PORTRAIT. Qui est "Monsieur Rêve", ce libraire vintage qui doit fermer son enseigne à Rouen ?

Véritable institution à Rouen, la librairie vintage "Le rêve de l'escalier" fermera définitivement ses portes le 31 janvier 2023. Au-delà du lieu, c'est aussi " Monsieur rêve" que ses clients vont regretter.

"Je suis venu te dire que je m’en vais et tes larmes n’y pourront rien changer" : c'est avec ces quelques mots tirés d'une chanson de Gainsbourg que Michäel Féron a annoncé la fermeture de sa librairie sur les réseaux sociaux.

Un choc pour les nombreux clients très attachés à ce lieu emblématique, situé rue Cauchoise à Rouen.

Une institution vieille de 25 ans

Plus qu'une librairie, "Le rêve de l'escalier" est une institution à Rouen. Depuis 25 ans, on y déniche des livres d'occasion, des ouvrages rares à petit prix, des 45 tours qui nous replongent avec délice dans les années 80, mais aussi et surtout des conseils avisés et une immense bouffée de chaleur humaine dès l'ouverture de la porte.  

Derrière son comptoir, l'âme du lieu veille au bien-être de ses clients. Michaël Féron a repris la boutique il y a 15 ans, et l'a transformé en un lieu unique et atypique, où plusieurs générations se croisent du mardi au samedi. Un lieu d'échange, de convivialité, de partage.

Au delà des livres, Michaël Féron a monté plusieurs événements au Rêve de l'escalier : des concerts, des conférences, des happenings," en poussant les murs" de sa petite boutique de 50 mètres carrés. 

Plus que des livres, le bouquiniste vend... du rêve, d'où le surnom qu'on lui a attribué de "Monsieur Rêve". "C'est un surnom que vous m'aviez donné, à France 3, dans un reportage tourné il y a une dizaine d'années...Ca m'est resté, tous mes clients m'appellent comme ça", s'amuse-t-il.

Alors pourquoi partir ? 

"Ce n'est pas dû à des difficultés financières, la boutique marche bien" relate Michaël Féron. Sauf que le libraire arrivait à la fin de son bail commercial.

"Mon propriétaire a vendu les murs du Rêve de l'escalier. Je n'ai pas pu les racheter donc le nouvel acquéreur me demande de quitter les lieux le 31 janvier 2023, dans quelques semaines seulement" précise Michaël Féron qui doit désormais anticiper son départ.  

Celui-ci s'annonce de taille, pas moins de 30 000 ouvrages, BD, livres de poche, mangas, livres anciens, collections de prestige doivent encore être écoulés. 

Plus de 30 000 livres à écouler en un mois

"Pour vendre tous les livres avant le 30 janvier, je vais mettre en place 3 systèmes", explique Michaël Féron :

• "Mes clients pourront acheter des livres et autres objets avec 50 % appliqué sur mon prix de vente jusqu’à épuisement.
• Ceux qui voudraient aider mais qui n'ont pas de place pourront acheter des livres pour une association (type ressourcerie, Emmaüs ou Armée du Salut)
• Pour tous mes clients expatriés à l'étranger et qui m'ont signifié leur envie de m'aider, ou tous ceux qui me suivent sur les différents réseaux, mais qui seraient trop loin physiquement de la librairie, je mets en place une cagnotte Leetchi".

1 500 personnes en trois jours dans la petite boutique 

Depuis l'annonce de la fermeture, le "Rêve de l'escalier" ne désemplit pas. Mardi 27 décembre, au lendemain de l'annonce, il était même très difficile de circuler dans l'étroite caverne d'Ali Baba, tant le public se pressait pour acheter des livres par dizaines et témoigner son affection à leur "libraire préféré".

La plupart des clients affichaient une mine sidérée. Difficile pour eux d'admettre que le lieu ferme définitivement ses portes. Au-delà de la vente de livres, ils étaient nombreux à passer "juste pour un petit bonjour, prendre un café ou simplement parler". L'une d'entre-elle, retraitée, se demande en pleurs " où est-ce que je vais aller maintenant ?"

"Parfois, explique Michaël Féron, je suis la seule personne à laquelle des retraités ou des personnes esseulées parlent dans la journée. Je connais les vies de chacun".

Sur la page Facebook de la librairie, des centaines de clients ont réagi après cette annonce. Michaël Féron n'en revient pas : "Je suis tellement touché par tous ces témoignages. C'est un vrai cadeau. Mon coeur est trop petit pour recevoir tout l'amour qu'on me donne !".

J’ai beaucoup donné de moi, sans compter, pendant 15 ans. J’ai écouté, discuté, conseillé, consulté, échangé, dialogué, offert, fait se rencontrer les uns, aidé les autres, organisé nombre d'événements … et j’ai beaucoup reçu en retour.

Michaël Féron

Page Facebook Le Rêve de l'Escalier Librairie Vintage

Toutes générations confondues, les clients viennent le saluer, parfois une dernière fois : "Hier, une petite Lisette, qui me surnomme Tonton livres, a voulu rendre hommage au Rêve de l'escalier à sa façon. Du haut de ses 8 ans, elle a donné un petit concert avec sa trompette juste devant la boutique. Elle a été très applaudie par les passants, j'étais vraiment ému".  

Dans la boutique, les fidèles jouent le jeu, veulent aider leur libraire et achètent des "kilos" de livres à moins 50 %.

"J'ai besoin de combler un manque qui va arriver"

"Une fidèle cliente avec qui je discute toujours beaucoup est venue hier avec un sac à dos de l'Armée. Je l'ai vue prendre un carton et y mettre au moins 10 kilos de livres alors je lui ai demandé comment elle allait transporter tout ça" nous raconte Michaël Féron. "Elle m'a répondu : C'est beaucoup, je sais, je n'ai pas besoin d'autant de livres, mais j'ai besoin de combler un manque qui va arriver."

Dans ce reportage de 2008, tourné par France 3 Normandie, ce lien très fort entre le libraire et ses clients est déjà palpable :

Les clients les plus fidèles semblent tous se presser pour venir une dernière fois dans cette boutique mythique. Une jeune étudiante est venue le voir en pleurs en le remerciant de lui avoir vendu son  premier livre de l'édition "La Pléiade" à 20 euros. "Baudelaire en Pléiade, c'était mon rêve et j'ai pu m'offrir ce trésor grâce à vous" a-t-elle tenu à lui confier.

La fermeture de la librairie sera effective le 31 janvier 2023

"J'ouvrirai sûrement les deux derniers lundis de janvier, exceptionnellement. J'ai aussi des amis musiciens, Boule, Lady Arlette, ou encore Amélie Affagard qui veulent venir jouer une dernière fois dans la boutique. Ce mois de janvier, ce dernier mois d'ouverture, sera joyeux. Je ne veux pas de pathos, ni de pleurs. On va refermer ce chapitre en beauté, avec le sourire" annonce Michaël Féron.

Cet ancien professeur de philosophie et de tennis a déjà quelques idées pour sa future reconversion : "Je n'ai pas de plan B, je ne sais pas si j'ouvrirai un autre lieu. Mais je me donne deux ou trois mois pour me poser, digérer, et me réinventer. Je rebondirai comme je l'ai toujours fait. Une chose est certaine : je continuerai dans le partage, je continuerai à distiller du rêve".