Pour ce documentaire sensible et émouvant, Laure Portier a filmé son frère, Arnaud, pendant près de quinze ans. Une œuvre cinématographique immédiatement saluée par la critique. Rencontre.
"Soy Libre", c'est un film de famille... pas comme les autres. Pas de souvenirs de vacances à la Bourboule ni de gâteaux d'anniversaire. Le premier plan du documentaire est un travelling nocturne, un plan serré de la nuque d'Arnaud qui trimballe sa grande sœur sur son scooter. Parce que ce film, on le comprend d'emblée, ils vont le faire à deux.
Les premières images tournées datent de 2005 dans une ZUP de Niort. Extrait :
Elle : "Qu'est-ce que t'en penses de la cité ?"
Lui : "C'est la morosité. Depuis que Sarko est passé, ça se complique encore plus..."
Elle : "Arrête Arnaud ! C'est pas à la caméra que tu parles, c'est à moi. Qu'est-ce que tu en as à foutre de Sarkozy ? Tu crois que tu vas passer à la télévision avec mon film ?"
Le ton est donné et la complicité entre les deux protagonistes du film clairement installé. Au début, c'est bien elle qui filme et pose les questions mais lui semble accepter et comprendre les règles du jeu sans aucun problème. Autre extrait :
Lui : "Ma mère, à part la cité et sa psychiatrie, je vois pas ce qu'elle connaît d'autre, on dirait qu'elle aime cette vie-là"
Elle : "Ta mère, c'est la mienne"
Les années passant, Arnaud prend de l'assurance et tente de juguler sa violence. Finalement, Laure, sa sœur, va lui confier une caméra, histoire de matérialiser un peu plus cette collaboration dans la création. Le moyen aussi, l'unique sûrement, de montrer la solitude d'Arnaud alors qu'il décide de quitter la France vers l'Espagne d'abord, puis vers le Pérou.
Présenté au festival de Cannes l'année dernière, "Soy Libre" n'a reçu que de bonnes critiques de la presse spécialisée. Et pour cause. En projection jusqu'au 22 mars à La Coursive de La Rochelle, nous avons rencontré Laure Portier dans le cadre d'une exposition des dessins de son frère dans la galerie "Le Lieu du Regard".
L'histoire du film
"Je suis entrée en école de cinéma en 2005 et j’ai tout de suite eu envie de faire du cinéma avec lui, de partager ce que je recevais comme instruction. Puis, en 2012, quand il sort de la prison des Baumettes à Marseille, je suis revenu vers lui pour lui dire qu’on allait vraiment faire un film ensemble. L’idée, c’est de partager quelque chose mais aussi de raconter son histoire. C’est l’histoire de sa trajectoire à partir de sa sortie des Baumettes, jusque là où il en est arrivé aujourd’hui en Amérique du Sud, l’histoire de son mouvement vers un ailleurs meilleur. Mais je ne suis pas que la grande sœur qui a fait quelque chose sur son frère, on a fait quelque chose ensemble. Il donne beaucoup de choses au film et, quelque part, il m’a nourri aussi".
L'histoire d'une injustice
"Injustice parce que c’est un enfant qui a grandi en milieu fermé. Il a été déscolarisé à 12 ans, il a été en foyer, en famille d’accueil, en centre éducatif fermé et on parle d’un enfant. J’avais le sentiment d’une grande incompréhension, un manque d’investissement des adultes sur lui, l’école qui n’était pas à la bonne échelle pour l’accueillir et prendre le temps dont il avait besoin pour trouver sa place. C’est un enfant qui a été rejeté et violemment brimé. Plus on posait un regard sur lui qui était un regard sur un enfant qui faisait des conneries et plus, pour satisfaire le regard des adultes, il faisait des conneries. Ca tournait en rond cette histoire".
L'histoire d'une vengeance
"Il a fallu qu’il se mette en mouvement pour dépasser certaines choses. En partant et en apprenant une nouvelle langue, il s’est réinventé et dessiné ce vers quoi il avait envie d’aller. Il y avait sûrement l’envie de le sauver d’une trajectoire, en tout cas éviter qu’il ne retourne en prison et il y avait aussi le désir de le venger en racontant son histoire. Je ressentais une terrible injustice dans ce qu’il avait vécu et je voulais aussi partager avec lui quelque chose qui soit plus beau, plus grand. Faire du cinéma, c’était pour moi quelque chose de plus généreux, une plus jolie vie à avoir que de traîner dans une cité. Je ne pensais pas que les gens allaient autant aimer Arnaud en voyant le film. Lui a été très critique sur les cadrages, le montage mais aussi fier qu’on ait réussi à mener ce projet à bien. Il nous regarde de loin".
Après La Coursive de La Rochelle, "Soy Libre" continue son tour de France pour une halte hautement symbolique au Moulin du Roc à Niort. Laure Portier rencontrera le public suite à la projection du 25 mars prochain.