Fatimata Guissé est arrivée en France en 1982, à 23 ans, à la faveur d’un regroupement familial. Son mari, Aliou, avait émigré du Sénégal pour le travail. Installés à Canteleu, dans la banlieue de Rouen, ils ont eu 6 enfants. Parmi eux, Maïram Guissé, devenue journaliste. En racontant l’histoire de sa mère, elle a réalisé qu’elle racontait aussi la sienne. Et celle de ses amies. Des femmes fortes, libres, indépendantes. Féministes à leur manière.
« Elle, c’est ma mère Fatimata. Elle est arrivée en France en 1982, à 23 ans. C’est mon père, Aliou, qui l’a ramenée du Sénégal. Lui a émigré pour le travail. Elle fait partie de cette génération de femmes pionnières du regroupement familial.
Elle voulait une famille. Ca c’est fait. On est 6 enfants, 2 filles puis 4 garçons. Tous nés ici.
Je ne m’étais jamais vraiment intéressée à sa vie. Bizarre mais la vie de ma mère c’est vrai. Je ne la voyais que comme ma daronne. Jusqu’à ce jour où j’ai eu un flash. »
Extrait du documentaire "La vie de ma mère" de Maïram Guissé
Elle était dans la rue, elle avançait vers moi chargée de valises. Et là, je me suis dit : mais c’est qui en fait ma mère ? Comment cette femme s’est construite entre la France et le Sénégal ? Et quelle est son histoire ?
Extrait de « La vie de ma mère » de Maïram Guissé
Commence alors un travail de longue haleine. Trois ans de tournage, entre la France et le Sénégal. « Interviewer sa mère c’est très dur, d’autant plus quand il y a autant de pudeur. Je voulais accepter son rythme et ne pas la brusquer », nous raconte la réalisatrice.
Trouver sa place dans l’histoire
Elle continue : "Je ne voulais pas être dans le documentaire, je ne voulais exister que hors champ. La pudeur que ma mère a, je l’ai aussi. Je voulais aussi que ma mère s’exprime par elle-même, pour elle-même, avec ses mots et sa manière de penser."
Je ne voulais pas lui voler la parole. Mais ce n’était pas incompatible avec ma présence dans le documentaire. J’ai mis deux ans à l’accepter. Son histoire fait partie de la mienne et j’ai compris beaucoup de choses de mon histoire à travers elle.
Maïram Guissé, réalisatrice de « La vie de ma mère »
Comme dans cette séquence bouleversante où Fatimata, après 20 ans passés à faire le ménage dans la même société, part en retraite et que personne n’est au courant.
Dans cette séquence, on sent la colère de sa fille de l’autre côté de la caméra. Sa révolte contre ceux qui voient sa mère sans la regarder, sans l’entendre.
Et pourtant, elle reste en retrait. Elle respecte la réaction de sa mère sans la juger : « elle est comme ça, elle avance tout le temps, même quand ça fait mal. »
« C’est fini maintenant, c’est la retraite. C’était triste, très triste. Ca fait 20 ans que je travaille là. (…) Et là ça y est, c’est fini. (…) Y’a pas de pot, y’a rien.
- Pourquoi ils ne t’ont rien organisé ?
Peut-être parce qu’on est des femmes de ménage. Je sais pas. »
Extrait du documentaire "La vie de ma mère" de Maïram Guissé
Un film sur l’amitié
« Je ne savais pas ses premiers jours, ses premiers mois en France… sa solitude… sa première grossesse sans sa communauté, dans un F3 de Canteleu », nous raconte Maïram Guissé.
Et puis Fatimata a rencontré Coumba, Tata Ken et toutes les autres. Ces pionnières du regroupement familial qui se sont construit, ensemble, un réseau d’entraide. Un tissu social festif et solidaire. Le documentaire raconte aussi ce collectif. Une histoire d’amitié qui perdure encore aujourd’hui… elles habitent encore à quelques pas les unes des autres, même de retour au Sénégal.
C’est des féministes. Pas celui qu’on montre, pas le féminisme intellectualisé. Mais elles sont féministes à leur manière.
Maïram Guissé, réalisatrice
« Ma mère fait partie d’une génération pour qui la discrétion est de mise. Pour qui il est important de ne pas se faire remarquer.
Ca y est, j’ai rencontré une partie de la femme qu’elle est. C’est elle et ses amies qui m’ont fait comprendre qu’il n’y a pas une seule façon d’être femme, libre, indépendante, féministe. (…) Comme moi, et sûrement comme ma fille plus tard, ma mère doit composer avec une identité multiple et pleine de contradictions. »
« La vie de ma mère », un documentaire à découvrir jeudi 19 mai 2022 à 22h50 sur France 3 Normandie.
Rediffusion le 23 mai à 9h50.
Et le 13 juillet à 23h20 sur notre antenne nationale dans le cadre de la programmation estivale L'Heure D.
« La vie de ma mère » de Maïram Guissé
Une coproduction Upian, Dipenda et France Télévisions