport à un autre qui en est dépourvu. Donc ça crée des tensions entre confrères : pourquoi lui est ouvert et pas moi ? Pour éviter tout ça, on aurait dû faire une ouverture commune le 9 juin."
Mettre "un pied dans la porte de la réouverture"
En Seine-Maritime, son homologue, Philippe Coudy veut, lui, "rester positif". Le président de l'Umih 76 estime qu'il faut sortir de la vision normande obnubilée par la météo et rappelle que "le plan du gouvernement a été négocié avec nos organisations professionnelles, toutes unies et toutes confondues, qui représentent plus de 100 000 établissements en France." Propriétaire de trois établissements dans ce département, il a décidé de rouvrir sa brasserie, même si, d'un point de vue comptable, l'opération paraît peu profitable. "Les terrasses, c'est pas un vrai modèle économique, tout le monde le sait, sauf si vous êtes en bord de mer, en bord de plage, aux mois de juillet et d'août et qu'il fait très beau. Mais c'est quand même une main tendue du gouvernement, un pied dans la porte de la réouverture et il faut la saisir pour ceux qui le peuvent."
Philippe Coudy souligne également que "nos collectivités locales, au Havre, à Rouen, ont donné des possibilités d'extension voire de création de terrasses" et rappelle que "le gouvernement nous donne la possibilité sur le mois de mai d'avoir encore l'entièreté de notre fonds de solidarité". Il enjoint donc ses confrères "qui ont la possibilité d'avoir une trentaine de places ou 20-25" à reprendre du service. "Et au pire, ils seront en équilibre grâce à l'entièreté du fond de solidarité sur le mois de mai. Sachant que, la dernière semaine de mai, le beau temps est annoncé !"
Éviter une quatrième vague
Raison de plus pour jouer la carte de la prudence, rétorque-t-on à Caen. "Il faut relancer la machine, relancer l'économie, que les clients reviennent, que notre personnel reparte, qu'on soit content à nouveau de retravailler, que tout se passe pour le mieux dans les meilleures conditions possibles", explique le patron du Bouchon du Vaugueux, Emmanuel Maintenant. "La lumière commence à arriver mais je ne vais pas me prononcer sur l'avenir", indique son confrère du Napoli, Walid Aïssa. Si le retour à un fonctionnement normal est prévu pour le début de l'été, la reprise économique, elle, apparait incertaine. "Ça prendra du temps. Les trésoreries c'est très compliqué à faire. Tout va dépendre du nombre de gens qu'on va pouvoir avoir. Et éviter surtout une quatrième vague à la fin de l'été. Faudrait surtout pas que ça se reproduise parce que là, ce serait très très compliqué."
Pour les restaurateurs, la prochaine étape, ce sera le 9 juin avec une réouverture des salles à 50 % de leur capacité et des tables de six personnes, la disparition des jauges sur les terrasses et un couvre-feu décalé à 23 heures.