Entre Indre et Creuse, terre autrefois à la limite de langue d’Oïl et langue d’Oc, qu’on appelle le Croissant, Anne-Marie Martin Guerre vient de publier une nouvelle traduction du Petit Prince, d’Antoine de Saint-Exupéry. En occitan, dans le cadre d’un programme du CNRS, pour justement sauvegarder ces patois.
Se vos plai... Dessenha-me un moton…
Pas besoin de parler français, patois ou même chinois pour comprendre cette phrase, ni pour savoir d’où elle vient. C’est bien sûr l’une des lignes les plus connues du Petit Prince, d’Antoine de Saint-Exupéry, paru durant la Deuxième Guerre Mondiale, en 1943.
Édité à New York, et donc à l’origine en anglais, soit : Please, draw me a sheep… (Yes Sir !).
L’ouvrage le plus traduit au monde après la Bible et le Coran, en pas moins de cinq-cent-vingt-sept langues et dialectes différents !
Et désormais, grâce à Anne-Marie Martin Guerre, cinq-cent-vingt-huit !
Originaire de Saint-Plantaire, village d’Indre (36) à quelques hectomètres à peine de la Creuse, Anne-Marie Martin Guerre s’est replongé dans son enfance pour réaliser cette gageure.
"À la maison, on ne parlait que patois, toujours patois. Quand je suis allée à l’école, je ne savais pas parler français. Et pour moi, c’est rendre hommage à mes grands-parents, à mes parents, à ceux qui ont parlé patois avant moi."
Elle qui est pharmacienne de formation a dû faire confiance à ses souvenirs, plutôt qu’à des dictionnaires, pour réaliser cette traduction.
"La conjugaison, des verbes ? Oh là là là là, ça, c'était costaud ! Le même verbe, traduit au passé, au futur, au présent, ça peut être la même forme !"
Car son patois, c’est celui de Saint-Plantaire, ni vraiment patois d’Oc, ni vraiment patois d’Oïl.
Plutôt celui du Croissant, zone géographique où les deux langues se rejoignaient et donc, se mélangeaient.
Des fois, en cinq kilomètres, on change d’univers linguistique. Les conjugaisons, le vocabulaire… Des fois, il y a des points communs, mais il y a quand même beaucoup d’éléments qui changent. Et donc, pour connaître les parlers du Croissant, on n’a pas d’autres choix que d’en décrire autant que l’on peut.
Nicolas Quint, linguiste, chercheur au CNRS
D’autant plus important que ces patois du Croissant sont sur le point de s’éteindre, faute de locuteurs. Raison pour laquelle le CNRS a participé à cette aventure.
Et que l’on trouve cela mièvre ou génial, suranné ou éternel… "On ne voit bien qu’avec le cœur" reste, de toute façon, universel !