Pour doper la pêche de loisir, la Dordogne rempoissonne artificiellement ses plans d'eau. Huit tonnes doivent être relâchées dans le département. Une association de défense animale veut mettre fin à cette pratique
Cette année, le département lâchera encore huit tonnes de poisson pour garantir un certain succès aux pêcheurs, locaux ou de passage, venus taquiner le goujon dans ses cours d'eau et ses étangs. L'an dernier, dix tonnes de brochets, truites, gardons, black-bass, perches et tanches avaient déjà été déversées dans le même but. Un budget annuel d'environ 80 000 euros.
La pêche de loisir représente 20 000 cartes de pêche, délivrées localement, et 6 000 pêcheurs font le déplacement chaque année, estime-t-on. Une manne appréciable qui permet de faire tourner le secteur touristique hors saison.
Dénoncer le soutien à la pêche de loisir
Mais une fois de plus, l'activité humaine se heurte aux considérations anti-spécistes. La critique vient cette fois de l'Association de protection animale PAZ, Paris Animaux Zoopolis. L'association dénonce ces empoissonnements "financés par l'argent public pour un loisir qui blesse et tue les animaux". Elle critique plus largement les subventions des Régions pour la pêche de loisir (645 000 euros l'an dernier en Nouvelle-Aquitaine).
On voit qu'il y a une volonté politique du département de soutenir un loisir qui fait souffrir les animaux.
Amandine Sanvisens,cofondatrice association PAZ
" On voit qu'il y a une volonté politique du département de soutenir un loisir qui fait souffrir les animaux" martèle Amandine Sanvisens, cofondatrice de l'association PAZ. " Et en particulier l'empoissonnement qui consiste à acheter massivement des poissons d'élevages qui sont déversés dans des plans d'eau pour faire plaisir aux pêcheurs, pour dire aux pêcheurs, 'si vous venez, vous aurez un stock de poissons à votre disposition pour vous amuser' ."
Remise en question
PAZ dénonce la souffrance de milliers d'animaux, de leur élevage à leur pêche, l'utilisation de vifs comme appâts, l'introduction de black-bass d'élevage, espèce originaire d'Amérique, "pour répondre aux caprices des pêcheurs". Elle pointe aussi du doigt le lâchage d'animaux d'élevage qui ne sont pas adaptés à leur survie en milieu naturel et plus globalement le mépris de la condition animale des poissons, dans le seul but de satisfaire, voire d'amuser, les pêcheurs de loisir. Outre cesser cette pratique, PAZ engage donc le département de la Dordogne à consacrer plutôt les fonds publics aux activités de tourisme, culturel, de loisir et de plein air.
Poissons et gibier d'élevage, même combat
L'empoissonnement par des poissons d'élevage est l'un des chevaux de bataille de l'association. En juillet 2022, elle avait obtenu le soutien du moine bouddhiste Mathieu Ricard pour dénoncer l'élevage et le lâcher de cinq millions de truites d'élevage juste avant l'ouverture de la saison de pêche. Une pratique comparée au lâcher de gibier d'élevage, juste avant la saison de la chasse.
La pêche de loisir qui jouissait jusque-là d'une image de loisir plutôt paisible et innocent, rejoint désormais la longue liste des pratiques traditionnelles remises en cause par les nouveaux modèles, à l'image de la corrida, des méthodes d'abattage, du gavage ou de la chasse.
Pas tous dans le même panier
Mais en Dordogne, on refuse une critique sans demi-mesure, qui amalgame les annonces en ignorant parfois la réalité du terrain. Sylvie Chevallier, vice-présidente du département chargée du Tourisme et de la Promotion du Périgord, explique la vision départementale de la pêche de loisir et le soin qu'il apporte à ce rempoissonnement "naturel".
Poissons quasi-sauvages
Benjamin Delmares est le pisciculteur qui fournit ses poissons au département. C'est l'un des rares producteurs à être agréé pour expédier des poissons vivants dans toute la France, il en produit vingt tonnes par an en moyenne.
Ses poissons, affirme-t-il, ne sont pas des "animaux de batterie" qui vont se précipiter sur le premier hameçon qui passe. Au contraire, ils sont élevés en extensif sur un espace de 150 hectares, à raison de 150 kg par hectare, sans nourrissage artificiel. Résultat, des poissons avec un fort instinct de survie, parfaitement capables de s'adapter au milieu naturel dans lequel ils vont être relâchés.
Remise en cause générale
À n'en pas douter, le débat de société sur la pêche de loisir et l'élevage de poissons pour la favoriser dépasse largement le simple cadre de la Dordogne sur lequel s'est focalisé l'association PAZ. Mais cette action a au moins le mérite de mettre en lumière les pratiques, bonnes ou mauvaises, et de faire s'interroger la société sur des activités jusqu'ici considérées comme allant de soi. Entre conservatisme et révolution extrême, la voie juste sera probablement une évolution dépassionnée vers la voie du milieu.