Thouars, dans le Nord des Deux-Sèvres, concentre un niveau de pauvreté encore élevé que la récente crise de Covid-19 est venue exacerber.

À Thouars, le taux de pauvreté est de 17%. Il est plus élevé que dans le reste du département (12,4% en 2016) et surtout, il atteint 34% chez les moins de 30 ans. Quant au taux de chômage, il bondit à 16,2% dans la ville. Pourtant, le territoire dispose d'un réel dynamisme économique : un bassin économique de près de 10.000 emplois, un taux de chômage dans le Thouarsais de 7%. Autre donnée invitant à l'optimiste, les Deux-Sèvres est, selon l'Insee, avec les Landes, le département de Nouvelle-Aquitaine où "l'intensité de la pauvreté (est la) moins prégnante".

Pour quelles raisons la pauvreté reste-t-elle si marquée dans la ville-même de Thouars ? Nous sommes allés à la rencontre des associations d'aide au plus démunis, d'insertion professionnelle, du CCAS et des élus pour tenter de répondre à cette question.

Dans ce premier épisode, rencontre avec Paul B. À la suite d'une perte d'emploi et d'une expulsion, il a dormi dans sa voiture pendant un an avant de trouver un logement d'urgence à Thouars. Il fait partie des invisibles, ces personnes que les acteurs sociaux tentent de rapprocher de leur communauté. 

Paul B. : "J'ai dormi un an dans ma voiture avec mon chien pour me tenir chaud"

"Le retrait de mon permis a foutu ma vie en l'air.", lance Paul B.*, assis à la table de son nouvel appartement du centre de Thouars (Deux-Sèvres). 

Paul est installé dans ce logement spartiate depuis trois semaines seulement. Il y a encore un mois, il n'avait pas de domicile et dormait dans sa voiture avec son chien. "Ce logement, je l'ai trouvé grâce à mon assistante sociale", dit-il avec force, avant d'ajouter d'un geste de la main qui embrasse la pièce : "Tout ça, c'est grâce à elle."

Autour de lui, une kitchenette, une table et quelques chaises, un vaisselier de récupération, deux fauteuils, un petit écran de télévision, un étendoir avec un peu de linge qui sèche et un lit sommaire recouvert d'une couverture à côté duquel le chien s'est roulé en boule. 

"Je ne suis qu'un pauvre gars qui fait ce qu'il peut", poursuit-il en relevant les boucles de ses cheveux qui tombent sur ses yeux noirs.

Sans permis, je ne pouvais plus aller travailler. J'ai perdu mon travail. Quand on est tiré vers le bas, on y reste.

Paul B.

6.000 euros de dette

Paul a 40 ans et gagnait jusque-là correctement sa vie, "jusqu'à 3.000 euros par mois parfois en intérim avec les heures sup'", assure-t-il. "Je suis chaudronnier, peintre, soudeur", explique-t-il avec fierté. "J'ai encore des appels tous les jours pour des contrats d'intérim, mais là, sans permis, je suis bloqué. Impossible de me déplacer." Puis il montre son téléphone avec la liste des appels et des messages reçus d'agences lui proposant des missions dans ses compétences. Certains datent du jour-même, d'autres de la veille ou de l'avant-veille.

Puis il se lance : "J'ai fait des missions d'intérim pendant 14 ans et, l'an dernier, j'ai eu un accident de voiture. J'ai appelé un copain dépanneur pour qu'il m'aide à remorquer mon véhicule. J'ai été testé positif au cannabis et donc on m'a retiré le permis." Paul B. explique pourtant qu'il n'a pas fumé avant de prendre le volant. Il affirme avoir partagé un joint avec un copain en attendant le remorquage de son véhicule. "Quand la gendarmerie est arrivée pour faire la circulation, ils m'ont fait les tests et bang! Depuis, c'est la merde."

"Sans permis, je ne pouvais plus aller travailler. J'ai perdu mon travail", résume-t-il avant de revenir sur sa situation actuelle : "Quand on est tiré vers le bas, on y reste."

J'ai été mis dehors de chez moi trois jours avant la trêve hivernale. L'huissier de justice est arrivé avec neuf gendarmes. J'ai eu trois-quarts d'heure pour quitter la maison.

Paul B.

"J'aurais pas dû reprendre la voiture"

Sans revenus, il perçoit d'abord l'allocation de retour à l'emploi (ARE), mais ne touche désormais plus que le RSA. Face à la baisse de ses revenus, les premiers impayés s'accumulent. Des retards de loyers, principalement. "J'avais 6.000 euros de dette", reconnait-il. "J'ai été mis dehors de chez moi trois jours avant la trêve hivernale", se souvient-il encore amer. "L'huissier de justice est arrivé avec neuf gendarmes, les chiens, j'ai vraiment halluciné ! On m'a dit que j'avais trois-quarts d'heure pour quitter la maison. J'ai pu revenir ensuite récupérer quelques affaires mais j'en ai laissées. C'est impossible de rassembler dix ans de vie en si peu de temps."

Il ne lui reste alors plus que sa voiture. Paul B. raconte, de la lassitude dans la voix, la spirale qui continue de l'aspirer. "Je dormais dans la voiture. Je me garais près de l'endroit où je vivais avant, pas très loin de chez mon frère. J'allais me doucher chez lui parfois ou chez des gens qui voulaient bien. Avant, je travaillais tout le temps, mais depuis 2019, il ne fait que m'arriver des couilles." Avec l'arrivée de la pandémie de coronavirus, l'économie s'est arrêtée, les Français sont restés confinés. Lui était seul dans sa voiture avec son chien, invisible.

Paul raconte son deuxième accident. "J'aurais pas dû prendre la voiture, mais j'ai pas pu faire autrement. Je sais, j'étais sans permis et sans assurance. Après la collision, j'ai paniqué et quand j'ai vu qu'il n'y avait pas de blessé, j'ai pris la fuite. Je ne sais pas pourquoi, j'ai redémarré. C'est irresponsable, c'est pas moi ça, je suis pas comme ça." Puis, il émet une suposition : "J'ai eu peur de me retrouver en tôle, de perdre mon chien, c'est tout ce qu'il me reste."

Paul B. doit donc à nouveau comparaître devant le tribunal pour conduite sans permis, sans assurance et pour délit de fuite. "J'en ai pour des années à payer." Et il égrène la liste : "l'amende, les frais de justice, la voiture de la dame, je suis pas rendu au bout..."

De sa vie d'avant, Paul B. se souvient d'une vie régulière. "Jusqu'à l'an dernier, je n'avais jamais été au chômage de ma vie. Je travaille depuis l'âge de 16 ans", conclut-il.

Plus tard dans la journée, alors que notre rencontre est terminée, nous nous croisons à nouveau dans la rue. Paul est sorti promener son chien. Son attestation dérogatoire de sortie en poche, nous nous saluons. Il est accoudé au muret qui longe un parking du centre-ville. Son chien tourne autour d'une voiture. Paul B. explique : "C'est ma voiture." Puis il ouvre la portière pour jeter un oeil à ses affaires restées à l'intérieur. La banquette arrière est repliée, recouverte d'un sac de couchage et de couvertures. "C'est là que je dormais", me montre-t-il du doigt. Le chien essaie de bondir à bord pour y retrouver sa place. Mais pas cette fois. Paul B. referme la portière à clef et poursuit la balade, le dos légèrement courbé, les mains dans le fond des poches de son jogging, les boucles de ses cheveux ondulant devant son regard.

*À la demande de notre interlocuteur, le prénom et le nom ont été changés.
 
Reportage de François Bombard, Antoine Morel, Christophe Rio et Christophe Pougeas 
 
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