Un couple de fleuristes de Royan est jugé pour acquisition, détention, offre et cession de stupéfiants. Ils commercialisaient des produits à base de cannabidiol. L'interdiction de vente de ce fameux CBD en France a pourtant été reconnue illégale par la Cour Européenne de justice.
30 000 euros d'amende et deux ans de prison dont un avec sursis : Pascal Labiche est ressorti quelque peu sonné jeudi dernier du tribunal correctionnel de Saintes. En septembre dernier, il avait déjà été surpris par la perquisition de la police dans sa boutique de Vaux-sur-Mer près de Royan. "On n’a rien fait de mal et rien à se reprocher", explique aujourd'hui le commerçant, "on s’était même présenté au commissariat avant de le mettre en vente". Selon lui, des médecins lui avaient même envoyé des patients. Sept mois plus tard donc, le voilà accusé de trafic de drogues.
On est tombé sur un parquet qui a une méconnaissance totale du produit et de la législation européenne. Moi, je n’ai rien vendu d’illicite. C’est incompréhensible et délirant. Je ne suis pas inquiet du tout. Le CBD m’aide bien à me détendre le soir, une bonne tisane le soir, un bon lait chaud au CBD le matin et ça m’aide vraiment moralement à supporter leur procédure ridicule et incompréhensible. Je suis assez confiant pour la suite. On a l’impression de servir un peu de bouc émissaire.
"Peu importe le dosage ; la loi, c'est zéro THC."
Une situation d'autant plus ubuesque que Sophia Moulat-Labiche, sa compagne, continue, elle, de vendre des produits à base de cannabidiol dans leur autre magasin à Rochefort. "On n’a pas compris pourquoi nous on ne peut pas en vendre. Il y en a partout. Même devant le tribunal à 300 mètres, il y a deux boutiques du CBD" nous déclare-t-elle, "quatre mois avec sursis, 30 000 euros d’amende et pour mon mari de la prison ferme pour trafic de stupéfiant, c’est difficile à accepter. Je ne dors pas la nuit, je suis en dépression depuis. J’espère que ça ne va pas finir comme ça".
Pour rappel, le CBD, abréviation de cannabidiol, est une molécule extraite du chanvre. Contrairement au THC (TetraHydroCannabinol), le CBD ne procure pas d'effets psychotropes et n'engendre pas de dépendance physique. Saisie par la cour d'appel d'Aix-en-Provence en 2018 dans l'affaire dite "Kanavape", la Cour Européenne de justice avait pourtant statué le 19 novembre 2020 qu'au vu des données scientifiques, "un Etat membre ne peut interdire la commercialisation du cannabidiol légalement produit dans un autre Etat membre". En clair, le CBD n'est pas une drogue. Visiblement, le parquet de Saintes n'est pas du tout du même avis.
Le principe, c’est qu’en France, on n’a pas droit de vendre de produits stupéfiants. A partir de là, vous avez un certain nombre de commerçants et de grandes fabriques qui essayent de contourner cette législation et à faire du prosélytisme en faveur de produits stupéfiants. Sous prétexte de vendre du CBD, on vous vend en réalité des produits finis qui contiennent du THC, la substance psychoactive. Peu importe le dosage, la loi, c’est zéro THC.
"Une clarification des autorités françaises serait la bienvenue."
L'issue de ce procès pourrait donc bien faire jurisprudence, alors que, partout dans le pays, des boutiques spécialisées fleurissent et ont pignon sur rue. En l'occurence, le tribunal de Saintes vient donc de défier le droit européen en se basant "sur le caractère prioritaire de la santé publique et le principe de précaution".
La cour de justice européenne rappelle effectivement qu’à titre exceptionnelle les juridictions françaises peuvent se baser sur un motif impérieux de protection sanitaire, à condition que cette protection soit nécessaire, justifiée et proportionnée. Et en l’espèce, le parquet de Saintes ne s’est appuyé sur aucune donnée scientifique, sur aucun rapport pour prouver la nocivité du CBD. Tout indique d'ailleurs le contraire. L’OMS a rendu un rapport en 2017 déclarant que le CBD n’est pas un stupéfiant, n’est pas nocif, n’a pas d’effets psychotropes ni d’effets d’addiction et l’OMS rajoute même que le CBD a un pouvoir thérapeutique extraordinaire. Une clarification des autorités françaises serait la bienvenue. J’appelle de mes vœux que ces affaires puissent remonter jusqu’à la cour de cassation et que le ministère de la santé puisse clarifier la question de l’autorisation de la commercialisation du CBD. Ce n’est pas possible que selon le territoire où vous habitez, on accepte la commercialisation de ce genre de substance et que dans d’autres cela soit assimilé à du trafic de drogue.
La décision a été mise en délibéré et devrait être rendue publique le 29 avril prochain.
Reportage de Corentin Fouchard et Valentin Leroux