Dans les Deux-Sèvres, la taille des haies, habituellement autorisée jusqu'au 16 mars, a été prolongée jusqu'au 15 avril par la préfecture. Une décision bienvenue pour les agriculteurs, mais qui inquiète les associations de protection de la biodiversité. Cette période coïncide avec la nidification de certaines espèces.
La décision pourrait paraître banale, mais en réalité, elle voit s'affronter deux visions de la nature. Au coeur de la dispute : l'avenir des oiseaux et des insectes. Face à la "multiplication des épisodes pluvieux" depuis octobre, la préfecture des Deux-Sèvres a décidé de prolonger d'un mois le délai de taille des haies, a-t-elle indiqué jeudi 21 mars, via un communiqué.
Les agriculteurs auront jusqu'au 15 avril, contre le 16 mars précédemment, pour rendre leurs champs accessibles. "À cause de la pluviométrie, on n'a pas pu tailler nos haies cette année, explique Romain Auzaneau, président des Jeunes agriculteurs des Deux-Sèvres. Si on les laisse pousser un an de plus, on va perdre beaucoup de rendements." Mais du côté des associations de protection de l'environnement, la mesure passe mal.
"Tous les agriculteurs ne cautionnent pas ce calendrier"
"On veut faire plaisir aux agriculteurs : alors encore une fois, on lâche sur la biodiversité, tacle Jean-Michel Passerault, administrateur du groupe ornithologique des Deux-Sèvres. Cette prolongation risque de déranger la nidification des oiseaux, voire de provoquer leur mort pour ceux qui nichent en bordure des haies."
"Tous les agriculteurs ne cautionnent pas ce calendrier. Pour certains, ce n’est pas cohérent", tempère Alexandre Boissinot, conservateur régional de la Réserve naturelle du bocage des Antonins. Avec le réchauffement climatique, c'est tout le cycle de reproduction des oiseaux qui est perturbé. " Certaines espèces sont déjà en train de nicher. Il faut s’interroger sur le calendrier : doit-on tailler les haies tous les ans, avec quels outils, et pour quelle pérennité ?".
Éléments clefs de la biodiversité, les haies servent de refuge à une grande variété d'oiseaux. "Toutes les espèces qui y nichent sont susceptibles d’être touchées : merles, grives, troglodytes, pinçons..., énumère Michel Passerault. Pratiquement tous les oiseaux, qu'ils s'abritent dans les buissons ou les cavités d'arbres. Ça va faire un creux de douze mois dans la reproduction. Et une année, c'est déjà trop."
Oiseaux, fleurs, fruits en danger
Les volatiles ne sont pas les seuls menacés par ce changement d'emploi du temps. "Certains arbres sont déjà en floraison : c'est bénéfique pour les pollinisateurs, notamment les abeilles sauvages, qui butinent en bordure de haies, poursuit le spécialiste. Si on supprime toutes ces fleurs, on supprime aussi les fruits récoltés pendant l’été et à l’automne."
Parmi les pistes de solutions évoquées, le chercheur plaide pour l'instauration d'une vraie définition de la notion de haie. "La loi ne donne aucune précision concernant leurs dimensions : largeur, hauteur, longueur... C'est un vrai problème : résultat, on se retrouve bien souvent avec des haies de 20 centimètres de large sur un mètre de hauteur."
Même son de cloche pour Alexandre Boissinot, qui estime "dangereuse" cette "homogénéisation de la forme des haies".
"L'État instaure une taille standard, au carré. Mais on se tire une balle dans le pied : ce format ne permet pas de renouvellement des haies. Alors qu'elles sont un vrai atout agronomique : elles font office de brise-vent, et offrent plus de confort aux animaux pendant les épisodes de canicule."
50 000 kilomètres de haies d'ici à 2030
Selon le conservateur, le département des Deux-Sèvres perd chaque année 1% de ses haies, malgré une intense politique de plantations. Le pacte en faveur de la haie, présenté en septembre 2023, prévoit d'ajouter 50 000 kilomètres de haies sur le territoire français, d'ici à 2030.
Les haies sont un levier essentiel de la transition agroécologique. 🌳
— Gouvernement (@gouvernementFR) March 12, 2024
👉 Le pacte haie veut permettre d’ajouter 50 000 kilomètres de haie sur le territoire français entre 2020 et 2030.
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"Il faut penser la question autrement, développe Alexandre Boissinot. Comment développer une agriculture qui valorise le territoire, tout en maintenant la qualité de l'environnement et en garantissant un rendement économique ? L'enjeu est quantitatif et qualitatif."