La saliculture est désormais reconnue comme profession agricole. Sur l'île de Ré, cette loi qui vient d'être votée par l'Assemblée Nationale rassure la centaine de sauniers qui perpétue un métier vieux de 800 ans. Rencontre avec des sauniers.
Les marais, c'est la marque de fabrique de l'île de Ré. Les touristes ne résistent d'ailleurs pas devant le charme des paysages. Mais derrière ce cliché touristique, il y a des femmes et des hommes. Qui sont ces sauniers qui vivent entre terre et mer ?
Alors que l'Assemblée Nationale vient de leur reconnaître le statut d'agriculteur, nous sommes allés à la rencontre des sauniers de l'île de Ré.
Chaque année, les touristes immortalisent les marais salants, de nombreuses photos sont publiées sur Instagram :
Dans les marais salants de l'île de Ré, cette semaine la brise ne vient pas du large.
"C'est un vent de nord-est et il est redoutable car l'eau s'évapore très vite", s'inquiète Loïc Abisset qui est déjà très occupé à l'approche de la première récolte de sel de la saison.
Le président de la Coopérative de l'île de Ré a tout de même de quoi se réjouir. Le 9 mai dernier, l'Assemblée Nationale a voté à l'unanimité le projet de loi reconnaissant la saliculture comme profession agricole.
Pour les sauniers de l'île, c'est l'aboutissement d'une longue bataille.
"Ce statut sécurise les acquis car jusqu'à présent on bénéficiait d'un statut agricole dérogatoire. Ainsi, lorsque les aides européennes pour l'installation des jeunes agriculteurs ont été supprimées, l'État a pris le relais pour maintenir ces subventions. "Avec cette loi, on conserve aussi notre adhésion à la Mutuelle Sociale Agricole", explique Loïc Abisset, le président de la Coopérative.
Cette bonne nouvelle concerne tous les sauniers implantés sur l'île de Ré.
La reconversion de Pascal et Loïc
Sur l'île de Ré, il y a désormais une centaine de sauniers. Certains ont bénéficié d'aides à l'installation dans les années 90, alors que la profession était en voie de disparition. A l'époque, l'attrait d'un métier du terroir suscite des vocations, des citadins se laissent séduire par la vie insulaire.
Pascal Dufour et Brice Collonnier font partie de ceux qui ont décidé de changer de vie. A l'aube du 21e siècle, ils s'enthousiasment pour un retour au source. L'alchimie du marais est séduisante. La méthode est ancestrale. Ils vont tenter l'aventure.
Pascal, l'archéologue
Pascal Dufour était archéologue, en 2003, il décide de se reconvertir et s'installe sur la pointe septentrionale de l'île, à Saint-Clément-des-Baleines. "J'apprécie la tranquillité et la solitude" avertit Pascal qui a dû complètement reconstruire le marais lorsqu'il s'est installé il y a quinzaine d'années. Et ce qui continue de le fasciner, c'est la simplicité du métier.
De l'argile, de l'eau de mer, c'est un métier qui respecte l'environnement.
-Pascal Dufour, saunier
Au fil des ans, Pascal s'initie à la récolte du sel et au jargon de la profession. Comme les anciens, il parle des récoltes dans "les aires saunantes", à des moments et selon des techniques différentes. Il a appris que la fleur de sel est cueillie à la surface de l’eau avec une lousse à fleur, en fin d’après-midi. En cette fin mai, il a débuté la récolte du gros sel, le matin ou le soir de préférence, il utilisent un simoussi pour assembler des tas dans l’eau, il utilise aussi un souvron pour remonter le sel sur le chemin et former des petites pyramides. Il y a de la poésie dans la beauté des gestes mais l'hiver le métier est plus exigeant physiquement.
C'est parfois très éprouvant. Il faut de l'endurance et puis tout est manuel alors il faut faire attention de ne pas se blesser,
-Pascal Dufour, saunier.
Près de quinze après sa reconversion, Pascal est toujours saunier dans l'âme mais il envisage de quitter l'île de Ré. La flambée de l'immobilier est devenu un véritable casse tête pour les insulaires. L'ancien archéologue est découragé par le prix des logements.
J'ai l'intention d'aller m'installer dans le centre de la France où je trouverai une maison pour le prix d'un petit appartement sur l'île de Ré.
Brice, l'artiste des marais salants
En 2002 alors qu'il est étudiant aux Beaux-Arts, Brice Collonnier tourne le dos à la vie d'artiste. Il s'installe sur l'île de Ré pour apprendre le métier de saunier et exerce ses talents d'artiste dans les marais non plus avec des pinceaux mais avec les outils de la récolte de l'or blanc.Brice exprime désormais ses talents d'artiste dans les marais salants. Il créé des oeuvres d'art grandeur-nature, avec en guise de pinceau, un immense rateau, le fameux simousi qui lui permet de créer des tableaux de sel et d'argile, des oeuvres grand format qu'il sculpte à même l'argile.C'est un privilège d'avoir de la terre à gérer, ces marais ont plusieurs siècles, ils ont la même morphologie qu'au 19e siècle.
Au printemps, on retaille les angles qui vont s'arrondir avec le temps.
-Brice Collonnier, saunier.
La création devient une attitude et chaque été, les touristes s'arrêtent pour regarder ces créations éphémères du marais"
- Brice Collonnier.
On ne fait pas fortune mais c'est un métier valorisant, au geste séculaire, le marais a plus de 800 ans,
-Loïc Abisset.
Corinne a quitté Paris pour vendre du sel
Les marais salants ont permis d'autres reconversion heureuse.Corinne Lardeux respire le bonheur, pourtant il y a treize ans, cette jeune femme est victime d'un grave accident dans le cadre de son travail, une très mauvaise chute qui l'handicape. Corinne travaillait dans la production télé à Paris.
"J'ai tout lâché et je me suis installée ici et puis je suis rentrée au service commercial de la Coopérative. Je vends désormais du sel et je prends un plaisir incroyable car c'est la valorisation du travail des 70 sauniers qui adhérent à la Coopérative. C'est une nouvelle vie et c'est du bonheur.
Le sel est un produit très noble et cette petite croûte que l'on entend craquer dans la marais, c'est fabuleux.
Corinne Lardeux, assisante de la Coopérative de l'île de Ré.
De son côté le président de la Coopérative va reprendre le flambeau d'un autre combat celui de l'appellation de la fleur de sel qui fait la fierté des rétais. Loïc Abisset s'insurge contre l'appellation fleur de sel de Camargue alors qu'il s'agit selon lui d'une production industrielle.
C'est la fleur de sel qui a sauvé les marais de l'Atlantique mais son appellation n'est pas protégée, la controverse fait l'objet d'un recours en justice.
-Loïc Abisset, président de la Coopérative
Les sauniers vont tenté de mener une autre croisade pour que le sel reste l'une des principales activités économique de l'île de Ré.
Voici la carte de l'implantation des sauniers rencontrés sur l'île de Ré.
L'année dernière le magazine Cap Sup Ouest a posé ses caméras sur l'estran pour suivre Cédric Fortunier, un ancien vendeur de télévisions de Saint Etienne venu sur l’île pour devenir saunier est également maraîcher de la mer :
Les sauniers de l'île de Ré ont créent leur coopérative en 1942. Elle compte aujourd'hui 72 adhérents, sachant que l'île compte une centaine d'exploitants. Cette coopérative est née du besoin de mettre en commun les moyens humains (collecte, stockage, conditionnement et commercialisation).
Car la saliculture commence seulement à renaître de ses cendres. Elle a connu son apogée au XIXe siècle. À cette époque, mille sauniers produisent jusqu'à 30.000 tonnes de sel par an. Aujourd'hui, en moyenne 3000 tonnes de sel sont récoltés chaque année.
Au cours du XXe siècle, plusieurs facteurs entraînent le déclin de l'activité :
- le développement des transports ferroviaires qui met en concurrence le sel de l'île de Ré avec des sels produits industriellement.
- les nouvelles méthodes de conservation par le froid qui remplacent progressivement la conservation par le sel