Colère des agriculteurs et réponses gouvernementales, heurts au Salon de l'agriculture, perspective des élections européennes : Benoît Biteau, agriculteur et eurodéputé écologiste de Charente-Maritime, dénonce les contradictions du vote des élus Renaissance et RN au Parlement européen.
Eurodéputé écologiste depuis 2019, l'agriculteur Benoît Biteau se mobilise sur de nombreux sujets, de la lutte contre les pesticides ou les mégabassines, à la rémunération du monde paysan. Alors que le Salon de l'agriculture s'est ouvert sur des images de violences rares entre agriculteurs et forces de l'ordre, il nous livre son point de vue sur la crise actuelle, les pistes pour y répondre, et l'approche des élections européennes.
Comment percevez-vous les événements qui ont eu lieu au début du Salon de l’agriculture, la violence de certaines actions, de certains mots, et la colère exprimée ?
La violence exprime une détresse. Je suis toujours ennuyé, embêté même par les actes de violence. Je pense qu'il faut toujours favoriser le dialogue à la violence, aux violences d’où qu’elles viennent, mais n'empêche que sans l'accepter, sans la valider, il faut essayer de l'analyser. C'est l’expression d’une grande détresse liée au fait que les annonces faites par le gouvernement pour essayer de sortir de la crise agricole ne sont pas les bonnes. Ça fait 30 ans qu'on a mal orienté les politiques publiques européennes. La crise de l'agriculture, la détresse des agriculteurs, c'est l'héritage de ces 30 années d'orientation de politiques publiques agricoles absolument désastreuses. Cela conduit par exemple à ce que 80% des aides européennes soient captées par 20% des agriculteurs, et l'erreur que fait ce gouvernement, alors que c'est la base qui est à l'origine de ce mouvement de colère, c’est de discuter avec les 20% qui ont capté les 80% d'aides. Forcément ceux-là, ils sont dans une approche conservatrice, de préservation de leur intérêt, qui ne répond absolument pas aux attentes de la majorité des agriculteurs qui sont en colère et qui sont en bord de la route.
Les agriculteurs ont l'impression de ne pas être entendus, de ne pas être écoutés, et c'est la raison pour laquelle ils ont ciblé le Président de la République. Après, il a fait une erreur de style fondamentale, c'est-à-dire que le Salon de l'agriculture, c'est le Salon des agriculteurs. Il a voulu se mettre au centre de ce premier jour de salon, notamment avec cette histoire de grand débat où il met les gens autour de lui. Mais c'est l'inverse qu'il fallait faire. C'est-à-dire qu'il fallait laisser les agriculteurs s'organiser en délégation et leur proposer de les écouter. On n'arrive pas au Salon de l'agriculture, le moment où les agriculteurs se retrouvent en se mettant encore une fois au centre de l'événement plutôt que l'inverse.
Emmanuel Macron s'adresse aux agriculteurs comme si c'étaient des “riens”, comme il a dit une fois. Je pense que c'est un citadin qui s'adresse à des culs-terreux.
Benoît BiteauDéputé européen EELV
Quand vous parlez du style, c’est aussi le ton employé au contact des agriculteurs samedi dernier ?
Mais c'est son côté condescendant permanent. Enfin, je veux dire, il s'adresse aux agriculteurs comme si c'était des “riens”, comme il a dit une fois. Je pense que c'est un citadin qui s'adresse à des culs-terreux. Donc ça déclenche ces attitudes de tutoiement. C'est comme s'ils avaient gardé les cochons ensemble, ce qui est loin d'être le cas.
Renaissance et le Rassemblement national semblent avoir une stratégie, relayée par les médias, d'organiser un duel pour les élections européennes. Où est la place des autres partis, de votre parti, dans ce duel ?
Ce qui serait bien, c'est que les médias fassent un travail d'information objective de ce qui s'est passé avant cette crise agricole et qu’ils montrent qui vote quoi notamment à l'échelon européen, pour expliquer qu'on soit arrivé à une situation si désastreuse. Je suis député européen, j’observe le vote de ces gens-là, et en vérité ils sont sur la même ligne.
Donc, que les médias veuillent tenter de nous présenter un duel, La République en marche / Rassemblement national, j'entends, mais sur la PAC, ils ont le même vote. Sur les accords de libre-échange, ils ont le même vote. Donc, sur les sujets qui sont quand même au centre du débat, c'est-à-dire une PAC - au-delà de ne pas être écologique -, qui n'est pas juste, pas équitable, pas sociale, et qui explique que 80% des agriculteurs sont en grave détresse, que ce soit le RN, les Républicains ou la République en marche, ils l'ont votée. Il ne manque aucune voix de ces trois groupes politiques au Parlement européen.
Sur les accords de libre-échange, nous, les écologistes, on a demandé un rejet des négociations sur le Mercosur. Ce rejet n'a été voté ni par le RN, ni par Les Républicains, ni par La République en marche. Je veux bien qu'on ait affaire à un débat, un duel LREM/RN, mais il va falloir qu’on m’explique où sont les différences.
En vérité, suite au déclenchement de ces mouvements de colère des agriculteurs, ces trois partis n'ont pas porté leurs responsabilités et ni un travail introspectif de tout ce qu'ils avaient validé depuis 30 ans en termes de politiques publiques qui ont conduit à ce désastre, comme la suppression des quotas, des stratégies ultralibérales, des accords de libre-échange dans tous les sens, une PAC désastreuse... Ils ont décidé de faire porter le chapeau à deux boucs émissaires, à deux punching-balls que sont l'Europe et les écologistes. C'est trop facile de faire ça.
Je veux bien qu'on ait affaire à un débat, un duel LREM/RN, mais il va falloir qu’on m’explique où sont les différences.
Benoît BiteauEurodéputé écologiste de Charente-Maritime
Cela dit, ça a mis en lumière ce qui se passe en Europe. Ça a mis en lumière ce que proposent les écologistes. Il y a très longtemps que nous, on dénonce tout ça et que l'on propose des alternatives. C'est notre force. Quand je dépose un amendement de rejet de la PAC, je ne dis pas qu'on renonce à une politique agricole commune, je dis que cette PAC-là n'est pas la bonne. Je propose une autre forme de distribution des aides publiques de la PAC, qui soit plus écologique bien sûr, mais qui soit aussi plus équitable, plus juste et plus sociale. Ces gens-là ne l’ont pas votée, ils ont préféré continuer avec les vieilles recettes dont on est en train de prendre en pleine face les conséquences maintenant.
A noter également que Rassemblement National qui se présente comme les chevaliers blancs volant à la défense des agriculteurs, en grands pourfendeurs des accords de libre échange, ne savent pas voter pour le rejet de l’accord de libre échange avec les Mercosur. Étrange, non? 🤔🤫 https://t.co/cNDkZXcdpN
— Benoît BITEAU (@BenoitBiteau) January 26, 2024
J'assume de parler d'imposture quand ces gens-là disent qu'ils sont au chevet de la détresse des agriculteurs. Ce sont des imposteurs. Ce sont eux qui ont créé les conditions de la déroute de l'agriculture en Europe et ce sont eux qui se présentent comme en capacité de les sauver. Einstein disait que ce n'est pas avec ceux qui sont à l'origine du problème qu'on trouvera la solution. Je vous signale qu’alors que M. Macron dit qu'ils vont arrêter toute négociation avec le Mercosur, il n'a toujours pas retiré le mandat de la France auprès de la Commission européenne pour négocier le Mercosur.
J'ai peur que le réveil soit difficile pour ceux qui continuent de croire en Jordan Bardella.
Benoît BiteauEurodéputé écologiste de Charente-Maritime
Au Salon de l'agriculture, il y a pourtant eu une grande différence de traitement de la part des agriculteurs entre Emmanuel Macron, le gouvernement, et Jordan Bardella, le RN. Qu'est-ce que cela vous inspire ?
Malheureusement, y compris dans le monde agricole, c'est un mal contemporain, c'est que les gens ont tendance à croire ce que racontent ces élus et ne font pas l'effort d'aller regarder qui vote quoi en vérité. Et en vérité, si on effectue ce travail-là, on se rend compte du décalage du discours de Jordan Bardella avec ce qu'ils font vraiment au Parlement européen. J'ai peur que le réveil soit difficile pour ceux qui continuent de croire en Jordan Bardella et qui nous menacent, et malheureusement, on est tous menacés, d'une majorité qui tournerait autour du Rassemblement national au Parlement européen. Parce que là on va découvrir, lorsqu’ils seront un peu plus visibles, à quel point le discours est décalé des actes.
80 % des agriculteurs sont en grave détresse, ce sont les oubliés des politiques publiques depuis 30 ans et le gouvernement discute avec les 20 % qui en sont les grands bénéficiaires.
Benoit BiteauEurodéputé écologiste de Charente-Maritime
Au début du mouvement des agriculteurs en janvier, les non-syndiqués - la base - ont été les premiers à se mobiliser, et en fin de compte, vous estimez que la FNSEA a dicté le projet gouvernemental ?
Oui, il y a 80 % des agriculteurs qui sont en grave détresse car ce sont les oubliés des politiques publiques depuis 30 ans, et on discute avec les 20 % qui sont les grands bénéficiaires des politiques publiques, ce sont les interlocuteurs qu’a choisis ce gouvernement.
On se réfugie derrière la légitimité de ce syndicat, majoritaire, qui a gagné la très grande majorité des chambres d’agriculture. On oublie d’examiner avec objectivité ce qui est à l’origine du mouvement agricole du moment, on oublie de vérifier si les 80 % d’agriculteurs en grande détresse qui étaient au bord des routes étaient alignés avec les positions officielles des grands syndicats qui président les chambres d’agriculture, et c’est ça la difficulté. Cette base silencieuse, trop silencieuse depuis trop longtemps, malgré les preuves de force fournies au mois de janvier, n’est toujours pas écoutée. Ce gouvernement est complètement à côté de la plaque à continuer à discuter avec des Arnaud Rousseau (FNSEA) ou Arnaud Gaillot (Jeunes Agriculteurs) qui ne représentent qu’eux-mêmes.
Quelles sont les revendications essentielles de ces 80 % ?
Les revendications principales concernent les revenus, ces agriculteurs souffrent parce que les revenus ne sont pas satisfaisants, 35 % des agriculteurs vivent avec moins de 350 euros par mois. Les difficultés financières se traduisent avec un indicateur qui fait froid dans le dos : 600 suicides d’agriculteurs en 2023.
La question du revenu repose sur deux ingrédients : les politiques publiques et le prix de vente des denrées agricoles. Pour les politiques publiques, dans les propositions de M. Macron, il n’y a rien qui bouge. M. Fesneau aurait pu dire : “On s’est plantés avec le plan stratégique national (PSN) qui décline la PAC au niveau français. On vous a entendus et on le réécrit”. Ils peuvent notifier n’importe quand un nouveau PSN à la Commission européenne.
L’Espagne a validé le plafonnement de toutes les aides au-dessus de 100 000 euros pour qu'elles reviennent dans le pot commun. Ça lui a permis de soutenir la filière agricole biologique pour qu’elle évite de s’effondrer sur fond d’inflation.
Benoit BiteauEurodéputé écologiste de Charente-Maritime
Ils pourraient redéployer les aides publiques, mettre un plafonnement de 100 000 euros par exemple : pour tous ceux qui touchent au-dessus de 100 000 euros, on remet ce qui dépasse les 100 000 euros dans le pot commun ce qui permet de redistribuer aux plus fragiles, aux plus sensibles, aux plus grands oubliés de la distribution de ces aides publiques, notamment les maraîchers, les éleveurs. Quand on a 100 000 euros d’aide, on peut peut-être accepter que tout ce qui va au-dessus ne soit plus un effet levier du changement. Parce que le credo de l’Europe c’est que les politiques publiques soient le levier du changement, de la transition, de la bifurcation. Ce n’est pas en mettant des aides sans plafond, en continuant de donner des centaines de milliers d’euros sans plafond toujours aux mêmes, dont Arnaud Rousseau fait partie d’ailleurs, qu’on est sur un levier du changement. Ça ne fait qu’entretenir des stratégies conservatrices.
L’Espagne, dans son PSN, a validé ce plafonnement, et toutes les aides au-dessus de 100 000 euros reviennent dans le pot commun. Ça a permis à l’Espagne de soutenir valablement la filière agricole biologique pour qu’elle évite de s’effondrer sur fond d’inflation. L’Espagne en 2023, a réussi la performance, grâce au plafonnement, de devenir le premier pays européen en surface bio et à dépasser la France alors que la France est le plus grand pays agricole européen, parce qu’elle a fait le choix d’une redistribution plus sociale, plus écologique des aides.
Nous, on a fait une simulation. En France, on a ce qu’on appelle le paiement redistributif, c’est une majoration des aides sur les 52 premiers hectares, qui participe à aider les structures les plus petites et souvent en plus graves difficultés économiques. Si on activait le plafonnement, on pourrait doubler le paiement redistributif actuellement disponible en France. On voit bien qu’il n’y a pas de volonté.
Les normes, comme les jachères et les produits phytosanitaires, sont-elles vraiment au cœur de la colère du monde agricole ?
Pour les 4 % de jachère, aujourd’hui sont éligibles les haies, les bosquets, les mares, les murets... Donc, réclamer la suppression de ces 4 % de jachère, paraît-il pour redonner un peu de capacité productive à la France, voudrait dire qu’on remettrait en culture des mares, qu’on arracherait des haies, qu’on araserait des bosquets. C’est quoi ce délire ? Ça s’adresse encore à qui, ça ? En vérité la très grande majorité des agriculteurs n'est pas pénalisée par ces 4 %. On a tous, quand on est dans des zones d’élevage, de bocage comme en Poitou-Charentes, très facilement la possibilité de présenter des surfaces éligibles à ces 4 %. Ceux qui sont vraiment impactés par ces 4 %, ce sont toujours les mêmes. Ce sont ceux qui sont dans les grandes plaines céréalières du bassin parisien, du Centre-Val de Loire ou encore de la vallée de la Garonne, qui, au fil des années, grâce aux politiques publiques, ont effacé tous les éléments de biodiversité et refusent de laisser un peu de ces surfaces à la nature et à la biodiversité.
Si on veut des pollinisateurs pour féconder des colzas, des tournesols qui sont un peu partout dans nos campagnes, on aura besoin de préserver ces zones de biodiversité.
Sur Ecophyto, on a l’impression que tous les agriculteurs voudraient continuer à massivement utiliser des pesticides. Mais, regardez le sondage BVA sorti dimanche qui demande aux agriculteurs demandent s’ils sont prêts à faire une transition écologique. La très grande majorité, 85 %, dit oui. Mieux que ça, 23 % d’entre eux disent que c’est même une opportunité. Et que fait le gouvernement, parce qu’il écoute la FNSEA et les Jeunes Agriculteurs, il leur donne un gage avec la suspension d’Ecophyto. Pour être allé les voir sur les barrages, ce que demandent les agriculteurs ce n’est pas un coup de frein à Ecophyto, ils disent que s’ils doivent faire Ecophyto, ils veulent juste qu’il y ait des politiques d’accompagnement efficaces, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Aujourd’hui on crame l’enveloppe à soutenir, perfuser l’agriculture qui ne se réinvente pas, et on n’a plus d’argent pour accompagner celle qui est prête à se réinventer, c’est là le nœud du problème.
Depuis 1986, on expérimente la réduction de 50 % des pesticides dans la plaine céréalière de Chizé et, on n’a pas de baisse de productivité, pas de baisse de rendement.
Benoit BiteauEurodéputé écologiste de Charente-Maritime
Sacrifier Ecophyto c’est sacrifier les agriculteurs. Ils sont les premières victimes de l’utilisation des pesticides, de très loin, on a une très bonne étude de la Commission européenne, sur les risques au travail des agriculteurs, le principal risque pour eux c’est l’exposition aux pesticides. C’est ce qui de très loin met en péril l’intégrité physique des agriculteurs, donc réduire de 50 % les pesticides préserve les agriculteurs et en vérité, au-delà des agriculteurs et agricultrices, les premiers menacés sont leurs enfants qui développent des cancers pédiatriques, comme ce qui se passe dans la plaine d’Aunis.
Semaine écologie environnement biodiversité : coup de projecteur sur la Zone atelier Plaine et Val de Sèvre, dans laquelle scientifiques et agriculteurs travaillent ensemble depuis 30 ans!https://t.co/5ZMxkhzCvW @ZA_PVS @UnivLaRochelle @INEE_CNRS @CNRSAquitaine @INRAE_Poitiers
— CEBC/ChizéLab (@CEBC_ChizeLab) June 12, 2023
En Poitou-Charentes, on a une zone expérimentale, la plaine-atelier de Chizé, où depuis 1986 précisément ils expérimentent la réduction de 50 % des pesticides dans la plaine céréalière de Chizé. Depuis toutes ces années, on n’a pas de baisse de productivité, pas de baisse de rendement. L’utilisation des pesticides n’est pas intimement associée à la souveraineté alimentaire. Quand on en utilise 50 % de moins, on produit autant. De plus, quand on réduit de 50 % l’utilisation des pesticides, on augmente la rentabilité de 200 euros par hectare et par an. Ça signifie que sur une structure moyenne de 100 hectares, le fait de réduire de 50 % les pesticides, ce que préconisent Ecophyto et la stratégie de La Ferme à la fourchette à l’échelon européen dans le cadre du Pacte Vert, ça fait 20 000 euros par an de plus, pour certains ça représente trois fois ce qu’ils gagnent aujourd’hui.