Au lycée Jeanne-d'Arc de Rouen, plusieurs témoignages font état de méthodes peu orthodoxes pour dissuader les lycéens en grève de bloquer leur établissement. Une jeune fille de 15 ans aurait subi un véritable interrogatoire, avec menaces et intimidations. Une attitude de la direction du lycée jugée totalement disproportionnée selon les élèves concernés, leurs parents, ainsi que l'intersyndicale enseignante.
Un vent de liberté et de joyeuse rébellion soufflait ce jeudi 1er février 2024 au lycée Jeanne-d'Arc de Rouen, où quelques lycéens s'étaient mis en tête de bloquer l'entrée de leur établissement scolaire, solidaires de la journée d'action nationale de leurs professeurs.
"Un blocus pacifique"
"On a bloqué le lycée totalement. Les syndicats étudiants s'étaient mobilisés avec les profs. C'était un blocus pacifique, tout s'est très bien passé", raconte T., lycéen en terminale et manifestant.
Cette journée d'action visait à dénoncer notamment des réformes inégalitaires, de mauvaises conditions de travail, des salaires en berne, ou encore le SNU le service national universel.
"Il y avait aussi beaucoup d'élèves de seconde pour qui c'était la première action, ils ne savaient pas trop comment faire" poursuit le lycéen.
Parmi ces novices de la manifestation, B., une toute jeune fille, qui sera convoquée par la proviseure adjointe de son établissement.
Interrogatoire ou simple convocation ?
Aucune dégradation ni personnes molestées n'ont été à déplorer. Pourtant après le blocus du 1er février, la jeune fille est donc convoquée par des personnels de direction du lycée Jeanne-D'Arc.
La jeune fille, que nous avons rencontrée, prétend avoir subi "un véritable interrogatoire de police". Elle a été convoquée dit-elle, parce qu'elle tenait une pancarte, et qu'elle aurait été vue parlant à une personne sur des images de vidéo surveillance. Or cette personne aurait insulté la proviseure adjointe, ce qui aurait motivé la convocation de la lycéenne.
La jeune fille assure avoir été interrogée pendant deux heures, et à plusieurs reprises sortie de la salle pour "réfléchir sur ses actes". La lycéenne affirme aussi avoir été menacée : "Si tu portes plainte, on portera plainte contre toi pour avoir bloqué le lycée".
De son côté, le rectorat indique qu'il s'agissait bien d'identifier la personne qui avait insulté la direction, mais en aucun cas d'intimider la jeune fille pour avoir participé au blocus. L'entrevue n'aurait duré que 20 minutes. Enfin toujours selon le rectorat, aucune sanction n'aurait été prise contre les élèves manifestants.
Pourtant d'après ses camarades, B. serait ressortie deux heures plus tard, en pleurs et bouleversée.
B. est sortie choquée, tremblante, angoissée. Ils ont fait pression sur elle pour qu'elle identifie les manifestants, en utilisant les caméras de surveillance de Vigipirate. Mais B. ne connaissait pas ces personnes extérieures au lycée. Ils ont été agressifs avec elle, ont claqué des portes pour l'intimider, l'ont laissé seule en la privant de son téléphone. Elle ne pouvait pas prévenir ses parents.
T. en Terminale au lycée Jeanne-d'Arc à Rouen
L'intersyndicale enseignante déplore des menaces
Dans un communiqué daté du 7 février, l'Intersyndicale enseignante (Snes FSU76, Sud Education 76-27, SNEC FP FO 76, CGT Educ'action 76) évoque pourtant, et déplore, une répression à l'égard des lycéens qui ont manifesté. Elle rappelle que "le droit de manifester est protégé par l'article 20 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen".
"Cette répression, qui s'organise à coups de convocations et de menaces de dépôts de plaintes, est scandaleuse. Pire, alors même que la direction n'a aucun droit de sanctionner ce qui se passe en dehors de l'établissement, une lycéenne qui manifestait sur la voie publique a été convoquée le lundi 5 février et exclue pour une journée. Des intimidations, des violences verbales, des injonctions à dénoncer ses camarades, des menaces de représailles scolaires et des méthodes d'interrogatoire déstabilisantes ont été utilisées par la direction de l'établissement."
L'Intersyndicale rappelle son soutien et sa solidarité envers les lycéens concernés et leurs familles.
Les parents de la jeune lycéenne devaient par ailleurs être reçus ce vendredi par la direction du lycée Jeanne-d'Arc.