Le théâtre-cirque d'Elbeuf et La Brèche à Cherbourg, tous deux pôles nationaux du cirque, attendent la subvention que doit leur verser la Région Normandie. Cette dernière conteste la nomination d'un directeur sur chaque site.
Mise à jour, lundi 23 septembre 2024. La Région Normandie a voté, lors de sa Commission permanente du 23 septembre 2024, les subventions et contributions de la Région aux deux pôles nationaux du cirque de Cherbourg et d’Elbeuf. Ont ainsi été approuvées : 310 000 euros de contribution statutaire pour La Brèche, 399 800 euros pour le Cirque-Théâtre d’Elbeuf, 180 000 euros de subventions supplémentaires pour la Plateforme-Cirque, partagées entre les deux pôles.
Ce devait être une fête. Ce week-end, le théâtre-cirque d'Elbeuf proposait au public deux spectacles gratuits pour lancer la saison 2024-2025. Mais sur scène, les spectateurs ont vu arriver une partie de l'équipe portant une large banderole demandant : "Le théâtre-cirque en danger ?". Jeudi prochain, à l'autre bout de la région, c'est l'autre pôle national du cirque de Normandie, La Brèche à Cherbourg, qui interpellera son public. Mais le véritable destinataire du message, c'est la Région Normandie dont les deux sites déplorent "le silence radio". Et attendent le versement de la subvention qu'elle leur doit cette année.
En Seine-Maritime, ce sont plus de 500.000 euros qui manquent dans les caisses du cirque-théâtre d'Elbeuf. "Ça représente 20% de notre budget, c'est une somme énorme qui nous est absolument nécessaire pour finir l’année 2024 et pour engager la saison 2024-2025 qui vient de démarrer", explique Hélène Cadiou, la secrétaire générale du site seino-marin. "Le danger immédiat, c’est qu’il va falloir faire appel aux banques si cet argent n’arrive pas. Il doit être versé avant le 31 décembre."
"Sans argent, on ne peut rien faire"
À Cherbourg aussi, sur le site de la Brèche, la nouvelle saison démarre dans un climat menaçant. Plus de 380.000 euros, soit 23% du budget, n'ont pas été versés. "Ce qui est complexe c’est que ce financement est dû puisque c'est une contribution statutaire à l’établissement public", indique Lancelot Rétif, le directeur par intérim de la Brèche. "Néanmoins, sans argent, on ne peut rien faire. On ne pourra pas payer les factures d’énergie, les artistes, les fournisseurs, les loyers, les salaires, c’est tout simplement un blocage complet qui nous attend sans ces versements."
Et pourtant, selon les responsables des deux sites, la gestion est saine. "Tous les voyants sont au vert, du point de vue budgétaire, du point de vue de la fréquentation du public. Nous avons réalisé une excellente saison 2023-2024 : + de 90% de fréquentation, + de 20 000 spectateurs, le lieu a une très belle notoriété", affirme Hélène Cadiou, à Elbeuf. Avant d'ajouter : "Et la Région a toujours été un soutien historique depuis plus de 20 ans de ce projet."
La Région boude ?
Mais la Région Normandie est désormais aux abonnés absents. Au cœur du problème : la gouvernance des deux pôles jadis assurée par une même personne. "Un rapport d’inspection du ministère de la culture a été commandé par tous les partenaires et a un peu décrit les défauts de ce système : beaucoup de trajets sur la route, beaucoup de concentration des missions, le fait que la coopération se passe dans la tête d’une personne, ce n’est pas forcément suffisant. Il prônait un autre modèle", raconte Lancelot Rétif.
La nouvelle organisation qui est en train de se mettre en place de part et d'autre de la Normandie, c'est un responsable par site."Ça permet une meilleure proximité sur nos territoires. Les territoires de Rouen et d'Elbeuf d'un côté et les territoires de Cherbourg et du Cotentin de l'autre sont très différents. Ça permet déjà d’être plus à l’écoute de ces territoires." Selon les équipes du cirque-théâtre et de La Brèche, les collectivités locales (Métropole de Rouen, Cherbourg-en-Cotentin, les Départements de la Manche et de Seine-Maritime) soutiennent cette nouvelle organisation. Toutes, sauf la Région.
"C'est un blocage politique"
La Région considère qu'elle n'a pas été associée (...) dans les modalités de recrutement de la direction", nous indique, dans une réponse lapidaire, l'intéressée. Contactée à deux reprises par les rédactions de France 3 Normandie (Rouen et Caen), elle n'a pas souhaité en dire plus. "La Région a choisi de prendre en otage - le terme est peut-être un peu fort - son propre établissement public, son propre service public en le bloquant et en bloquant toute discussion avec celui-ci", déplore Lancelot Rétif. "On n’est vraiment pas dans une question financière puisque ces sommes sont votées dans le budget de la Région. C’est un blocage politique qui met en danger la structure, les artistes et les personnels."
Le festival Spring en danger ?
Selon les responsables du théatre-cirque, en plus de fragiliser les deux sites, la situation fait peser une lourde menace sur l'avenir et le festival Spring, symbole de la coopération entre Elbeuf et La Brèche. "Nous avons un poste de coordination du festival Spring qui est en stand-by pour l’instant et on ne sait pas si on pourra réaliser l'édition 2025", s'alarme Hélène Cadiou. "Ce qui va finir par être menacé, c’est finalement un festival de cirque qui, à l’échelle d’une région, est quelque chose d’assez exceptionnel, quelque chose qu’a co-construit la Région et accompagné pendant 12 ans. C’est assez surprenant qu’aujourd’hui ils mettent ce festival en fragilité", estime Lancelot Rétif.
En fin de journée ce mercredi 11 septembre, la Région daigne enfin sortir de son silence et indique dans un communiqué vouloir défendre l'avenir du festival Spring. "Il est devenu ces dix dernières années l’un des trois premiers festivals de cirque en France et un des plus importants festivals de cirque en Europe." Un succès qu'elle estime découler de l'ancienne organisation, celle d'une direction unique. "La coopération très étroite entre ces deux établissements complémentaires, impulsée par cette direction sous le nom de « Plateforme 2 pôles cirque en Normandie », leur a permis de devenir les piliers d'un accompagnement et d’une diffusion du cirque contemporain à l'échelle régionale qui n'ont que peu d'exemples en France."
"Une posture coercitive de l'Etat"
La Région Normandie refuse d'endosser le mauvais rôle dans ce dossier : "l’Etat a imposé son choix unilatéral de recruter deux directions (...) Depuis la fin 2023, la Région alerte sur les risques que cette décision fait courir à la pérennité de la coopération entre les deux pôles cirque." Et de justifier la suspension des financements comme "le seul moyen restant à sa disposition pour lutter contre la posture coercitive de l'Etat. " Mise en cause par les deux pôles cirque, la Région Normandie leur conseille de s'adresser au ministère de la culture.
La prochaine édition du festival Spring (la 16e), intitulée "Faire corps avec le monde", doit avoir lieu du 5 mars au 16 avril 2025.