Gérer les voyages, choisir un hôtel à prix raisonnable, faire venir ou pas son entraîneur : le quotidien des joueuses de tennis ne tourne pas seulement autour du sport. Témoignage.
L’Open de tennis de Rouen prend ses quartiers cette semaine au Kindarena, du 16 au 23 octobre. Une 8e édition exclusivement féminine qui s’inscrit dans le circuit international WTA, dont les tournois peuvent se révéler être aussi bien des tremplins pour les joueuses que des gouffres financiers.
Devenu cette année un tournoi exclusivement féminin, l’Open de Rouen fait partie des 65 étapes du circuit international WTA, avec à la clé pour la gagnante 125 000 $, et 160 points pour son classement mondial. Pendant une semaine, plus de cinquante joueuses vont s'affronter en simple ou en double, sur le court central, et le court numéro un du palais des sports de Rouen.
Il est bientôt quinze heures, derniers échanges de balles avant le début du match, pour les quatre joueuses qui vont disputer un double. D'un des côtés du filet, la jeune Normande de 22 ans, Alice Robbe classée 393e en double, de l'autre, Jessika Ponchet, 26 ans, classée 114e en double. Après quelques échanges, Jessika et sa coéquipière, la tchèque Renata Voráčová creusent rapidement l’écart. Pourtant, jusqu’au bout les quatre joueuses offrent un véritable spectacle à la trentaine de spectateurs présents sur le court 1.
Presque deux heures plus tard, c'est Jessika Ponchet et sa partenaire qui remportent le match, sous les applaudissements des spectateurs. Mais ce moment de sport et de convivialité dissimule une autre réalité pour les joueuses : celui de la solitude, des contraintes financières et des inégalités. Loin des hôtels de luxe et des privilèges que peuvent s'offrir les grands champion du top 100, les deux joueuses performent parfois à perte, ou du moins doivent tout calculer.
C’est pas simple de compter à cinq euros près tous les voyages pour économiser un max et se permettre de faire le tournoi suivant »
Alice Robbe, joueuse professionnelle de tennis
Après sa défaite, Alice Robbe doit immédiatement prendre un train pour repartir. Etudiante en master de finance, elle jongle entre sa vie de joueuse professionnelle et sa vie de jeune femme. En déplacement sportif, sur les bancs de la faculté ou sur les courts, sa vie est en tout cas bien différentes des championnes : « il y a énormément de gens qui me disent que j’ai une vie de rêve, que je voyage tout le temps et qu’ils aimeraient être à ma place. Je vais les emmener avec moi, car non c’est pas simple de voyager seule, de perdre au premier tour et d’attendre une semaine seule dans un pays qu’on connaît pas, d’être à l’hôtel et de manger seule. C’est pas simple de compter à cinq euros près tous les voyages pour économiser un max et se permettre de faire le tournoi suivant ».
Derrière sa passion pour le tennis, la jeune Normande traîne derrière elle l’aspect financier : payer le matériel, les déplacements, les hôtels, son inscription aux tournois, son entraîneur… Un poids qui pèse très lourd dans sa carrière de jeune sportive : « ma saison est pondérée en fonction de mes moyens. Je ne peux pas faire tous les tournois, je ne peux pas partir tout le temps avec mon coach. J’avise tout le temps : quand je fais un gros déplacement, le mois d’après j’essaye de trouver des tournois dans le coin pour que ça me coûte moins cher ».
La difficulté de pouvoir se payer un entraîneur
Pour le moment avec son classement en WTA, Alice n’a pas les moyens de se payer un entraîneur à temps plein "pour que ce soit possible, je dois être dans les 150 meilleures au classement » explique-t-elle. Un classement qui pourrait lui permettre de participer aux quatre tournois du grand chelem, dont la récompense financière pourrait tout changer sur une saison : « une fois les qualifications passées, c’est 60 000 euros environ, ça permet d’avoir un coach et ça, ça change tout". Être dans le top 100 offre également pour les joueuses une visibilité qui leur permet d'avoir des sponsors et donc des revenus avantageux ainsi que du matériel, et de bonnes conditions, tous frais payés pour s'entraîner.
La contrainte budgétaire, Jessika Ponchet doit aussi la prendre en compte, même en étant classée aux alentours de 110e joueuse mondiale : « aujourd’hui avec mon niveau, je peux payer mes déplacements, mes tournois, louer un appartement et vivre normalement en faisant un peu attention. L’avantage, c’est que ma mère m’entraîne. Si j’avais les frais de coaching comme d’autres joueuses, je finirais l’année à 0 euros, ou déficitaire ».
A 26 ans, cette Landaise pense déjà à la manière dont elle va anticiper la suite de son parcours, les carrières de sportifs professionnels s’arrêtant globalement aux alentours de 35 ans ."Quand on est dans le top 100, on peut mettre de côté et prévoir l’avenir, ce n’est pas mon cas. A 35 ans, si je suis toujours au même niveau, je vais devoir trouver tout de suite un emploi » s'inquiète la joueuse qui n'arrive pas à mettre de l'argent de côté. Son classement ne lui laisse pas le temps de suivre une formation, ou des études à côté. "Quand on est dans le top 150, on fait attention à tout : sommeil, alimentation, récupération, étirement... C'est une certaine forme de fatigue en plus de la fatigue physique du sportif" raconte Jessika, en ajoutant que ses journées sont rythmées par les entraînements, étirements, bain froid, kiné...
Le fonctionnement entre hommes et femmes n'est pas équitable. Quand on est une femme, on ne touche pas d'aides
Jessika Ponchet, joueuses de tennis professionnelle
Lorsqu’elle parle des sacrifices liés aux dépenses financières pour sa carrière, Jessika Ponchet n'omet pas de mentionner les différences qui existent entre le circuit masculin de tennis, l'ATP, et son circuit, la WTA : "le fonctionnement entre hommes et femmes n'est pas équitable. Les femmes ne touchent pratiquement rien, même en étant dans le top 100. A l'ATP, quand on est classé 450 mondial, on a une aide de 4000 $ pour s'acheter le matériel, payer les tournois et logement". Des faits qu'elle constate grâce à son frère, également classé à l'ATP.
Pour tenir bon, Jessika Ponchet sait qu’elle peut toujours compter sur la famille : fille de deux anciens professionnels du tennis et sœur d’un joueur classé en ATP, elle a grandi avec le tennis, ce qu’elle considère comme une chance : "plus qu’un soutien financier, ils sont un soutien moral pour moi. Ma mère qui est aussi mon entraîneur vient presque sur tous les tournois avec mon frère et moi". Et lorsqu'on la questionne sur ce pourquoi elle a choisi cette profession, Jessika Ponchet répond sans hésiter : les émotions procurées par les interactions avec les spectateurs : "c'est comme du dopage quand les gens viennent nous féliciter".