"La syndicaliste" sort en salle ce 1er mars. Un film de fiction qui retrace la véritable histoire de Maureen Kearney, salariée d'Areva qui dénonce en 2012 un contrat douteux avec la Chine. Agressée et violée à son domicile, elle sera condamnée par la justice pour dénonciation calomnieuse, puis acquittée en appel. Entretien avec cette lanceuse d'alerte qui vit maintenant à Bressuire, dans les Deux-Sèvres.
Aujourd'hui Maureen Kearney va bien. Mais il lui aura fallu beaucoup de temps et d'accompagnement psychologique pour se remettre de l'agression dont elle a été victime, et de l'effrayante suite judiciaire qui lui a été donnée.
Les faits
Salariée chez Areva pendant 25 ans, représentante syndicale CFDT, secrétaire générale du comité de groupe européen d'Areva, elle dénonce en 2012 un contrat secret signé avec la Chine sous la présidence de Nicolas Sarkozy, toujours en cours sous François Hollande, qui laissait entrevoir un transfert de technologie et d'emplois menaçant l'avenir de l'entreprise.
"C'était moi la personne visible, mais je n'étais pas seule, j'étais mandatée. Le comité de groupe a voté à l'unanimité la dénonciation de ce contrat" se souvient la lanceuse d'alerte.
Le 17 décembre 2012, Maureen Kearney est retrouvée chez elle, ligotée à une chaise, la lettre A scarifiée sur le ventre, le manche d’un couteau enfoncé dans son vagin.
"Mon agression a eu lieu quelques jours après ce vote. Le jour où j'ai été agressée, je devais rencontrer Bernard Cazeneuve (alors ministre délégué aux affaires européennes)" poursuit-elle.
J'ai dû me battre pendant six ans pour prouver que je ne me suis pas agressée toute seule. C'est quand même absurde !
Maureen Kearney
Victime, c'est elle qui sera condamnée par la justice en 2017 pour dénonciation mensongère, avant d'être acquittée en appel en 2018.
"J'ai dû me battre pendant six ans pour prouver que je ne me suis pas agressée toute seule. C'est quand même absurde !" constate Maureen Kearney. "C'est très long. Et durant tout ce temps-là, on est dans les limbes, on n'arrive à rien faire. J'étais clouée par la peur."
Un livre, un film, une série documentaire
Épuisée par ces six années de combat judiciaire insensé, Maureen Kearney n'entamera pas de nouvelle procédure pour découvrir les auteurs, et les éventuels commanditaires de son agression. Mais son histoire a donné lieu à plusieurs enquêtes journalistiques.
Paru en 2019, le livre de la journaliste d'investigation du Nouvel Observateur Caroline Michel-Aguirre intitulé "La syndicaliste" fait l'objet d'une adaptation au cinéma. En salle à partir de ce mercredi 1er mars, c'est Isabelle Huppert qui incarne Maureen Kearney dans le film de Jean-Paul Salomé.
VIDEO - Bande-annonce "La Syndicaliste"
"J'ai lu le scénario, je suis allée sur le tournage, je suis associée à toutes les avant-premières. Quand j'ai vu le film la première fois, ça a été très compliqué pour moi de replonger dans cette histoire. Aujourd'hui, j'ai la distance adéquate pour le regarder sans que ça m'impacte.", raconte Maureen Kearney depuis Paris, où elle alterne projections et interviews.
"Le film est très puissant, il est dur, pas facile à regarder, mais il est véridique. Il retrace bien l'intimidation que j'ai subie. Si ça peut aider une seule personne à persévérer, ne pas perdre espoir et continuer, ça suffit pour moi. Tenter d'aller jusqu'au bout, ne pas lâcher, être déterminé" poursuit-elle.
Je n'ai pas de preuves qu'Areva est derrière mon agression
Maureen Kearney
"L'affaire Maureen Kearney", c'est aussi une série documentaire réalisée par Nina Robert diffusée sur France 3 Paris/Ile-de-France le 2 mars prochain.
Comme le livre de Caroline Michel-Aguirre, cette enquête apporte de nouveaux éléments, qui éclairent ce qui est arrivé à Maureen Kearney.
"Je sais des choses, mais je n'ai pas de preuves. Comme j'ai bien appris ma leçon avec cette histoire, je ne mets personne en cause sans preuves" explique-t-elle aujourd'hui. "Je n'ai pas de preuves qu'Areva est derrière mon agression. Dans cette série, un journaliste affirme que des cadres d'Areva ont reconnu avoir été en contact avec le procureur pour orienter l'enquête".
Combattre et accepter
Un procureur sous influence, des empreintes et des traces ADN disparues du dossier d'enquête, le combat judiciaire a été rude et l'épreuve énorme à surmonter. Agressée à son domicile, violée, puis accusée d'affabulation, Maureen Kearney n'avait pas envisagé que la dénonciation de ce contrat aurait de telles conséquences : "Ce n'était pas la première fois que je montais au créneau. Pas une seconde, je n'ai pensé que je pourrais être agressée physiquement. C'était inimaginable. C'était un contrat à 200 milliards que j'étais en train de dénoncer. Moi, je ne me rendais pas compte de ce montant. J'étais uniquement préoccupée par la défense des emplois et du savoir-faire de l'entreprise."
Un psychiatre militaire, spécialiste des syndromes post-traumatiques, a témoigné à son procès en appel, affirmant qu'il n'avait aucun doute sur le fait qu'elle a été agressée. Il l'a beaucoup aidée à surmonter cette épreuve. "J'ai passé six ans au fond du trou. Ça fait deux ans que je commence à aller beaucoup mieux. J'ai appris à accepter. Ce qui ne veut pas dire être d'accord avec. J'ai accepté qu'il y a des choses qu'il vaut mieux laisser de côté, et avancer."
L'importance de croire les victimes
Parce qu'elle sait les ravages de la défiance, ajoutés à ceux de la violence. Parce qu'elle a connu l'état de sidération et la confusion qu'il peut induire. Parce qu'elle sait et déplore que les services de police et de justice soient encore peu formés aux mécanismes de la violence chez les agresseurs et chez les victimes, Maureen Kearney a à cœur de faire profiter de son expérience.
Installée à Bressuire depuis 2015, elle intervient dans l'association Intermède 79 qui vient en aide aux femmes victimes de violence. Groupes de parole, ateliers d'écriture, elle écoute et aide à mettre en mots. Autant que possible, elle cherche à épargner à ces femmes ce qu'elle a vécu. "L'important, c'est d'en parler, et d'être crue. La première chose que je leur dis, c'est : "Je vous crois".
"J'avais aussi envie de rendre ce qu'on m'a donné. Je n'ai jamais été seule pendant ces dix ans. J'ai été très soutenue par ma famille, mes amis, la CFDT, les gens que j'ai rencontrés à Bressuire aussi, qui sont même venus aux deux procès pour me soutenir. Les Français sont des gens très bien, je ne peux pas en dire autant de leurs institutions" conclue-t-elle.
Dans les prochains jours, Maureen Kearney doit se rendre en Irlande, son pays d'origine, où le film "La syndicaliste" doit être présenté. Elle envisage avec beaucoup d'émotion de partager ainsi avec ses proches l'histoire effarante qu'elle a vécu.