ENTRETIEN. Benoît Biteau : "Face aux pesticides, j'invite ce gouvernement à convoquer le principe de précaution"

De nombreux produits chimiques, certains interdits depuis des années, ont été retrouvés dans les analyses d'urine et de cheveux d'enfants de la plaine d'Aunis en Charente-Maritime. Dans cette zone, la recrudescence de cancers pédiatriques inquiète les familles. À la suite de la réunion publique qui s'est tenue à La Rochelle, samedi soir, le député de la circonscription, Benoît Biteau, estime que "la seule explication qui puisse subsister, c'est que l'on utilise ces molécules de façon illégale".

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France 3 Poitou-Charentes : La plaine d'Aunis, c'est votre circonscription, vous étiez à la réunion samedi soir à La Rochelle, les résultats des analyses pratiquées sur les enfants vous ont-ils surpris ?

Benoît Biteau : Malheureusement, les résultats ne m'ont pas surpris. On a depuis plusieurs années maintenant, des études de l'ATMO qui analyse la qualité de l'air, des analyses sur la qualité de l'eau, où on [retrouve] une forte concentration en pesticides sur cette partie de la Charente-Maritime. Quand la population est exposée à autant de molécules dans des proportions aussi élevées dans l'atmosphère et dans l'eau, il n'y a pas de raison qu'on n'en retrouve pas dans les organes. Ça ne m'a pas surpris qu'un certain nombre de molécules se retrouve dans le corps des 72 enfants analysés. Ce qui est quand même extrêmement surprenant, c'est qu'on ait retrouvé des molécules qui sont interdites depuis très longtemps en France, même en Europe d'ailleurs, [alors] que ces molécules ne se retrouvent que quand on est confrontés à une exposition récente — ce ne sont pas des molécules qui s'accumulent dans l'organisme d'un être humain, ni d'un enfant — et pourtant, on retrouve ces molécules dans des proportions importantes dans les résultats qui nous ont été présentés hier. Là, il y a une inquiétude. Il y a plusieurs pistes : la rémanence et l'alimentation qui ont été très vite écartées par les épidémiologistes. La seule explication qui puisse subsister, c'est que l'on puisse utiliser de façon illégale ces molécules.

Une zone de non-traitement de 10 mètres est largement insuffisante pour protéger les riverains de l'exposition à une molécule aussi volatile que le prosulfocarbe que l'on retrouve jusqu'au sommet du Mont Blanc 

Benoît Biteau

Député écologiste de la Charente-Maritime

France 3 Poitou-Charentes : Les taux les plus élevés sont en rapport avec la proximité des champs et des épandages de produits phytosanitaires.

Benoît Biteau : Oui, c'est le cas. Plus on est à proximité d'une forte exposition (puisque plus on est rapprochés et plus la dose d'exposition est importante), plus on retrouve la présence de ces molécules dans les urines et dans les cheveux. Il est évident que la proximité des champs expose davantage les riverains. D'où l'intérêt d'une zone de non-traitement. Avec quand même une limite pour les zones de non-traitement puisqu'on a des molécules particulièrement volatiles : le prosulfocarbe (un herbicide, NDLR), pour vous donner un indice, on le retrouve au sommet du Mont Blanc ! C'est vous dire si une zone de non-traitement de 10 mètres est largement insuffisante pour protéger les riverains de l'exposition à cette molécule. 

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France 3 Poitou-Charentes : On constate la présence d'acétamipride, un insecticide de la famille des néonicotinoïdes pourtant interdit en France. Est-ce à dire qu'il y en a une utilisation illégale dans votre secteur ?

Benoît Biteau : C'est une piste. C'est-à-dire que c'est une molécule qui n'est pas rémanente, donc qui ne persiste pas dans le milieu, c'est une molécule qui n'est pas accumulée dans le corps humain, dans le corps des mammifères, donc, quand on en retrouve dans l'urine, c'est une exposition récente qui explique la présence de cette molécule-là. Alors, oui, il est probable que l'on ait une utilisation illégale de cette molécule au moment où on a fait les analyses. Il faudra que les autorités tiennent compte de cette information et fassent l'enquête et les recherches nécessaires pour essayer de retrouver qui, et dans quelles circonstances on a pu utiliser cette molécule de manière illégale. 

L'alibi économique pour continuer à utiliser des molécules pesticides ne tient plus. C'était un argument économique du XXe siècle. On voit bien que les agriculteurs qui utilisent moins de pesticides s'en sortent beaucoup mieux

Benoît Biteau

Député écologiste de la Charente-Maritime

France 3 Poitou-Charentes : Le combat est permanent. Le combat contre l'acétamipride est interdite en France, mais certains, comme la FNSEA, voudraient encore pouvoir l'utiliser. Avez-vous confiance en ce gouvernement pour résister aux lobbys ?

Benoît Biteau : Je n'ai pas vraiment confiance. On connait la proximité de ce gouvernement et du gouvernement d'avant avec la FNSEA. L'alibi économique pour continuer à utiliser des molécules pesticides ne tient plus. C'était un argument économique qui était valable au XXe siècle, mais ça ne tient plus aujourd'hui. On voit bien que les agriculteurs qui utilisent moins de pesticides s'en sortent beaucoup mieux — ce sont les expérimentations du CNRS de Chizé qui montrent que moins on utilise de pesticides, mieux on s'en sort économiquement parlant ! — Et puis, ce que j'invite ce gouvernement à faire, c'est de convoquer le principe de précaution. À partir du moment où on a des agriculteurs capables de produire dans des quantités suffisantes, sans menacer la souveraineté alimentaire, sans menacer leurs revenus, sans pesticides, et que de l'autre côté, on a autant d'indices, autant de faisceaux convergents du lien entre pesticides et cancer, il est urgent de convoquer le principe de précaution et de dire, on supprime ces pesticides parce que la santé est menacée et parce qu'on sait faire de l'agriculture autrement. On peut d'autant mieux le faire qu'il y a beaucoup d'argent public sur la table. Il y a les dix milliards d'euros qui viennent de l'Union européenne via la politique agricole commune (PAC). La France rajoute cinq milliards à ces dix milliards, ça fait quinze milliards. Et puis, on a des enveloppes qui sont entre 80 et 90 milliards d'euros de politiques curatives pour réparer les dégâts de ces politiques d'utilisation des pesticides. Donc, une côte mal taillée, c'est 100 milliards d'euros qui sont sur la table pour accompagner l'agriculture. Cette magnifique enveloppe, utilisons-la pour accompagner les agriculteurs dans une bifurcation agricole, dans une bifurcation agroécologique, de manière à ce que l'on préserve la souveraineté alimentaire, mais aussi la santé de nos enfants, le climat et la biodiversité.

France 3 Poitou-Charentes : Le danger ne semble pas venir que de l'agriculture, nous sommes entourés de produits toxiques. Un exemple : les produits anti-puces pour les chiens et les chats qui sont très puissants. L'association Avenir santé environnement veut protéger les enfants : quel est le plus urgent ? 

Benoît Biteau : Bien sûr, on a des molécules dans des usages domestiques qui sont loin d'être anodines, à usage vétérinaire par exemple, qui peuvent participer à l'accumulation de ces molécules dangereuses pour notre santé. Mais ce ne sont pas les molécules que l'on retrouve dans les analyses ATMO menées dans la plaine d'Aunis. Ce ne sont pas non plus les molécules que l'on retrouve dans la ressource en eau que l'on met à notre robinet. L'urgent est de travailler sur ce qui concentre des molécules dans notre environnement, dans notre quotidien. D'abord sur les sujets agricoles. Mais bien sûr, ce n'est pas parce qu'on doit traiter le sujet agricole qu'on doit négliger les autres sujets des pollutions qu'on qualifie de domestiques. Il faudra agir sur tous les fronts de manière à vraiment exonérer nos enfants d'une exposition qui peut les rendre malades.

Propos recueillis par Marc Millet.

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