Le projet de loi ouvrant à "une fin de vie libre et choisie" porté par le député de Charente-Maritime Olivier Falorni vient d'être discuté à l'Assemblée Nationale. Nous avons souhaité recueillir la parole de professionnels de santé confrontés au quotidien à cette épineuse question.
"La séance est levée" ; ainsi s'est clos jeudi dernier, peu avant minuit, le débat parlementaire. L'article premier de la proposition de loi d'Olivier Falorni a quand même fait l'objet d'un vote, mais c'est désormais au gouvernement de prendre la responsabilité de présenter un nouveau texte... ou pas. "A l'heure où notre pays est engagé dans une course contre la montre pour vacciner les Français et vaincre un virus, je ne suis pas convaincu qu'il nous faille aujourd'hui ouvrir un débat de cette envergure", a déclaré Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Le débat sur l'euthanasie en France n'est donc toujours pas tranché et chacun restera aves ses convictions intimes mais aussi ses doutes et ses incertitudes.
"Clarifier les termes"
Les professionnels de santé que nous avons interrogés n'échappent pas à ces légitimes interrogations. Denis Del Nista et Antoine Depelchin sont praticiens hospitaliers dans le service de soins intensifs de Rochefort (Charente-Maritime). Valérie Cadot est responsable du service pneumologie. Géraldine De Montgazon travaille, elle, au centre de consultation sur les douleurs chroniques de La Rochelle. Tous quatre font face presque quotidiennement à des situations de fin de vie. Tous quatre pensent qu'effectivement il est sain de poser ce débat sur la place publique et, en premier lieu, de clarifier certaines choses.
"Moi, je suis pour qu’il y ait débat et pourquoi pas une loi. Ce qui m’embête, c’est qu’Olivier Falorni sous-entende que ça existe et que ça se passe sous le manteau et, ça, je n’en suis franchement pas sûr", nous dit Antoine Depelchin. Effectivement, le député de Charente-Maritime et nombre de promoteurs de la proposition de loi avancent régulièrement l'argument qu'il y aurait "entre 2.000 et 4.000 euthanasies clandestines en France". Un chiffre évidemment invérifiable et vraisemblablement faux mais qui montre bien le besoin urgent de sémantique pour avancer sereinement sur la question.
"Un patient atteint de la maladie de Charcot qui décide d’un suicide médicalement assisté, tant qu’il est encore capable d’en exprimer le souhait, et un autre patient qui souhaite une sédation profonde terminale pour des souffrances inaccessibles au traitement et qui lui pourrissent la vie, ce sont deux situations complètement différentes", explique en préambule Denis Del Nista, "on parle d’un côté de l’apaisement de la fin de vie et de l’autre d’un suicide médicalement assisté. Je ne sais pas si on a besoin ou pas d’une nouvelle loi, mais en tout cas il me semble que le préalable à légiférer, c’est de clarifier les termes".
"La différence, c’est l’intention", résume Géraldine De Montgazon, "Dans le cadre de la loi, mon intention est de soulager le patient. Je ne modifie pas la nature et les modalités de l’alliance dans laquelle je vais faire en sorte que le patient soit soulagé. Je vais simplement accepter que la survie puisse être altérée par ce que je vais utiliser comme produit parce que je vais considérer que l’objectif en termes de confort est supérieur à l’objectif en termes de survie. Mais je reste dans une intention de soulagement. Quand vous êtes dans un geste d’euthanasie, vous n’êtes pas dans une intention de soulagement. Ça change complétement notre posture".
"Dans 90% des cas, la loi Léonetti pose un cadre"
Clarifier les choses donc, mais aussi rappeler que l'actuelle loi Claeys-Léonetti, aussi imparfaite puisse-t-elle être considérée par certains, répond à l'écrasante majorité des cas rencontrés par ces professionnels de santé. Pour rappel, ce texte modifié en 2016 interdit l'acharnement thérapeutique et offre un cadre légal pour une mise en sédation profonde et continue d'un patient en fin de vie.
"Dans 90% des cas, la loi Léonetti pose un cadre", explique Valérie Cadot, "la demande de sédation profonde et terminale, elle, est autorisée et les patients peuvent la demander. Elle arrive de temps en temps et on a le droit de la discuter. On me la demande assez souvent et j’ai parfois pu répondre que c’était un petit peu tôt et qu’on pouvait se donner le droit de réfléchir. Mais finalement quand on calme la douleur, souvent les gens ne la demandent plus. Là où se pose la question de l’euthanasie, c’est dans les cas de maladies neurologiques, la maladie de Charcot ou des cas emblématiques comme Vincent Lambert, parce que là rien n’allait le tuer. Mais ça va concerner très peu de patients et c’est choquant que la France ne progresse pas là-dessus".
"Les seuls moments où je pourrai faire face à une situation extrême, c’est effectivement dans les cas de la maladie de Charcot. Un cas où le patient est tellement paralysé que je ne pourrais plus détecter de quel ordre est son inconfort", détaille Géraldine de Montgazon, "dans un cas comme ça, je me pose vraiment des questions. Je ne peux plus savoir si le confort du patient est respecté. Le doute alors d’une souffrance psychique majeur me ferait peut-être accepter de les endormir. Je considèrerais alors que je suis dans une posture de soulagement. Mais je ne suis donc pas sûre que l’on ait besoin d’une nouvelle loi".
"Pour tous les gens qui sont proches de leur fin de vie, avec une échéance à 48 ou 72 heures, la loi s’applique. Ça protège les patients, ça protège les familles et ça protège les soignants. Mais pour tout ce qui est euthanasie, il n’y a pas de débat là-dessus au sein de l’hôpital et il n’y a pas moyen de l’avoir parce que la loi n’existe pas", regrette Antoine Depelchin, "donc le projet de loi porté par Olivier Falorni a du sens et le débat doit être porté à l’Assemblée, mais je ne suis pas sûr que cela doive se passer au sein d’un hôpital".
On le voit bien, même au sein du corps médical, et c'est bien normal, les réponses sont contrastées, les avis divergent. Le serment d'Hippocrate et la loi Léonetti ne répondent pas à toutes les questions. "Il y a vingt ou trente ans, on avait du mal à utiliser les antalgiques. Je suis encore jeune docteur, mais j’ai vu un progrès énorme dans la prise en charge de la douleur", explique Valérie Cadot, "après, par rapport à la mort, on n’est pas tous prêts. Il faut accepter qu’il y ait des gens qui n’y arriveront pas tout de suite, même des médecins ou des infirmières qui ont plus de mal. Perdre un patient, ce n’est pas forcément un échec et ça, ça se travaille comme idée. Par contre qu’il souffre et que ça ne se passe pas bien, ça non".
"On peut envisager que philosophiquement ou moralement, le suicide n’ait rien de choquant, mais on peut aussi envisager que le suicide médicalement assisté soit lui choquant" ajoute Denis Del Nista, "je n’ai jamais été confronté au problème donc je n’ai pas d’opinion tranchée, mais ça m’interroge. Un professionnel de santé qui donne la mort, ça me questionne".
"Les dérives de la tarification à l'activité"
En revanche, s'il y a bien un point sur lequel nos quatre praticiens s'accordent, c'est évidemment celui des moyens et de la crise de notre système de santé, tragiquement mise en lumière depuis un an par le coronavirus. Bien souvent, la réponse politique au débat sur la fin de vie en France se résume à une promesse d'un effort budgétaire supplémentaire pour les services de soins palliatifs. Cela représente aujourd'hui 164 unités et 1.880 lits dédiés. La Rochelle devrait enfin se doter d'un service à part entière dans les mois à venir. Mais sur le fond, il y a comme une incompatibilité rédhibitoire entre l'accompagnement des mourants et le mode de gestion actuelle de l'hôpital en France.
"Pour ce qui est des moyens alloués aux unités de soins palliatifs, on est toujours face à un double discours", explique Denis Del Nista, "à l’heure actuelle, ces unités sont toujours financées par la tarification à l’activité, donc on fait du soin d’accompagnement aux mourants avec un objectif d’activité quand même. On entend un discours un peu hypocrite sur le ton « vous avez le temps de vous occuper des patients, mais quand même, faut que ça tourne ». Un discours qui oscille entre le paradoxal et le nauséabond selon la personne qui le tient".
"Je suis inquiète, très inquiète", avoue Géraldine de Montgazon, "nous sommes dans les dérives de la tarification à l’activité. Elle prend une place folle depuis quelques années. Quand le séjour d’un patient vaut de l’argent vis-à-vis de la sécurité sociale, c’est uniquement parce qu’il a consommé des médicaments et des actes techniques. Le soin relationnel n’a pas de valeur. Le fait de se réunir, de prendre des décisions collégiales, de décider avec un patient que son état nécessite des soins de confort plus que de survie, tout ça prend du temps. Il faut discuter, présenter les choses, il faut que les gens soient prêts. Ce soin, il n’a pas de valeur à l’hôpital".
Bref, un peu d'humanité, de cœur et d'intelligence, voilà ce qu'il faudrait pour un débat apaisé sur ce tabou qu'est la mort. Dans une société vieillissante, notamment grâce aux progrès de la médecine, ces problèmes de dépendance et de fin de vie vont s'imposer comme des enjeux majeurs de ce siècle. Il est grand temps, sinon de légiférer, mais de se saisir avec volontarisme, clairvoyance et détermination de toutes ces questions.