Fermés depuis plus de deux mois et coupés de leur public, les théâtres privés bordelais n'ont plus aucune recette. Une situation économique catastrophique. Certaines scènes pourraient disparaître. Les salles s'organisent pour se faire entendre auprès du ministère de la Culture.
De l’enthousiasme ! Seul, face à son téléphone, Loïc Rojouan a voulu partager son enthousiasme. Une façon optimiste d’aborder la situation économique difficile qu’il traverse.
Directeur du Théâtre des Beaux-Arts à Bordeaux, il a posté ce message vidéo sur Facebook le weekend dernier.
C’était très spontané. Nous étions en train de travailler avec deux metteurs en scène et on se demandait : qu’est-ce qu’on fait ? On reste les bras croisés ou on propose quelque chose ?
Alors, il a partagé son point de vue, sur les réseaux sociaux. Pour réfléchir sur l’avenir des spectacles vivants, pour prendre des nouvelles du public aussi. La vidéo totalise près de 2000 vues. Elle a été partagée des dizaines de fois.
En retour, j’ai reçu beaucoup de messages de soutien. C’est important, car on ne se sait pas quelle sera l’attitude du public. Reviendront-ils dans les salles de spectacles ? Beaucoup de gens nous disent qu’ils reviendront.
De quoi mettre un peu de baume au cœur des artistes, des techniciens et des gérants de salle de spectacle.
Les 90 sièges du Théâtre des Beaux-Arts sont vides depuis le soir du 14 mars. Les cinq salariés (équivalent temps plein) sont en chômage partiel. Les sept pièces de théâtre programmées et les 38 représentations prévues depuis, ont été annulées.
Ça fait des mois sans recette. On a déjà perdu 56 000 € de chiffres d’affaires. On ne rouvrira probablement pas en juin. Et l’été n’est pas une période favorable.
En 2019, le théâtre des Beaux-Arts a levé le rideau près de 200 fois. Il faut une moyenne de 60 spectateurs minimum, par représentation, pour atteindre l’équilibre financier.
Les pertes seront difficiles à compenser.
Alors on se prépare pour la reprise. Mais quand, et comment ? Si pour respecter les règles de distanciation, on nous demande de laisser un siège vacant sur deux, alors ce ne sera pas viable, explique Loïc Rojouan.
Pour maintenir un semblant d’activité, le Théâtre des Beaux-Arts accueillera une sorte de jeu de rôle à partir du 5 juin prochain. La salle de spectacle deviendra le théâtre d’un Escape-Game, par petit groupe de six personnes, en partenariat avec Oh-Oh une société d’événementiel.
On réfléchit aussi à proposer des spectacles plus courts que nous pourrions jouer trois fois dans la même soirée. On a aussi demandé à la Mairie l’autorisation d’utiliser le square en face du théâtre pour jouer en extérieur. Mais la réponse dépend de l’évolution de la pandémie et de toute façon, si on ne peut reprendre qu’à l’automne, nous serons très vite bloqués par la météo.
Des difficultés partagées par tous les théâtres privés. Le ministre de la Culture, Franck Riester a annoncé la semaine dernière la mise en place d’un plan de soutien d’au moins cinq millions d’euros, géré par le Syndicat National du Théâtre Privé (SNTP).
Insuffisant, à en croire Eric-Emmanuel Schmitt. L’écrivain co-directeur du Théâtre Rive-Gauche à Paris, estime dans Paris-Match
Pour 50 théâtres privés parisiens, cinq millions d’€, ça fait 100 000 € par théâtre ! Même avec le chômage partiel et les aides du fonds de soutien, ça ne compensera pas la moitié de nos pertes.
Une petite phrase qui a suscité de vives réactions à Bordeaux
Je me suis dit qu’ils allaient encore oublier les théâtres privés en région, explique Xavier Viton, alors très vite nous nous sommes structurés et nous avons créé l’Association des Théâtres Privés en Région. Nous avons plus de 80 adhérents et nous pouvons participer aux négociations avec le ministère de la Culture.
Elu trésorier de cette toute nouvelle association, Xavier Viton estime qu’il faudrait au minimum, un fonds de soutien de 10 millions d’€ pour sauver les théâtres privés.
Un théâtre sans artiste, ça n’existe pas. Mais l’inverse est vrai aussi. Le gouvernement nous a entendus en préservant le statut des intermittents, mais il faut aussi venir en aide aux structures, aux salles de spectacles.
L’association réclame la prise en charge des frais fixes, une exonération des charges et une aide de trésorerie pour financer les répétitions, la fabrication des décors, des costumes, la communication…. Indispensables avant la réouverture et la reprise des représentations.
Comme on n’a pas joué. On n’a pas de trésorerie. La situation est catastrophique.
Xavier Viton dirige trois théâtres à Bordeaux, le Trianon, le Théâtre Victoire et le Molière.
Sur les 2 mois et demi qui viennent de s’écouler, on estime grosso modo les pertes de chiffres d’affaires à 500 000 € cumulés.
Cette crise fait suite à plusieurs années très difficiles pour les professionnels du spectacle vivant :
Les trois théâtres sont en danger. La situation économique est très tendue.
"L’attentat du Bataclan (13 novembre 2015) a entraîné une désaffection des salles de spectacle. Ensuite les gilets jaunes ont provoqué une vraie catastrophe industrielle. Il y avait littéralement le feu tous les samedis soir, de novembre à avril, devant deux de nos trois théâtres. Le samedi, c’est notre meilleure affluence. Nous avons perdu 20 % de notre chiffre d’affaires et nous avons dû recourir à l’emprunt pour revenir à l’équilibre."
Pour surmonter le confinement et l’importante chute du chiffre d’affaires, Xavier Viton va, de nouveau, souscrire un emprunt.
Avec le COVID, les banques nous suivent encore. Mais, on a plus le droit à l’erreur. Et on ne sait pas comment ça va redémarrer. Si le public reviendra.
Les 160 sièges du Théâtre Victoire sont bien vides / © Brice Payen
Pour l’instant, les trois théâtres sont en sommeil. Au soir du 14 mars, 48 personnes ont dû être placées en chômage partiel, artistes, techniciens, personnel administratif, hôtesses d’accueil…
Depuis l’antiquité, le théâtre c’est des gens qui parlent, devant des gens qui écoutent en direct. Les posts Facebook, les captations vidéo, c’est bien, mais ce n’est pas du théâtre.
Xavier Viton, est impatient de retrouver son public, même si la perspective de rouvrir avec des contraintes sanitaires, des sièges clairsemés, et des spectateurs masqués, n’enchante guère ce metteur en scène bordelais.
Je pense qu’il faut tenir le plus longtemps possible et attendre que le virus s’éteigne. Il va finir par s’éteindre.
En attendant, comme beaucoup de gérants de salles de spectacle, il n’a plus aucun revenu depuis 2 mois et demi. La question d’un fonds de solidarité devrait être abordée lors des prochaines négociations avec le gouvernement. Une réunion est prévue ce mardi 19 mai entre les représentants des théâtres privés et la Direction Générale des Affaires Culturelles, à Paris.