Sécheresse annoncée : les agriculteurs s'organisent face au manque d'eau

« On ne peut pas vider nos stocks de nourriture pour l'hiver tous les ans, et en plus dès le printemps. Cette année, le prix de la nourriture pour les broutards a été multiplié par deux, je ne vais pas pouvoir en acheter suffisamment » s’inquiète Daniel Courval.

La pluie a déserté les cieux normands depuis quelques mois. Malgré un hiver terne, les précipitations hivernales, celles qui rechargent les nappes phréatiques, n’ont pas été au rendez-vous. Il est tombé 41% de pluie en moins en janvier pour le bassin de Caen. Si la région normande n’a pas été placée en vigilance par la préfecture, les prévisions météos pour les semaines à venir inquiètent des agriculteurs.

Les verts pâturages en sursis ?

En Suisse Normande, les verts pâturages pourraient tout simplement griller. Les prairies arborent encore leur herbe grasse. « La prairie normande, c’est le top ! », affirme Daniel Courval installé en polyculture-élevage à Combray. Et pour cause, ses 95 bêtes y trouvent de quoi se nourrir sur 135 hectares et y paissent 8 mois par an.

« Mais c’est tout de même incroyable que la prairie soit menacée ici, en Normandie ! » s’inquiète-t-il. Il relève chaque jour les quantités d’eau tombée du ciel. Pour le mois de mai « on est à zéro. Et les prévisions annoncent encore zéro précipitation. L’an dernier il était tombé 98 mm en mai ». Le hic, c’est que janvier a aussi été très peu arrosé.

Les carnets de Daniel indiquent 60 mm en 2022 contre 90 en janvier dernier. Or, « il faut une pluie régulière (entre 800 mmm et 1000 mm d’eau répartis sur l’année) pour que l’herbage pousse correctement. On fait plusieurs fauches par an que l’on stocke pour nourrir les bêtes en hiver."

Si on manque une fauche ce printemps, ça va être très dur

Daniel Courval

Son voisin de parcelle, polyculteur-éleveur en bio, a lui aussi fait le constat du manque d’eau. Alors Jocelyn Bertrand tente de lutter contre l’assèchement des sols en plantant des haies qui encadrent ses cultures et ses prairies. « On plante de nombreuses espèces différentes, comme dans les haies naturelles. Si l’une ne résiste pas, ce n’est pas toute la haie qui disparaît. »

Les haies font office de barrière pour retenir l’eau quand de grosses quantités tombent d’un coup, et elles cassent les vents qui soufflent au printemps et assèchent considérablement les sols.

Jocelyn Bertrand, éleveur de vaches laitières

 

Ces haies offrent aussi de l’ombre à ses bêtes. Là aussi, Jocelyn s’est adapté. « J’ai choisi de travailler en bio, en extensif, et avec des vaches laitières rustiques. Je favorise les croisements : les bêtes résistent bien mieux aux variations climatiques et à la chaleur. Leur production de lait est plus faible qu’avec des Holstein – race à lait souvent utilisée dans l’agriculture conventionnelle – mais plus régulière sur l’année. »

L'élevage pour entretenir les paysages normands

Retour chez Daniel. Cet éleveur passionné travaille en extensif. Ses vaches entretiennent les paysages bocagers, et permettent de les maintenir. Alors pour lui, il y a urgence à lutter contre le manque d'eau et contre la fragilisation des prairies. « L’élevage enrichit la terre grâce aux bouses, et en se mélangeant à l’argile, permettent au sol de retenir l’eau. »

Si la prairie normande avec ses vaches semble très naturelle, la faire pousser sur les parcelles demande des compétences. Cet ancien comptable, installé depuis 1989 en Gaec avec sa femme, précise : «  j’ai bénéficié lors de mon installation de 5 années de suivi et de conseils pour savoir ce que l’on peut semer comme prairie et à quel endroit. On a tenté de semer du ray grass tardif sur des parcelles qui n’ont rien donné ! L’idéal c’est que poussent la fétuque, le ray-grass, et différents trèfles… ». Et pour cela il faut de l’eau.

Le prix de la nourriture pour les broutards a été multiplié par deux

La situation n’est pas la même partout en Normandie, il l’explique chez lui par la nature des sols, et pas seulement. « Ici les sols sont schisteux, ils ne retiennent pas l’eau, et en plus il y a la pente. Ici il vaut mieux avoir des versants exposés au nord qu’au sud, où rien ne pousse ! Mais c’est aussi lié au réchauffement climatique. » Si l’on excepte l’année dernière où l’été a été très arrosé, les éleveurs cumulent une quatrième année sèche. C’est trop.

« On ne peut pas vider nos stocks de nourriture pour l'hiver tous les ans, et en plus dès le printemps. Cette année, le prix de la nourriture pour les broutards a été multiplié par deux, je ne vais pas pouvoir en acheter suffisamment » s’inquiète Daniel.

Il possède aussi 25 hectares de cultures qui lui permettent d’avoir un complément pour nourrir ses bêtes, « mais sur certaines parcelles, les cultures souffrent aussi du manque de pluie. »

Jocelyn et Daniel vont surveiller le ciel avec attention : rien n’est perdu pour ce printemps, à condition que les cieux arrosent très généreusement les terres normandes dans les semaines à venir. La nostalgie les gagne quand on évoque une Normandie pluvieuse et tempérée même en plein été.  

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