Ils montent à bord de tous les navires de commerce qui naviguent sur la Seine pour sécuriser leurs déplacements. Les pilotes de Seine connaissent par cœur le fleuve et ses dangers.
Sur la Seine naviguent quotidiennement des navires de commerce de 40 000 tonnes. Passer les boucles du fleuve et éviter le piège de l’échouage n’est pas donné à tout le monde. Pour prendre la barre, il faut être pilote de Seine, les seuls habilités à gouverner sur le fleuve. Rencontre avec Jérémy Gounet, qui manœuvre ces navires depuis 15 ans.
Une journée avec les pilotes du fleuve
Ce jour-là, sa journée débute à 18 heures. Son train-train quotidien commence dans les locaux de la station de pilotage. Une tour de contrôle du trafic maritime. C'est là que se décide quel navire va remonter ou descendre la Seine, en fonction des horaires de marée.
Jérémy Gounet, pilote de la Seine depuis 15 ans, est chargé d’aller chercher en mer un porte-conteneur qui fait route vers Rouen. Il passe par le vestiaire pour s’équiper de sa veste de pilote et d’un gilet de sauvetage. Avant de prendre la barre d’un céréalier ou d’un pétrolier, il lui faut évidemment monter à bord. Pour cela, il embarque sur une vedette.
Quand les navires patientent en mer au large de Deauville par des creux de plusieurs mètres et de nuit, l’embarque et la débarque du pilote peuvent devenir dangereuses.
"C'est plus ou moins sportif et ça dépend de l’heure : par 3 mètres de creux à 2 heures du matin, parfois l’estomac a du mal à encaisser", reconnait en souriant Jérémy Gounet. Pour l’heure, il est à bord d’une pilotine, une vedette dédiée à la manœuvre de transbordement des pilotes. La mer est d’huile. Alors l’embarquement à bord d’un navire de 100 m de long comme le Lydia est d’une simplicité enfantine.
Le seul maître à bord c'est le commandant...en théorie
En quelques minutes, il a gagné la passerelle où l’attend le commandant. A bord du Lydia, comme de tout autre navire, le pilote a un rôle de conseil. Le seul maître à bord c’est le commandant. Enfin, en théorie. Dans les faits, Jérémy prend la barre du navire et se charge d’éviter les écueils que réserve la Seine, pour l’amener à bon port.
Viktor Jeliov, le commandant lituanien du Lydia, accueille à bras ouverts Jérémy avec un traditionnel café, verre d’eau ou jus d’orange. Ces deux-là se connaissent de longue date, le petit porte-conteneur navigue sur la Seine plusieurs fois par semaine entre le Havre et Rouen.
Les pilotes connaissent tous les courants montants et descendants, les hauteurs d’eau dans le chenal. Nous, on ne connaît pas tout cela. Les pilotes sont indispensables
Viktor Jeliov, commandant du Lydia
Un pilote est capable de prendre la barre de n’importe quel navire de commerce. Jérémy explique : "Chacun a ses particularités, suivant leur gabarit et leur tonnage ils ne réagissent pas de la même manière. Il faut acquérir une solide expérience de manœuvrier avant de pouvoir passer le concours de pilote."
Ce concours exige des candidats de tout connaître de la Seine : localisation des bancs de sables, force des courants, particularités du chenal, influence des marées… Les pilotes sont les vigies de la Seine, dénommée « snaky river » par les équipages du monde entier, en raison de ses nombreuses courbes.
"On va utiliser pour les navires allant à Rouen la marée qui monte depuis la Manche jusqu’à Rouen. Toute cette quantité d’eau qui remonte la Seine pousse le navire. Cela nous permet d’économiser de l’énergie et du temps" constate Jérémy Gounet.
Les pilotes évitent tout risque de collision ou d'échouage
Du temps, Jérémy en a. De l’estuaire jusqu’à Rouen, un navire met en moyenne 6 heures à remonter la Seine. La vitesse atteint 12,7 noeuds (soit 22 km/h). Mais la vigilance des pilotes se doit d’être continue. De nuit, seules des lumières qui se déplacent au loin attirent l’œil. Un pétrolier arrive en sens inverse. Chacun reste de son coté du fleuve. Jérémy Gounet explique que "si le bateau se serre sur le bord, l’eau cogne contre la berge et revient en force. Résultat le navire est repoussé vers le milieu du fleuve. C’est comme dans une baignoire. Le risque de collision est alors élevé."
Cette vigilance est nécessaire pendant 3h30 environ : Jérémy est remplacé à mi-chemin, à Caudebec-en-Caux. Lors de la relève, un autre pilote monte à bord du Lydia, Jérémy lui passe les informations puis quitte le porte-conteneur.
Un travail 7 jour sur 7, 24 heures sur 24
Les pilotes travaillent ainsi de jour comme de nuit. Les marées dictent leurs allées et venues sur le fleuve. Un fleuve que Jérémy qualifie de "lieu magique, changeant, autant au niveau de la couleur que du temps. La rivière offre des perspectives de vues magnifiques. C’est une relation affectueuse même si parfois elle est pénible par ses conditions météorologiques, par le brouillard toujours prenant. Il faut la connaître techniquement pour l’apprécier."
Les pilotes ont aussi un soutien technique depuis les quais du Havre. Dans leur station de pilotage, le pilote major contribue à réguler le trafic.
Philippe Lepape, pilote major, explique que d’ici, "on donne les créneaux horaires par rapport à la marée, pour monter ou descendre, selon la taille du bateau et son tirant d’eau [ NDLR partie immergée de la coque]. Il y a des bateaux chargés qui descendent, d’autres légers qui montent mais ils ne peuvent pas se croiser n’importe où dans les boucles de la Seine. On règle le timing pour qu’ils se croisent dans une ligne droite. Le but est de rendre fluide le trafic."
Le pilotage s'acquiert au fil des ans
La hauteur d’eau déterminée par le pilote major influe directement sur l'économie du trafic maritime. "Par exemple, pour un gros navire céréalier qui vient de Rouen, la coque s’enfonce d’un centimètre chaque fois qu’on charge 70 tonnes de marchandise. Si on donne 10 cm de tirant d’eau de moins, ça leur fait 700 tonnes de moins de chargement. Faites les calculs : à 400 euros la tonne, ça va vite", précise Philippe Lepape.
Jérémy a le mot de la fin. Son métier il n’est pas prêt de le quitter. "Le pilotage est un métier d’expérience, c’est quelque chose qui s’acquiert au fil des ans. Un pilote qui est à la veille de partir en retraite apprendra encore des choses."
Le reportage "Les pilotes de Seine" est à retrouver dans Enquêtes de région, consacrée à La vie en Seine, à 22h55 sur France3 Normandie, et sur notre site :
https://www.france.tv/france-3/normandie/