Une femme atteinte de diabète a dû être amputée de son avant-pied . Son médecin généraliste estime que sa patiente n'a pas été prise en charge correctement aux urgences. Il déplore le manque de moyens du système de santé.
Mauvais diagnostic, absence d'ambulance et de places dans un service spécialisé... Les défaillances semblent s'être accumulées dans le traitement du cas d'une patiente bordelaise. Souffrant de diabète, elle a dû être amputée de son avant-pied après l'apparition d'une plaie.
Quatre jours après son amputation, elle est encore sous le choc. Et en colère. "Les urgences, c’est à la chaîne", confie-t-elle. "On m'a dit, 'on va vous couper le pied' !”
C’est une erreur. Notre médecin traitant l’avait envoyée à l’hôpital pour qu’on s’occupe d’elle, pour voir si elle devait recevoir des soins ou être opérée. Ils n’ont rien détecté d’urgent. Mais plus tard, de retour à la maison, les infirmiers ont vu que c’était très infecté. Et notre docteur lui a demandé de retourner à l’hôpital.
Snoussi Boumedine, mari de la patiente
Son médecin généraliste, installé à Bordeaux-Bastide témoigne, et rappelle qu'il n'a eu de cesse de trouver une solution. En vain.
Mal perforant
"Il y a deux semaines, j'ai été averti par les infirmières qui s'occupent de cette patiente diabétique, que cette dernière présentait une plaie au pied, rapporte le docteur Neufer, qui perçoit vite l'urgence de la situation.
"Il s'agissait d'un mal perforant, et c'est une urgence absolue dans le diabète, explique le médecin avant de détailler : le diabétique n'a pas de sensation dans le pied, il n'a pas mal et la plaie peut prendre très vite des propensions énormes, d'autant plus que le système immunitaire est diminué".
"Rien n'a été fait'
Une fois alerté, le docteur Neufer va rendre visite à la patiente et organise un transport en ambulance pour le lendemain, soit le samedi 22 janvier. Le lundi suivant, les infirmières libérales le rappellent et l'informent que la patiente est rentrée de l'hôpital Pellegrin. Une nouvelle visite à domicile permet au médecin de constater que "rien n'a été fait" aux urgences.
La plaie n'a pas été nettoyée. On lui a juste conseillé de prendre des antibiotiques, qui, à mon sens auraient dû lui être administrés dès le samedi.
Docteur Hermann NeuferFrance 3 Aquitaine
Des ambulances en sous effectif
Le médecin ne baisse pas les bras, et oriente cette fois, non sans difficulté, sa patiente sur l'hôpital Haut-Lévêque qui dispose d'un service spécialisé. Elle devra encore patienter quelques jours avant de trouver un créneau. "J'ai appelé l'intégralité des sociétés de transports sanitaires, aucune ambulance n'a pu m'être proposée dans un délai de trois jours. Les ambulanciers étaient désolés mais ils étaient en sous effectif". La patiente se fera aider par ses proches pour se rendre à sa consultation. Mais il est déjà trop tard.
"Lorsque j'ai appelé l'hôpital, j'apprends qu'elle est restée hospitalisée, et qu'elle a été transférée en chirurgie, où son avant-pied a dû être amputé le week-end du 28 janvier ", regrette le Dr Neufer.
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Dysfonctionnements en série
Le médecin insiste, "il ne fait aucun reproche à ses collègues". Il souligne en revanche les dysfonctionnements ayant mené à l'amputation de sa patiente. " Je pense que les urgences étaient dépassées. Ils n'ont peut-être pas apprécié le problème comme ils auraient dû et l'ont renvoyée à la maison. Ensuite, le service de diabétologie de Haut-Lévêque n'a pas pu me proposer de consultation dans des délais plus courts".
Le médecin regrette également l'indisponibilité des ambulances, alors que la patiente habitait au 5e étage sans ascenseur. "Le mari a dû aider pour la descendre, tant bien que mal, jusque dans la voiture et l'emmener. Tout ça n'a pas pu se faire sans qu'elle ne pose le pied au sol et n'aggrave la situation".
Le Dr Neufer le reconnaît, il se sent "mal". Restent beaucoup de questions concernant les responsabilités et les éventuelles défaillances. "Est-ce qu'on aurait pu gagner quelques jours ? Ma patiente m'a t-elle appelé assez-tôt ? Les urgences et ensuite le service de diabétologie sont-ils responsables ? Étais-je moi même suffisamment en alerte ? Aurais-je dû rappeler les urgences pour insister ? Ce sont des questions que nous devons nous poser".
Tout le monde a fait ce qu'il a pu dans cette situation extrêmement difficile, qui remonte bien avant la crise mais qui est accentuée par le Covid
Dr Hermann NeuferFrance 3 Aquitaine
"Il faudrait une meilleure coordination dans le système de santé. Nous, les médecins de ville, pourrions soulager l'hôpital en nous occupant des petites urgences", estime le médecin. De son côté, contacté par France 3 Aquitaine, le CHU de Bordeaux, déjà en situation de crise structurelle en raison d'un manque de lits, se défend d'un quelconque défaut de soins. "Le CHU de Bordeaux réfute très clairement le défaut de prise en soin dont l’article l’accuse et tient à rappeler que l’accueil des patients aux urgences, en dépit de l’attente, se fait dans les règles de sécurité maximales", écrit l'hôpital dans un communiqué.