A une ou deux éditions près, il y a toujours eu au moins un marin à larguer les amarres du vieux port de la Rochelle pour prendre le départ du Vendée Globe. Follenfant, Terlain, Isabelle Autissier ou, aujourd'hui, Yannick Bestaven. Cette course a changé leur vie.

"Vous l'entendez ? C'est le bruit de la mer. Ca fait des mois et des mois que je l'écoute et ça me suffit." Tous les passionnés de voile ont en tête le son de cette voix, celle de Bernard Moitessier, qui, en 1969, "pour sauver son âme", avait renoncé à la victoire du Golden Globe Challenge et continué sa "longue route" vers le Pacifique.

Pour la première fois peut-être, un marin posait des mots sur cette indicible expérience de solitude salée. Alors évidemment, on ne comparera pas les performances de son fidèle Joshua avec les foilers de dernière génération qui affrontent le grand Sud en ce moment. Un demi-siècle plus tard, la technologie et, il faut bien le dire, l'argent ont métamorphosé le rapport entre l'homme et la mer. N'en demeure pas moins que faire le tour de la planète à la seule force du vent, défier les éléments déchainés de Bonne-Espérance, les flots démontés de Kerguelen ou les montagnes d'eau du Cap Horn reste une aventure hors du commun pour des marins hors pair. Sur les pontons du port de La Rochelle, vous aurez peut-être un jour l'occasion de croiser l'un d'entre-eux. Attention pourtant, vous pourriez être déçus ; la plupart de ces femmes et de ces hommes se caractérisent par une humilité certaine, des âmes généreuses mais souvent avares de paroles.

"Je n'étais pas pressé d'arriver en fait !"

Il y a quelques jours, c'est chez lui, près du port des Minimes, que nous avons retrouvé Pierre Follenfant. Il faisait partie de ces treize hommes qui, le 26 novembre 1989, prenaient le départ de la toute première édition du "Vendée". Un autre Rochelais, Jean-Yves Terlain était aussi de l'aventure (abrité sous une drôle de verrière installée dans son cockpit, prototype des "casquettes" des derniers Imoca), mais un démâtage le contraint à l'abandon.

Pierre, lui, bouclera la boucle en 114 jours, cinq de plus que Titouan Lamazou (quarante de plus que l'actuel record). "Au départ, sûrement la première nuit, j'avais cassé un tiers de mon gouvernail" se souvient-il, "je me suis dit que pour moi, la course était finie, mais finalement j'ai continué. J'étais très handicapé, toujours sous voilure réduite. J'ai fait la course en mode un peu croisière !". Cette première édition fût évidemment marquée par le chavirage de Philippe Poupon et ces images inoubliables de son sauvetage par Loïck Peyron. Follenfant aussi s'était dérouté à cette occasion. "Philou nous avait vraiment fait très peur."

Mais c'est bien sûr son arrivée aux Sables qui est restée pour toujours dans un coin de sa mémoire. Nous lui avons fait visionner le reportage diffusé ce jour-là sur FR3. Il ne cachait pas son émotion."Ces images-là, je ne les avais jamais vues !"

Ce jour-là, j'ai réellement compris Moitessier qui avait fait demi-tour et qui ne voulait pas retrouver les humains. J'avais envie que le bateau ralentisse, je n'étais pas pressé d'arriver en fait ! Je sentais que ça se finissait et je me sentais tellement bien au bout de 114 jours. je voulais profiter encore au maximum de cette solitude qui ne me pesait pas du tout.

Pierre Follenfant, marin

"Avec Gerry, on a eu 87 noeuds de vent"

"Philou" Poupon retentera sa chance trois ans plus tard et finira troisième. En 1996, ce sera au tour de Marc Thiercelin qui finira officiellement second. Officiellement, car si Isabelle Autissier l'a précédé aux Sables d'Olonne, elle était depuis longtemps disqualifiée pour une escale technique en Afrique du Sud. La navigatrice n'est pas non plus prête d'oublier la tempête qui emporta cette année le canadien Gerry Roufs. Pendant deux jours, elle tenta de le retrouver. En vain.

Cette édition, elle avait été extrêmement difficile. On avait essuyé beaucoup beaucoup de mauvais temps. Avec Gerry, on a eu 87 nœuds de vent. Il faut imaginer ce que ça peut être avec la mer qui va avec. Et Gerry a malheureusement disparu. Je me suis déroutée deux jours mais je ne l'ai pas retrouvé. Les conditions étaient de toute façon apocalyptiques et on est passé très près d'avoir trois autres accidents évités grâce à la solidarité des équipages et le professionnalisme des Australiens.

Isabelle Autissier, navigatrice

Jeudi 3 décembre, Isabelle Autissier était l'invitée de l'édition régionale France 3 Poitou-Charentes : 

"Quand ça n'allait pas j'appelais ma mère."

Le 7 novembre 2004, ils sont pas moins de quatre Rochelais à prendre le départ de la course (si on considère Dominique Wavre comme le plus Rochelais des Suisses, à moins que cela ne soit l'inverse). Parmi eux, un gars et une fille qui se connaissent bien. Benoît Parnaudeau et Karen Leibovici ont fait leurs armes dans la class Mini. Des durs à cuire donc. "Pourquoi juste consommer quand on peut consommer juste ?", explique le premier qui court sous les couleurs du commerce équitable. La deuxième, elle, succède à Catherine Chabaud sur le "cirage rouge" de Van Den Heede, un bateau vieux de douze ans. Inutile de préciser que ces deux-là ne partaient pas pour la gagne ! "J'avais un budget de 300 000 euros", croit se rappeler Benoit, "le prix d'un foil aujourdhui !". Karen, quant à elle, vient de réchapper d'un accident de voiture et part avec des broches dans le dos. Elle finira dernière et heureuse après 126 jours en solo. "Je ne les comprends pas ceux d'aujourdhui !", rigole-t-elle seize ans plus tard, "nous ce qu'on aime, c'est d'être en mer. Plus c'est long, plus c'est bon ! J'ai eu un accueil de folie, comme si j'avais gagné !"

 

Le "Vendée", c'est tout ou rien pour les émotions. Tu te retournes un ongle et c'est la fin du monde ! Un albatros qui te survole et tu ne veux plus être ailleurs. Quand ça n'allait pas, j'appelais ma mère avec mon téléphone satellite. C'était radical. Elle m'engueulait ! "Tu nous a fait ch... pour partir, faire tes courses et tout ça, alors tu te débrouilles, tu fais ton tour et tu reviens ! Arrête de t'écouter et tu avances !" Du coup je raccrochais et tout allait bien !

Karen Leibovici, navigatrice

Avant d'entrer dans les mers du Sud, Benoît devançait Karen au sortir de Sainte-Hélène. "C'est un passage d'un seul coup, l'air est plus froid et plus dense. 40 noeuds dans le Sud, c'est pas la même chose qu'en Atlantique" se rappelle celui qui habite désormais en Polynésie. "Benoît m'a appelée" se souvient Karen, "il hurlait "suis en train de couler ! suis en train de couler !", mais il ne coulait pas du tout ! C'était juste les vagues qui déferlaient sur son pont tellement fort qu'il ne voyait plus la différence entre la flotte et le bateau". Lui a un tout autre souvenir de l'épisode...

 

J'étais le nez dans mon moteur qui s'était désamorcé et j'ai senti des mouvements bizarres du bateau. Je sors de mon trou et sur l'anémomètre, je vois 62 nœuds. J'avais déjà trois ris, je décide d'affaler pour ne garder que la trinquette, je lève la tête et je vois une "mama" vague ! Elle montait jusqu'au deuxième étage des barres de flèche, presque douze mètres ! J'ai eu le temps de me coucher dans le cockpit et elle a couché le bateau et l'a emmené sur 200 mètres ! Plus tard, vers le Cap Horn, c'était aussi des murs d'eaux avec des rafales à 55. Ça ne s'arrête jamais !

Benoît Parnaudeau, navigateur

Indiscible, vous avait-on dit. Et ce ne sont pas les dernières nouvelles envoyées du bord de "Maître Coq" qui nous feront envier ces marins de l'extrême. Du côté des terres australes françaises, le Rochelais Yannick Bestaven a semble-t-il fait une croix sur toute "hygiène", ramasse sa nourriture à la main dans ses fonds, se cramponne tant qu'il peut... Une vie de "sanglier", selon ses propres mots. Respect Mesdames Messieurs.

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