DOCUMENTAIRE. Sous le palais de justice de Rouen, "La Maison Sublime" dévoile les secrets enfouis du plus ancien monument juif de France

Synagogue, centre d'études, riche résidence ? Quelle est cette "maison sublime" découverte sous le palais de justice de Rouen lors de travaux de terrassement en 1976 ? Des vestiges qui n'ont pas encore révélé tous leurs secrets… Notre documentaire du jeudi tente d'en percer les mystères.

Dans la chaleur du mois d’août 1976, des ouvriers font des travaux de terrassement dans la cour du palais de justice de Rouen. En creusant, ils découvrent par hasard une cavité entourée de murs : le rez-de-chaussée d’un bâtiment de style roman, construit au 11e ou au 12e siècle. On lui donnera bientôt le nom de "Maison Sublime", conformément à l’un des graffitis hébreux gravés dans la pierre : "Que cette maison soit sublime pour l’éternité." Mais elle n’a pas encore révélé tous ses secrets… Notre documentaire du jeudi tente de percer le mystère.

Ce monument, c’est le plus ancien monument juif de France mais c’est sans doute aussi le plus ancien monument juif d’Europe.

Jacques-Sylvain Klein, délégué de l’association Maison Sublime de Rouen

Extrait de "La Maison Sublime" de Cécile Patingre

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Une coproduction Rosa Normandie Films, Temps Noir et France Télévisions ©« La maison sublime » de Cécile Patingre

« On connaissait l’existence de communautés juives assez importantes et nombreuses principalement en Champagne, avec notamment Rachi de Troyes qui était le grand maître du judaïsme médiéval. En Alsace. Et puis aussi un petit peu à Paris et dans le sud de la France.

Mais concernant la Normandie, on ne connaissait quasiment rien. En un été, (…) Rouen est devenu un des très hauts lieux de l’archéologie juive », explique Jacques-Sylvain Klein, délégué de l’ association Maison Sublime de Rouen dans le documentaire « La Maison Sublime » de Cécile Patingre.

La découverte de ce bâtiment est essentielle parce qu’elle permet de mieux comprendre le quartier juif de Rouen. Ce n’était pas un ghetto, mais un lieu ouvert, où les Juifs vivaient côte à côte avec les Chrétiens.

En ces XIe et XIIe siècles, Rouen est alors une très grande ville de 40.000 habitants, dont 20% de Juifs, selon certaines estimations. Ils bénéficient de droits de résidence, de commerce, de léguer des biens à leurs héritiers, de recouvrer les créances auprès de la Cour royale. On estime que l’apport des juifs représente le tiers des recettes fiscales du royaume.

Rouen est à cette époque un haut lieu de la vie intellectuelle juive. Les lettrés juifs échangent et débattent notamment avec les lettrés chrétiens au sujet de l’interprétation des textes.

La Maison Sublime est ainsi le témoin d’un temps exceptionnel de tolérance dans l’histoire européenne.

Une maison pour quel usage ?

C’est le grand mystère de la Maison Sublime. Et encore aujourd’hui, le débat subsiste entre archéologues, historiens et chercheurs. Là où certains voient une « yeshiva », c’est-à-dire un lieu d’étude des textes du judaïsme, d’autres voient une synagogue ou la résidence d’un Juif fortuné.

Dans le documentaire de Cécile Patingre, le rabbin de Rouen, Chmouel Lubecki, livre son sentiment. Pour lui, le terme de « Maison Sublime » gravé dans la pierre " ne peut pas être sur une maison d’une personne. Ca ne peut être que sur un endroit saint, c’est-à-dire ou une yeshiva ou une synagogue. Si on écarte l’hypothèse de la synagogue, parce qu’on n’écrit pas sur les murs d’une synagogue, il ne reste que l’hypothèse de la yeshiva (lieu d’étude des textes du judaïsme)."

"Pour moi c’est un élève. Surtout à la taille où le graffiti se trouve. Il ne l’a pas écrit debout, il l’a écrit assis. Donc il doit être en train d’écouter le cours de son maître devant lui, il est assis, et là il se met à prendre une pierre et à écrire sur le mur son sentiment."

durée de la vidéo : 00h01mn57s
Une coproduction Rosa Normandie Films, Temps Noir et France Télévisions ©« La maison sublime » de Cécile Patingre

Au début du 14e siècle, les Juifs seront expulsés du royaume de France et leurs biens saisis.

« Bientôt on va devoir quitter ce lieu, [l’élève] discute avec son ami de la situation et il dit on va graver ça dans le mur pour que ça reste éternel.

On est dans cette théorie où ils sont dans les derniers jours. Ils doivent certainement subir des persécutions. Et donc [cet élève] écrit son souhait qu’il y aura une fin à tout ça. C’est peut-être ça le sens.

Il veut qu’il y ait une trace. Qu’une personne vienne, le lise et découvre ce sentiment qu’il avait », explique Chmouel Lubecki, le rabbin de Rouen, dans le documentaire.

Quelque part, ce graffiti, il a été écrit pour nous. On revient mille ans en arrière et on revit ce que cet élève est en train de vivre, au même endroit. C’est toucher l’histoire, c’est quelque chose de très fort.

Chmouel Lubecki, rabbin de Rouen

Extrait de « La maison sublime » de Cécile Patingre

Un point de vue partagé par Sonia Fellous, historienne des religions et médiéviste :  « Cette maison a été sublime… jusqu’à ce que la miséricorde de Dieu veuille bien être accordée aux exilés de Sion, c’est-à-dire les exilés de Jérusalem. Je ne peux pas imaginer que ce soit des choses qu’on écrit comme ça parce qu’on s’ennuie… c’est impossible pour moi. Ca revient trop souvent, comme une incantation, comme une supplication peut-être aussi. »

Pour moi, les graffitis sur les murs, en général ce sont des lieux d’incarcération. Pour vouloir laisser son empreinte, il faut être incarcéré, rester longuement ou s’angoisser. Peut-être que les gens ici se sont enfermés dans l’espoir d’échapper à une émeute ? Les témoignages ne manquent pas quant aux persécutions contre les Juifs sur le chemin des Croisés qui partaient s’embarquer pour la Terre Sainte.

Sonia Fellous, historienne des religions et médiéviste

Extrait de « La maison sublime » de Cécile Patingre

durée de la vidéo : 00h01mn18s
Une coproduction Rosa Normandie Films, Temps Noir et France Télévisions ©« La maison sublime » de Cécile Patingre

 

"C’est certainement un lieu de prière. Certainement en tout cas un lieu d’étude. Ou en tout cas un lieu où sont rassemblés à ce moment précis des gens capables d’écrire l’hébreu sur des murs et ils connaissaient parfaitement la Bible. Donc on a affaire ici à des gens qui avaient un minimum d’érudition", conclut l’historienne.

La réalisatrice du documentaire est encore poursuivie par les secrets de la Maison Sublime.

C’est un lieu de mystère merveilleux. On a trouvé beaucoup de choses avec ce documentaire mais je pense qu’il reste encore pas mal de secrets.

Cécile Patingre

Réalisatrice de « La maison sublime »

Elle poursuit : « Rien que le débat sur l’identité du monument est encore très vif : est-ce que c’est une académie talmudique, une synagogue, une maison civile ? Il y a des hypothèses qui vont dans tous les sens… il y a encore un mystère à découvrir. Peut-être avec d’autres fouilles archéologiques ? Pour moi, certainement un prochain film. » (Interview de la réalisatrice recueillie par Fabienne Bahin lors de l'avant-première à la mairie de Rouen).

La Maison Sublime est l’unique trace matérielle qui subsiste des Juifs de Normandie. Elle est actuellement fermée au public pour y effectuer des travaux de conservation.

 (re)VOIR. "La maison sublime"

Un documentaire diffusé le jeudi 24 février 2022 à 23h sur France 3 Normandie et disponible en replay  sur france.tv.

Rediffusion le lundi 14 mars à 9h50.

« La maison sublime » de Cécile Patingre

Une coproduction Rosa Normandie Films, Temps Noir et France Télévisions 

Une diffusion suivie d'un Débadoc consacré à l’archéologie en Normandie

Un débadoc animé par Antoine Oricelli avec :

  • Vincent Carpentier, archéologue à l’INRAP et spécialiste de l’ archéologie du Débarquement 
  • Luc Bourgeois, professeur d’archéologie médiévale au centre Michel-de-Boüard / CRAHAM de Caen
  • Jean-Marie Martin, adjoint au patrimoine de la ville d’Eu venu nous parler de Briga
  • Et Nathalie Gaubert, responsable du service accueil et animation du site de Gisacum à Evreux

L’émission sera rediffusée le mardi 15 mars à 9h50.

Et disponible ici, en replay, dès le 25 février.

La France en Vrai - Normandie/, chaque jeudi à partir de 22h50

Une collection de documentaires portée par le réseau régional de France 3, diffusée dans chacune des 13 régions de France et qui traite de grands sujets de société.

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