"Un village nommé désir" : le temps d'une émission, les habitants d'une maison de retraite livrent leurs souvenirs à la radio

À La Rochefoucauld, en Charente, les habitantes et habitants de la maison de retraite du centre hospitalier enregistrent depuis quelques mois leur émission de radio, "Un Village nommé désir", avec l'équipe de Zaï Zaï Radio. Pour son dernier épisode, elle a posé ses micros au moulin de la pierre de Vilhonneur, pour parler de transmission de savoir-faire, et immortaliser une nouvelle fois les souvenirs de Lucienne, Paul, Denise...

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Au moulin de la pierre de Vilhonneur, les habitantes et habitants de la Maison d'accueil pour personnes âgées (MAPA) de La Rochefoucauld retrouvent l'équipe de Zaï Zaï Radio pour enregistrer leur émission. Autour d'une grande table, quelques micros s'apprêtent à immortaliser les mots de ces animateurs et animatrices d'un jour. Après avoir parlé du travail des femmes, du commerce ou des festivités, le thème de cette édition est la transmission des savoir-faire.

Le silence se fait, puis le générique retentit, quelques notes d'accordéon et le grain d'une voix qui s'exprime depuis plus de huit décennies nous caresse l'oreille : "Un petit moment de radio où ce qui se dit raconte la petite ville où nous vivons, qui ressemble à tant d'autres, elle est imprégnée de nos histoires ou de nos rêves."

Pour lancer l'émission, Paulette tient sa feuille fermement entre ses doigts. Dans quelques mois, elle fêtera ses 100 ans, mais pour l'heure, elle déroule calmement, sans accroc, la vingtaine de lignes de son texte qu'elle lit sans lunettes : "Bonjour à toutes et à tous, cette émission qui commence fait partie d'une série de rencontres. Des rencontres qui ne font pas le compte des années, des rencontres qui nous permettent de parler de ce que nous avons connu, de ce que nous aimons, de ce que nous aimerions. Des rencontres qui, parce qu'elles passent à la radio, sont des rencontres avec vous, chères auditrices et chers auditeurs."

Paulette est en forme, elle s'applique, sourit, et de notoriété publique là où elle vit, elle plaisante souvent aussi. En revanche, sa mémoire de presque centenaire lui joue des tours et quand l'émission se terminera, elle n'aura plus de souvenir de ce moment où elle a brillé, le micro à quelques centimètres de ses lèvres. "J'ai écouté les copines", racontera-t-elle seulement. "J'ai écouté avec beaucoup d’attention, du début jusqu’à la fin, sans m’ennuyer, c’est assez rare avec moi."

Peu importe finalement. Pour Paulette et ses copines, ce moment radiophonique suspend le temps dans leur vie de résidentes d'Ehpad.

Partager, transmettre et sauvegarder

Au cours de l'heure d'émission, plusieurs habitantes prennent la parole, dans les conditions du direct. Denise, 79 ans, parle du geste auguste du semeur, que son père pratiquait devant elle quand elle était plus jeune : "C’est un peu par respect de comment faisaient nos anciens", précise-t-elle, elle qui n'aime pas beaucoup s'entendre parler à la radio. "Quand on pense à ce qu’ils ont fait, uniquement avec leurs mains et leur imagination, comme constructions, il y a une centaine d’années, c'étaient des gens qui étaient parfois illettrés et qui faisaient des choses magnifiques. Ils ne savaient même pas qu’ils avaient trouvé quelque chose qui allait servir par la suite."

Des invités de marque ont pris place autour de la table. L'hôte du jour, Gilles Zefner, président de l'association Pierre et Savoir Faire, explique le fonctionnement du moulin de la pierre, puis Olivier Rondinaud, dirigeant de l'Atelier Charentaise, raconte l'épopée de ses pantoufles emblématiques du département.

Dans les jours qui ont précédé l'enregistrement, Léa Grange et Marc Tournier ont recueilli les histoires de deux habitants de la MAPA, Lucienne Poitevin, ancienne couturière, et Paul Thuilier, qui fut plombier. Désormais assis dans le public de l'émission, ils écoutent leurs voix sortir des hauts-parleurs. Lucienne acquiesce à ses propres paroles, les commente discrètement avec sa voisine. Leurs métiers sont loin d'avoir disparu au 21ème siècle, mais le récit de leurs pratiques offre un voyage dans le temps, vers une époque où le travail débutait dès l'adolescence, où il occupait tout l'espace du quotidien.

J'ai écouté avec beaucoup d’attention, du début jusqu’à la fin, sans m’ennuyer, c’est assez rare avec moi.

Paulette

Habitante de la MAPA de La Rochefoucauld

Un dernier rendez-vous attend les auditrices et auditeurs, moment très attendu par toute la maison de retraite : dans chaque émission, ses occupantes lisent une lettre à "Monsieur le Ministre des Personnes âgées et très âgées", incarné ici par David Blanchou, coordinateur du projet au sein du centre hospitalier.

Dans une précédente, elles avaient demandé un repas de fête, avec crustacés, tournedos Rossini et cognac prestigieux, et avaient été exaucées. Cette fois-ci, elles veulent un nouveau look pour leur résidence, et c'est Monique Mailloux, 89 ans, qui exprime les revendications : "une belle porte d'entrée avec un encadrement en pierre de taille façon Art Nouveau", des portes automatiques en vitraux de couleurs claires, "nous aimerions voir dessinés dessus, des cygnes gracieux, une image apaisante". Habile, elle fait même un appel du pied à celui qui accueille l'émission : "Peut-être que les tailleurs de pierre des carrières de Vilhonneur nous feront un prix de voisin pour la pierre." Le ton est léger, facétieux, et David Blanchou joue le jeu, peu avare de plaisanteries. En se présentant comme "stagiaire ministre", il leur répond, un sourire en coin : "J'occupe la lourde tâche de classer et d'archiver les courriers du ministre émanant de province, selon la méthode dite du PIB, c'est-à-dire Poubelle-Incinérateur-Broyeur."

Quand vient le générique de fin, on aimerait déjà entendre la suite.

Sortir de l'Ehpad, retrouver la société

L'enregistrement se termine sous les applaudissements. Dans une atmosphère bienveillante, les uns et les autres se félicitent de cette nouvelle émission réussie, du travail accompli.

Chaque participant repart avec une petite victoire, une joie liée à ce moment privilégié. Lucienne, elle, est ravie d'avoir pu parler de son ancien métier : "J’ai beaucoup aimé, j’aurais passé ma nuit à coudre, j’ai tellement trouvé de beaux tissus qui venaient de chez les couturiers, les grands couturiers... C’était tellement minutieux, il fallait des loupes pour regarder", se souvient-elle, heureuse de replonger dans son passé de couturière. Monique, pour sa part, se réjouit d'avoir pris part au déplacement avec ses amies de la résidence : "C’est avec plaisir que je suis venue voir les carrières de Vilhonneur, car c’est un endroit que je ne connaissais pas, pourtant je suis à La Rochefoucauld depuis 1953."

Paul, qui fête ses 85 ans le jour même, est venu écouter l'émission avec sa fille Florence. "Je perds la mémoire, c'est malheureux. Je ne me rappelle plus beaucoup de choses," regrette le vieil homme, qui a pourtant pris beaucoup de plaisir à tenter de rattraper ses souvenirs de plombier : "Ça peut montrer qu'on ne peut pas oublier son ancien métier ou un truc comme ça, on ne peut pas l'oublier." Sa fille serre fort son bras : "Ça me fait quelque chose. Je suis fière. Je suis fière de mon papa."

Quand on est interrogée la première fois, ce n’est pas facile, on n’a pas l’habitude, mais ça fait du bien d’entendre la vie de chaque personne.

Madeleine

Habitante de la MAPA de La Rochefoucauld

Le temps d'un après-midi, répété ici et là dans le calendrier, les habitantes et habitants de la MAPA laissent leur quotidien, enfilent chaussures et manteaux et embarquent pour une aventure de seulement quelques kilomètres, mais riche en expériences et en rencontres : "À 99 ans ou à 90 ans, ça les fait bouger, ça fait bouger le corps, ça fait bouger l'esprit", souligne Lucie Rodier, ergothérapeute. mon niveau, j'y vois un intérêt qui est clair, c'est plus efficace qu'une séance pure d'ergothérapie en chambre, où finalement ça ne les met pas dans la vraie vie, je trouve."

Faire bouger le corps et la tête, piocher dans les souvenirs et retrouver la sensation de la découverte permettent ainsi aux personnes âgées d'être toujours surprises, parfois émerveillées, et surtout de rester une part non négligeable de la société. Alors qu'elles passent beaucoup de temps entre les murs de l'institution, côtoyant seulement leurs voisins de chambre et le personnel soignant, cette activité particulière leur donne un rôle incontournable, au centre de l'attention des plus jeunes : "Ça leur permet de maintenir un domaine cognitif, par l’expression, l’oralité, donc en effet il y a un travail de mémoire", remarque Céline Sallet, cadre de santé. "Mais l’objectif est plutôt d’apporter à travers tout ça un moment de plaisir, et de redéfinir que la personne qui rentre en résidence continue de participer à la vie, a eu une histoire, c’est un moment de partage." Elle insiste également sur l'importance de la diffusion de l'émission au sein de l'établissement. Pour celles et ceux qui ne participent pas aux enregistrements, c'est aussi un bon moyen de rester éveillé, alerte aux histoires de leurs amis, et pourquoi pas de se laisser tenter un jour par l'expérience car ceux qui l'ont déjà fait n'ont pas accepté si facilement. Un long travail a été nécessaire pour gagner leur confiance.

Madeleine, 87 ans, se présente comme "la fille d'un petit fermier qui s'est fait une petite situation". À la mort de son père alors qu'elle était encore jeune, elle a dû commencer à travailler et de fil en aiguille, a appris à taper à la machine. C'est ce qu'elle a confié dans une précédente émission : "Je me suis entendue, on ne se figure pas, on ne pense pas retrouver notre voix. Ça fait du bien de revoir ce qu’on a dit, quand on est interrogée la première fois, ce n’est pas facile, on n’a pas l’habitude, mais ça fait du bien d’entendre la vie de chaque personne."

Des activités culturelles comme l'enregistrement d'un podcast font donc partie intégrante de la démarche du centre hospitalier qui gère la MAPA. "On essaye d’avoir une maison de retraite qui ne se limite pas à un lieu où on est posé à l’entrée en attendant le soir, qui ne se limite pas à des jeux de cartes, des lotos, des animations qui ont toute leur place, on cherche aussi à faire venir de la culture de différentes formes, musique, dessin, artistes divers, sculpteurs", souligne Vincent You, le directeur de l'hôpital. "Le lien avec la radio ça permet justement de donner aux personnes âgées un rôle de transmission, et elles sont très attachées à ça."

J’ai vu trop de gens mourir alors qu’ils avaient plein de choses à raconter.

David Blanchou

Coordinateur de projets au sein du centre hospitalier de La Rochefoucauld

Une émission nommée souvenir

Derrière une heure à l'antenne, il y a toute une logistique. L'idée de cette émission a germé il y a cinq ans, dans la tête de David Blanchou. À l'époque, André Linard, ancien maire de La Rochefoucauld, a emménagé à la MAPA, tout comme un ancien directeur du centre hospitalier local. David Blanchou a multiplié les tentatives pour faire venir des historiens locaux et des chercheurs pour recueillir leurs souvenirs, leurs expériences, pour garder une trace du parcours de ces deux hommes, arrivés au crépuscule de leur vie. "Ce n’étaient pas des mémoires, c’étaient des puits de choses qui expliquaient pourquoi l’hôpital était comme ça, pourquoi il s’était développé comme ça, pourquoi la commune s’est développée comme ça", explique le coordinateur de projets. "Mais personne n’est venu et ils sont morts."

Outre ces deux personnalités de La Rochefoucauld, il confie avoir rencontré, au cours de ses 25 ans de carrière, toutes sortes de personnages, de profils, et d'histoires, allant de "la petite dame qui n'est jamais allée plus loin qu'Angoulême", au colonel qui a fait le débarquement avec les alliés et traversé la France, en passant par une ancienne employée de ménage sur le paquebot France, qui a traversé l'Atlantique des dizaines de fois. Autant d'histoires qu'il ne se résout pas à laisser filer : "Si on ne les compile pas dans un matériau avec une dimension un peu artistique, ça s'efface et c’est oublié à tout jamais. On connaît la grande histoire de France mais on ne connaît pas toutes ces histoires-là qui ont du sens de l’ordre du témoignage. Comme ces témoignages sont imprégnés d’émotions, de sensibilités plus que d’anecdotes, ça leur donne une qualité. C’est ça que je pense qu’il faut qu’on transmette aux enfants. J’ai vu trop de gens mourir alors qu’ils avaient plein de choses à raconter."

À l'époque, il n'avait pas les moyens, notamment matériels, de sauvegarder leur mémoire, et il s'est donné la mission d'y remédier, en s'associant à Émilie Athimon, coordinatrice de l’association ZigZagMédia éditrice de la webradio Zaï Zaï. Il l'avait déjà rencontrée dans le cadre de l'opération Culture et Santé qui fait rentrer les arts dans les Ehpad. Ensemble, ils projettent de monter une radio au sein de la MAPA, alors que l'établissement doit prochainement être converti en tiers-lieu, un espace ouvert à toutes et tous, permettant aux personnes âgées de rester en contact avec la société. "La radio, c'est un outil formidable pour collecter de la mémoire, collecter des souvenirs, collecter de la parole", sourit Émilie Athimon. "Puis c'est beaucoup plus engageant. La parole et l'intimité que propose la radio sont propices justement à concéder et à livrer des souvenirs." Ensemble, ils aimeraient un jour voir ces émissions intégrées aux archives départementales.

Cette année, neuf épisodes sont commandés pour cette année, et d'autres devraient suivre, grâce à de nombreuses volontés individuelles, et au soutien, à hauteur de plusieurs milliers d'euros, de la conférence des financeurs dont le département : "C’est vraiment un projet qui a du sens, par rapport à la vie des personnes âgées en Ehpad, sachant que cette vie au quotidien peut être austère, difficile par manque de lien social, de soignants, de personnel présent", se réjouit Marie Pragout, vice-présidente de la Charente en charge des solidarités. "Ils déposeront un nouveau dossier pour l’année prochaine, ils continuent ce qu’ils ont entamé qui est vraiment intéressant, ils vont le faire évoluer, mais oui ils ont toute ma confiance."

Donner du sens aux dernières heures de la vie

Ce projet, comme de nombreux menés par le centre hospitalier, découle du principe de ne pas occuper les habitantes et habitants de la MAPA, "simplement pour les occuper". "On a fait une erreur monumentale c’est de croire que les vieux avaient besoin d’être occupés, non ici ils n’ont plus le temps, l’horloge elle est à 23h59", confie David Blanchou. "C’est carpe diem tous les jours ici, il faut profiter du temps présent, on ne va pas dire qu’on va faire des pompons juste pour faire des pompons."

Pour le coordinateur de projets, l'objectif est ainsi de mettre les besoins et envies de ces personnes âgées au centre de l'action, de les aider à faire exactement ce qu'ils souhaitent, à atteindre ce qui peut leur apporter du bonheur le temps de leur séjour.

Ce faisant, la direction de l'hôpital espère remettre ses habitantes et habitants au centre de la dynamique des lieux, les extraire de leur condition de "résidents" pour leur faire prendre part plus activement à la vie de la maison de retraite. "Pour nous, le danger c’est qu’on distribue des soins, du nursing, des couches, des toilettes, et qu’on ne voie plus qu’il y a autant de personnes que d’habitants de la maison de retraite et qu’ils ont tous des choses qu’ils peuvent mettre en commun avec les autres", regrette Vincent You. "On vient leur dire “On a besoin de vous pour faire vivre cette maison de retraite"."

Ainsi, Paulette, Denise, Mado, Lucienne, Paul et les autres sont regardés tels qu'ils sont, des femmes et des hommes au crépuscule de leur vie certes, mais capables, toujours, de penser, d'aimer, de se souvenir, et de temps en temps, de faire de la radio.

Toutes les émissions déjà diffusées peuvent être écoutées sur le site de ZaïZaï Radio.

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