Ce lundi 6 décembre 2021, l’organisation non gouvernementale (ONG) Sea Shepherd et l’association France Nature Environnement (FNE) ont déposé des recours devant le Conseil d’État, contre le gouvernement, accusé de ne pas faire le nécessaire pour protéger les dauphins des captures accidentelles lors des pêches. A La Rochelle, l’observatoire Pélagis recense les populations de dauphins dans le Golfe de Gascogne, une espèce protégée et menacée de déclin.
« On a presque 1.200 dauphins communs qui se sont échoués sur nos plages en 2020. Juste pour cette espèce, ça fait quand même beaucoup », constate Olivier Van Canneyt ingénieur d’études chargé de la coordination générale des dispositifs de collectes de données à l’observatoire PELAGIS. Depuis 50 ans, l’observatoire basé à La Rochelle suit les populations de mammifères marins, dont les dauphins. Il est aussi une zone intense de pêche. Chaque année, entre 5.000 et 10.000 dauphins meurent, capturés accidentellement dans des filets de pêche. Le Golfe de Gascogne abrite une population importante de dauphins communs, une espèce protégée. « Depuis les années 1990, on a des pics d’échouages en hiver, ce n’est pas nouveau. Mais depuis 2016, ça s’est intensifié, notamment ces dernières années », constate Olivier Van Canneyt.
« Aujourd’hui, les scientifiques tirent la sonnette d’alarme. Parce que même s’il existe encore heureusement un certain nombre d’animaux vivants en mer, à moyen terme, on risque de percevoir un déclin de la population. »
Olivier Van Canneyt ingénieur d’études chargé de la coordination générale des dispositifs de collectes de données à l’observatoire PELAGIS.
Des ONG déposent des recours devant le Conseil d’État
Face à cette menace, Sea Shepherd et France Nature Environnement estiment que l’État français ne respecte pas la règlementation européenne en matière de pêche et la Politique Commune de la Pêche (PCP). « La France refuse de prendre les mesures nécessaires en mer et auprès des pécheurs pour réduire les captures accidentelles », affirme Elodie Martinie-Cousty, pilote du Réseau Océans, mer et littoraux de France pour l’association France Nature Environnement.
En juillet 2019 déjà, avec 25 autres ONG, France Nature Environnement (FNE) et Sea Shepherd déposent plainte auprès de la Commission européenne. L’instance ouvre en 2020 une procédure d’infraction contre la France, à qui elle intime de respecter la réglementation européenne de pêche. En février 2021, France Nature Environnement (FNE) décide d’attaquer l’État français en justice pour l’obliger à agir et réduire concrètement les captures accidentelles de dauphins. Devant le manque de réponse de l’État, l’association et l’ONG Sea Shepherd et France Nature Environnement déposent un recours sur le fonds devant le Conseil d’État. « On a introduit un référé suspension car la pêche est en train de démarrer », précise Elodie Martinie-Cousty.
L’hiver, période de pêche, marquée par les échouages de dauphins
« L’hiver est une période importante pour la pêche, avec différentes techniques qui peuvent avoir un impact sur la mortalité des dauphins », constate Olivier Van Canneyt, Sea Shepherd et la FNE déposent ce recours au moment où les préfets accordent aux pêcheurs leurs autorisation de pêche, notamment pour le bar et le merlu. A l’hiver 2020, environ 1.200 dauphins se sont échoués sur les côtes françaises. Derrière ce chiffre, ce sont environ 10.000 cétacés qui sont capturés accidentellement et rejetés dans la mer, morts, car « 10 % seulement des espèces sont retrouvées échouées », rappelle Olivier Van Canneyt. Les dauphins sont « retrouvés échoué sur les plages Atlantiques, de la mi-décembre jusqu’à début avril, ce qui correspond à la période de pêche du merlu et du bar », explique Elodie Martinie-Cousty.
« Nous demandons à l’État de suspendre les autorisations pour les pêcheries concernées par les massacres de dauphins qui se produisent sur nos côtes depuis quasiment 30 ans. »
Elodie Martinie-Cousty, pilote du Réseau Océans, mer et littoraux de France pour l’association France Nature Environnement.
La suspension de certaines techniques de pêche
La FNE et Sea Shepherd souhaitent que l’État français suspende les pêcheries responsables de la non-sélectivité des prises, comme « les filets, en chalut simple ou en paires, ou les filets fixes maillants posés au fond des océan », et ce, pendant trois mois l’hiver et un mois l’été. A la place, elles demandent à ce que soient privilégiées d’autres types de pêche, ayant moins d’impact sur les ressources halieutiques, « comme la pêche à la ligne, a la palangre, la pêche qui ne s’opère pas la nuit où les pêcheurs ne voient pas les bancs de dauphins ». « Il y a des pêcheries qui ont plus d’impact que d’autres », observe Olivier. Parmi celles-ci, les chaluts pélagiques, la pose de filets fixes maillants, ou encore la « pêche à la senne danoise, un filet qui se referme en cercle et dans lequel les dauphins meurent étouffés », selon Elodie Martinie-Cousty.
Pour cette technique de pêche, une solution a été mise en place :« aujourd’hui les chaluts pélagiques ont l’obligation de mettre des réflexifs acoustiques, des balises qui émettent du bruit et éloignent les dauphins des engins de pêches. », informe Olivier Van Canneyt. Mais la technique est plus difficilement applicable aux filets maillants, autre type de pêcherie très utilisée dans le Golfe de Gascogne. Pour l’ingénieur, « vu le nombre de fileyeurs qu’on a dans le Golfe, logistiquement, ce serait impossible ». Il porte l’attention sur les « pêcheries étrangères et des bateaux de pêche industrielle qui viennent pêcher quelques jours au large de grandes quantités de poissons ». Pour lui, il « faut aussi avancer sur ces questions-là, connaitre les flottilles qui ont le plus d’impact, mettre des observateurs, des caméras ».
Les ONG réclament des mesures d’urgence
« La gestion spatiale et temporelle de la pêche est la seule mesure efficace qui pourrait être proposée dans l’état actuel des choses »
Olivier Van Canneyt ingénieur d’études chargé de la coordination générale des dispositifs de collectes de données à l’observatoire PELAGIS.
Pécher moins, sur de plus courtes périodes, « seule solution à court terme »
Cet avis, conçu par le groupe de scientifiques du CIEM est « compliqué à mettre en œuvre », d’où son irrecevabilité par l’État Français, selon Olivier Van Canneyt. En 2017, un groupe de travail est créé à l’échelle nationale pour diminuer les captures accidentelles de petits cétacés par des navires de pêche. « Malheureusement, pour l’instant, on suit un certain nombre de projets qui vont prendre encore des années avant d’être efficaces », reconnaît Olivier Van Canneyt. « L’État français met les moyens sur la connaissance du phénomène », mais « tout ça prend du temps ».
L’année prochaine, un programme dédié à une meilleure connaissance du dauphin et de sa relation avec l’environnement et les autres poissons va être mis en place, piloté par l’IFREMER. Si cette stratégie permettra de proposer de nouvelles mesures, pour l’ingénieur, à court terme, « Il est nécessaire aujourd’hui de diminuer l’effort de pêche. Pêcher moins, sur des périodes plus courtes ». L’association France Nature Environnement (FNE), est également intégrée à ce groupe de travail national. Mais pour Elodie Martinie-Cousty, « aujourd’hui on est au bout de ce groupe de travail car ce sont des études financées sur le long terme. Nous, on veut des mesures d’urgence, à court, moyen et long terme pour avoir une visibilité et atteindre une réduction des captures de cétacés ».
Travailler avec les pêcheurs
Au-delà de la protection du dauphin commun et des autres espèces de petits cétacés, l’association France Nature Environnement (FNE) réclame une révision des pratiques de pêche et un appui aux pêcheurs qui veulent changer leurs pratiques. « Avec les engins de pêche non sélectifs, ce sont aussi des petits bars qui vont être capturés, des bars qui seront en âge de se reproduire », prévient Elodie Martinie-Cousty. « Il faut prendre des mesures d’urgence cet hiver, qui n’ont jamais été prises, et travailler avec le monde de la pêche pour améliorer les techniques ».
Mais pour elle, il s’agit d’être « cohérents en termes de en termes de durabilité d’une activité et aussi en termes d’économie pour les pêcheurs ». « On croise des pécheurs qui sont prêts a arrêter tout le mois de janvier et une partie du mois de février, car ça ne leur fait pas plaisir de prendre des dauphins dans leurs filets », affirme Elodie Martinie-Cousty. Pour elle, « Ce sont des centaines de millions d’euros versés cette année dans la pêche, qui doivent permettre aux pêcheurs de transformer leur métier et aussi aux consommateurs de mieux choisir les poissons qu’ils achètent sur les étals ».