Bugeaud : ce Périgourdin qui conquit l'Algérie

Le maréchal Bugeaud (1784-1849) accéléra et étendit la conquête de l'Algérie par la France entre 1836 et 1847. Il couvrit là-bas des exactions, mais en Dordogne il a laissé une bonne image, en raison notamment de son rôle dans la modernisation de l'agriculture.

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A Périgueux, sa statue trône depuis 1853, au centre de la place qui porte son nom. Il y a quelques mois des esprits facétieux avaient noué une corde à son cou, à la lumière des violences qui lui sont reprochées lors de la conquête d'Algérie. 

A tel point qu'aujourd'hui, certaines personnes sont gênées quand on leur demande de s'exprimer sur ce personnage historique.

"D'accord pour parler de Bugeaud, mais pas de ce qu'il a fait en Algérie".

Il en est ainsi de l'histoire. Certaines figures peuvent avoir été honorées à un moment pour être honnies finalement quelques générations plus tard.

En 2022, alors que la France poursuit collectivement un travail critique sur son passé colonial, des hommes comme le maréchal Bugeaud, qui ont conquis sabre au poing des territoires en Afrique ou en Asie, passeraient presque pour des criminels. 

Or en leur temps, ils furent célébrés en héros et donnés en exemple à des générations non seulement de militaires, mais aussi d'écoliers, leurs images figurant en bonne place dans les livres d'histoire. 

Revenons-en aux faits. Thomas Robert Bugeaud est né en 1784 à Limoges, d'une famille de la petite noblesse. Ses parents furent inquiétés, et même incarcérés lors de la Révolution, raison peut-être pour laquelle il se méfiera toujours du peuple en général et des Républicains en particulier. 

Enfant, il grandit loin de ses parents, à la campagne, dans une ferme de la région de Lanouaille. C'est là qu'il prit goût au grand air, à la chasse, et à la terre. 

Quand vint le moment de se choisir une carrière, il se dirigea vers les armes, à une époque où les guerres ont accéléré le destin de nombreuses personnes. Ainsi, il fit partie des soldats qui encadrèrent le sacre de Napoléon. Il était présent aussi lors de la bataille d'Austerlitz et combattra ensuite en Espagne. Là-bas, les troupes napoléoniennes menèrent une guerre féroce contre un peuple insurgé. Les tableaux de Goya en témoignent, de nombreuses personnes y furent passées sommairement par les armes. 

Cette expérience l’aurait endurci et préparé à mener la guerre, sans pitié, qu’il dirigera, plus tard, en Algérie.

Après Waterloo, Bugeaud, alors colonel, sera chassé de l’armée. Son tort, avoir suivi Napoléon pendant les Cent Jours après avoir juré fidélité à Louis XVIII.

Conséquence, une sorte de traversée du désert jusqu’en 1830, qui va l’amener à s’intéresser à l’agriculture. Propriétaire terrien, il cultivait environ 800 hectares dans la région de Lanouaille. Il se passionnera pour l’art d’obtenir les meilleurs rendements de ses terres et tentera d’entraîner derrière lui l'ensemble des paysans du secteur.

Il créera ainsi en 1824 le comice agricole de Lanouaille, un concours agricole, qui existe toujours.

En 1830, l’arrivée au pouvoir de Louis-Philippe, va lui permettre de retrouver une place au sein de l’armée, ainsi qu’à l’Assemblée puisqu’il deviendra député de la Dordogne de 1831 à 1849. Il y avait alors de nombreux militaires au parlement.

Politiquement Bugeaud se signalera comme un conservateur, soutien du régime, prêt à réprimer tout mouvement de contestation. On lui reprochera ainsi, un épisode peu glorieux, le massacre des habitants d'un immeuble de Paris, rue Transnonain, lors d'une journée d'émeutes. 

C'était en 1834, une année durant laquelle il s’acquitte d’une autre mission délicate, mais bien moins violente. Il assure la garde de la comtesse du Berry, une comploteuse royaliste, incarcérée quelques mois à la citadelle de Blaye. Pour prix de cette mission, lui seront donnés 20 000 francs avec lesquels il offrit une fontaine à la ville d’Excideuil.

Autre conséquence, moins anodine : un duel.

La surveillance de la comtesse du Berry a donné lieu à quelques caricatures et quolibets.

Lors d'un débat à l'Assemblée, un député de l’opposition républicaine Dulong aurait dit à «  Faut-il obéir jusqu’à se faire geôlier, jusqu’à l’ignominie ? »

Se sentant insulté, Bugeaud vengea son honneur par les armes et tua en duel, d’un coup de pistolet François-Charles Dulong.

Cet épisode, plutôt glaçant, de la vie de Bugeaud n’est qu’une péripétie au regard de son grand œuvre : l’Algérie.

Les français avaient déjà un pied en Afrique du Nord quand il y fut envoyé une première fois en 1836. Il était au début lui-même personnellement opposé à la conquête de ce territoire.

Est-ce qu’il y vit une occasion de se couvrir de gloire et de gagner des titres ? Progressivement, il change d’avis et se fait le chantre d’une colonisation résolue de l’Algérie sous la conduite de l’armée.

Devenu gouverneur général de l’Algérie en 1840, il demande des moyens importants et obtient 100 000 hommes. Il multiplia alors les raids militaires pour obtenir la soumission des tribus algériennes fédérées notamment autour du chef Abd-El-Kader.

Les civils furent les principales victimes de cette guerre de conquête car il y eut peu de batailles rangées. La tactique choisie contre la guerilla des Arabes fut donc de s’attaquer à leurs soutiens et à faire des razzias dans les villages censés alimenter les rebelles. L’armée française brûla ainsi des villages, des récoltes et vola des chevaux, rien de très glorieux. Avec très peu de place pour la pitié.

On prête ainsi une phrase terrible à Bugeaud :

Si ces gredins se retirent dans leurs cavernes, imitez Cavaignac aux Sbéhas ! Fumez-les à outrance comme des renards.

Il fait alors référence aux fameuses enfumades qui ont consisté à mettre le feu devant des grottes où les Arabes avaient trouvé refuge, et de les tuer ainsi, asphyxiés.

Des exactions qui font débat aujourd’hui. Le journaliste Jean-Michel Apathie découvrant cet épisode de notre histoire demande ainsi en 2020 à ce qu’un boulevard de Paris soit débaptisé.

A Brest, sous la pression de riverains la municipalité devrait débaptiser une école maternelle.

Ces questionnements contemporains ne doivent pas nous laisser croire que de son temps Bugeaud fut célébré par la France entière.

Certes il fut honoré par le second Empire, la troisième et la quatrième république, comme un grand homme bâtisseur d’empire, l’empire colonial français qui s’est étendu sur quatre continents.

Mais malgré ses statues, ses titres de maréchal, de duc, son image reproduite dans les livres d’histoire, les boites de chocolats, la chanson sur sa fameuse casquette reprise par les enfants…, il y eut quand même des voix, dans l’armée, dans l’opinion, pour dénoncer ces violences et qui nous permettent d’en discuter aujourd’hui.

Pour revenir à sa biographie. Bugeaud dont la devise était « Par l’épée et par la charrue », fut fauché par une épidémie à Paris, en 1849.

Le choléra sévissait alors. Une maladie terrible, venue d’Asie, qui tua des millions de personnes au 19ème siècle.  

Si vous voulez en savoir plus sur Bugeaud. Il existe une biographie, par Jean-Pierre Bois, publiée chez Fayard. 

Plus récemment, Colette Zytnicki, vient de sortir La Conquête. Comment les Français ont pris possession de l’Algérie. 1830-1848 chez Tallandier, qui raconte tout le contexte des débuts de la colonisation. 

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