Le collectif Bassines non merci a organisé une course-poursuite fictive ce vendredi 31 mai 2024 à Niort. Un faux Gérald Darmanin a été poursuivi par plusieurs militants. Ce vendredi, 1312 personnes ont porté plainte contre le ministre de l'intérieur, pour avoir « menti sous serment » devant une commission d’enquête parlementaire à propos de la manifestation à Sainte-Soline en mars 2023.
« Prêt ? Partez ! » Sur la place de la Brèche, un homme s’élance soudain, sous les huées et les cris de militants : « Gérald en prison ! » peut-on entendre sur la place de la Brèche, à Niort. Parmi les pousuivants, des porteurs d’une fausse flamme olympique, censée rappeler le passage de la vraie, ce dimanche 2 juin à Niort.
A cette occasion, une note du ministère de l’intérieur avait classé le département des Deux-Sèvres à risque. Ce vendredi, le collectif Bassine non merci, et des militants comme Judith Rivière ont tenu à le rappeler : leur lutte n’est pas symbolique, « Nous, on se bat pour l’eau ».
Et dans ce combat figurent des éléments à charge contre le ministre, notamment ses dires lors d'une audition à l'Assemblée nationale, mensongers et pointés du doigt par la Ligue des droits de l’Homme. Dans un rapport intitulé « Empêcher l’accès à la bassine quelque soit le coût humain », publié le 10 juillet 2023, les membres de la LDH estiment que les propos tenus par Gérald Darmanin ont été, pour certains, mensongers et non rectifiés par le principal intéressé.
Ce vendredi 31 mai, 1312 personnes ont déposé un courrier pour porter plainte contre le ministre pour avoir « menti sous serment » devant une commission d’enquête parlementaire à propos de la manifestation à Sainte-Soline en mars 2023. Ils espèrent désormais des poursuites de la part de la Cour de Justice de la République.
Une démarche inédite en France
« Que Gérald n’ait aucun doute, le jour où il ne sera plus protégé par son statut de ministre, et qu’il redeviendra un citoyen comme les autres, il fera l’objet de poursuites au pénal comme tout un chacun », scande Julien Le Guet, porte-parole du collectif.
Pour Judith Rivière, la démarche est très importante : « même si on poursuit un ministre devant une Cour qui a relaxé un de ses collègues, monsieur Dupond-Moretti il y a quelques mois… On n’a pas trop d’illusions, par contre, c’est important pour des milliers de personnes de ne pas laisser des mensonges aussi graves persister ».
Parmi les manifestants, Judith n’est pas la seule à craindre une atteinte aux libertés :"Ces propos justifient un discours criminalisant envers des personnes qui militent pour l’eau, pour la vie, pour des biens communs, et donc c’est très important de ne pas laisser passer de tels mensonges, de la part d’élus qui devraient être irréprochables ».
Le geste est fort, les mains nombreuses à avoir signer, pourtant, la plupart des manifestants n’attendent pas grand-chose de la justice: « On sait que notre plainte va être balayée d’un revers de main. Peu importe, on sait que ce type là, quand il va sortir du ministère, il sera un citoyen comme les autres, il aura à rendre des comptes devant la justice de la même façon », rapporte un manifestant.
Cela fait beaucoup de bien aux militants, que le récit de la vérité soit consigné quelque part.
Julien Le Guet, porte-parole du collectif Bassines non merci
Des propos mensongers tenus devant la Commission d’enquête
Lionel Brun-Valicon est membre du bureau national auprès de la Ligue des Droits de l'Homme. Le 11 octobre, la LDH écrit une lettre ouverte à la commission d’enquête après l’audition le 5 octobre de Gérald Darmanin: « On avait alerté le président de la commission d’enquête au vu de ses obligations, et vis-à-vis des personnes qui se présentent devant la commission d’enquête de respecter le serment qu’elles prêtent ».
A ce moment-là, la LDH alerte sur des propos concernant la question des armes par destination. Gérald Darmanin avait en effet déclaré que la Ligue cherchait à empêcher d'interdire le transport d’armes et d’engins pyrotechniques.
La ligue a alors rectifié les propos de Gérald Darmanin en précisant qu’elle avait attaqué les dispositions qui visaient les armes par destination, « un concept qui n’existe pas en droit, et qui peut être ouvert à n’importe quel objet », dont les casques ou lunettes de manifestants, confisqués lors des manifestations sous prétexte qu’il s’agissait d’armes.
« Le fait d’avoir un matériel de protection peut être considéré comme une volonté de se prémunir de gaz lacrymogène et constituer des armes par destination, raison pour laquelle on a attaqué cet arrêté, et non pas sur la nature des armes employées », précise Lionel Brun-Valicon.
Le deuxième point relevé par la Ligue des Droits de l’Homme dans son rapport concerne l’indépendance même des observatoires mandatés par la LDH : « Il a dit qu’ils n’étaient pas indépendants, ce qui est faux, ce n’est pas l’Etat qui décide qui est un observatoire indépendant, et il ne décide pas des critères de l’observatoire non plus.».
Enfin, Gérald Darmanin avait mis en avant devant la cour de la République que la LDH appelait aux rassemblements, or, « deux sections locales ont appelé au rassemblement prévu, mais avant l’interdiction de manifester. Les sections de la ligue n’ont pas du tout participé à la manifestation ».
Il y a une volonté de mettre en avant une version qui soit celle des pouvoirs publics. Quand on montre qu’il y a des incohérences, il faut essayer de s’y tenir le plus possible. Ignorer tout ce qui contrevient à cette version ne paraît pas être un exercice normal de responsabilité publique.
Lionel Brun Valicon, membre du bureau national de la LDH
« La Cour de la république n’a pas complètement joué son rôle »
Assez vite après la publication d’un premier commentaire de la Ligue des Droits de l’Homme sur l’utilisation de la force à Sainte-Soline, la LDH s’attendait à ce que Gérald Darmanin soit prié de corriger ses propos mensongers. Pour autant, devant la commission, il persévère.
Pour la Ligue des droits de l’Homme les enjeux sont multiples : la LDH dénonce une stratégie de communication gouvernementale concernant Sainte-Soline depuis le début des évènements.
Alors qu’il aurait fallu réévaluer la doctrine, « on voit que ce n’est pas du tout ce qui a été fait. Il y a eu un entêtement, à vouloir construire un récit de communication publique qui est dommageable à terme au bon fonctionnement démocratique ».
Pour la LDH, le fait que la commission d’enquête publie un rapport sans que Darmanin ait rectifié ses propos montre que certains mécanismes n’ont pas fonctionné. « La commission d’enquête n’a pas complètement joué son rôle sur ce plan alors que c’était dans son champs. Elle a voulu s’intéresser particulièrement à ce qui s’était passé à Sainte-Soline. C’est dommage que ça n’ait pas été l’occasion de débats sur le fonds et les méthodes employées, ou sur la stratégie de communication du gouvernement qui était trompeuse. La commission d’enquête n’en est pas ressortie grandie ».
Hélène est retraitée, militante et grand-mère. Pour elle, cette plainte doit servir à montrer « qu’un ministre n’a pas toute l’impunité, qu’il ne peut pas régir à sa façon les lois ». Soucieuse de l’avenir de ses enfants, Hélène continuera de se battre : « On est tellement inquiets qu’on est prêts à tout pour faire changer les choses, même si on voit que le rouleau compresseur nous écrase. Mais on est de plus en plus nombreux et l’union fait la force ».
Ce dimanche, le collectif Bassine non merci assure que la flamme olympique passera en toute sécurité dans Niort. Les militants sont occupés à préparer le rassemblement international contre les retenues d'eau dans le Poitou, du 15 au 21 juillet 2024.